Among us
Dans un futur proche, la société Hyperion envoie des vaisseaux spatiaux vers Mars, avec à leur bord des universitaires faisant des recherches capitales pour une potentielle colonisation de la planète. Pour sa dernière escapade dans le cosmos, la commandante Marina Barnett (Toni Collette) embarque donc avec la docteure Zoe Levanson (Anna Kendrick) et le biologiste David Kim (Daniel Dae Kim). Mais pas de bol pour eux, ils découvrent à leur bord un passager clandestin (Shamier Anderson), qui pourrait compromettre la survie de tout l’équipage.
Depuis Gravity et ses ersatz plus ou moins réussis (on pense à Seul sur Mars), il peut être très casse-gueule de s’atteler au survival spatial. Mais comme son réalisateur a en plus déjà approché le genre sur Terre, il est clair que Le Passager n°4 part avec un sacré poids sur ses épaules, et une myriade de modèles à double tranchant.
Pourtant, Joe Penna a la bonne idée de marquer en premier lieu la parenté de son film avec Arctic, assumant une certaine zone de confort pour mieux amener son voyage spatial vers des contrées moins spectaculaires qu’à l’accoutumée. Dès ses premières minutes, qui s’attardent avec beaucoup d’attention sur le décollage de la fusée, le long-métrage nous plonge dans une série de plans fixes angoissants, captant l’impuissance de corps autant en proie à l’hostilité du cosmos qu’à un moyen de transport qu’on devine déjà faillible.
Par la suite, on sent le cinéaste hautement à l’aise avec son dispositif. Son casting ultra-réduit fait immédiatement des étincelles au détour de scènes de dialogues a priori anodines (même si l’on regrettera que le personnage de Toni Collette soit finalement sous-exploité). Avant même l’arrivée de son élément perturbateur, Penna construit avec stratégie une atmosphère oppressante et larvée.
À vrai dire, il ressort très vite du Passager n°4 l’évidente intégrité de sa démarche épurée, qui trouve à plusieurs reprises des idées de mise en scène hautement malines pour nous immerger dans son concept. D’un plan-séquence marquant avec clarté la scénographie de son décor fermé, en passant par des voix terriennes inaudibles pour le spectateur, l’ensemble traduit avec justesse la solitude et le vertige existentiel de l’expédition dépeinte.
Dès lors, la véritable performance du long-métrage consiste à jouer sur les attentes du spectateur envers le survival spatial, de sorte qu’un simple travelling ou un silence pesant peut servir à nous donner les mains moites. Mais surtout, Penna fait le choix de n’émettre aucune ambiguïté sur l’arrivée impromptue de Michael Adams, le quatrième passager du titre dont la présence sur le vaisseau est purement accidentelle. Problème, l’ensemble de l’équipage va vite manquer d’oxygène, et cette épée de Damoclès permet au cinéaste de bouleverser petit à petit sa menace présumée.
Le huitième passager, moins quatre
final frontier
Bien entendu, ce changement de direction offre l’opportunité au réalisateur de mener subrepticement son film vers une métaphore de l’immigration, telle une poupée gigogne portant en son sein des questionnements plus larges autour du déterminisme social et de l’égalité des chances. Et c’est là que Le Passager n°4 tend vers sa spécificité, en se débarrassant rapidement du traditionnel “l’homme est un loup pour l’homme” pour présenter l’espace comme ultime frontière des privilèges, comme la chasse gardée d’élites qui ne peuvent décemment accepter qu’on prenne la place qui leur serait due.
Malheureusement, pour pleinement donner corps à cette idée, il aurait fallu que Joe Penna évite une dichotomie trop simpliste entre l’idéalisme de son héroïne (Kendrick, parfaitement touchante) et l’égoïsme de son compagnon de route (Dae Kim, excellent dans le rôle), qui amène la seconde partie du métrage à tomber à plat. C’est d’autant plus dommage que le cinéaste cherche clairement à prolonger la démarche passionnante d’Arctic, qui affichait une croyance revigorante dans un humanisme total, alors que le survival se plaît souvent à explorer les pires penchants de l’instinct de survie.
Déjà, c’est mieux que Minuit dans l’univers
En réalité, on pourrait même percevoir dans l’écriture du Passager n°4 une pure interrogation de cinéma : et si, pour une fois, les personnages ne faisaient pas avancer le récit à cause de leur bêtise (ou plutôt de leur impulsivité) ? On reproche tous à des êtres de fiction de ne pas agir comme nous le ferions, mais ces décisions irrationnelles sont souvent là pour refléter le chaos qui constitue l’être humain.
À contre-courant, le film de Joe Penna est tout entier construit sur le raisonnement de ses héros, sur une logique tournée vers le collectif. L’envie s’avère assez intéressante par instants, surtout au vu de la mise en scène élégante du cinéaste, qui navigue avec sobriété dans le vaisseau pour accompagner des corps paradoxalement statiques, alors qu’ils sont lancés dans le plus grand des voyages.
De cette façon, le cinéaste convoque avec malice un sublime étouffant, l’impuissance de protagonistes dépendants des éléments, ou plutôt de l’absence d’éléments. Cependant, cette passivité possède un revers conséquent, à commencer par la froideur qu’elle engendre. Ce refus du désespoir ne permet jamais à Penna de toucher du doigt la beauté fragile d’Arctic, d’autant plus qu’elle évite à l’auteur de faire un choix dramatique fort en cours de route. Résultat, plutôt que de suggérer une multitude de possibilités, le dernier acte frustre au vu de sa voie toute tracée, sans même parler de l’élément perturbateur final qu’elle invoque, aussi arbitraire que décevant.
Pour autant, malgré ses défauts les plus évidents, on ne pourra pas enlever au Passager n°4 son jusqu’au-boutisme, y compris dans ses choix les plus discutables. Joe Penna a encore du chemin à faire pour transformer l’essai de son premier film, mais il a une nouvelle fois réussi à mettre notre palpitant à l’épreuve. Et c’est déjà pas mal.
Le Passager n°4 est disponible sur Netflix depuis le 22 avril 2021 en France
@Dran
Il n’a tellement plus le droit d’apparaître qu’il est toujours ultra-majoritairement le premier rôle des productions occidentales.
Mais on ne sait pas si c’est volontaire.
La lenteur du film permet une calme méditation sur les risques du voyage dans l’espace.
Pas trop d »erreurs scientifiques et dans la veine, en plus modeste, de Gravity ». Une question cependant : est-ce volontaire ou le hasard, le choix de 4 protagonistes, 2 femmes, un noir et un jaune…l’homme blanc n’a-t-il plus le droit d’apparaître … racisme… ?
Déjà que ma suspension d’incrédulité en a pris un pet avec la découverte du technicien dont on se demande bien comment il a bien pu se fourrer dans cet espace (sans explication bien sûr) mais la porte du vaisseau qui contient l’oxygène qu’ouvre l’héroïne et qui « tombe dans le vide » m’a achevé..
Mention spéciale à la tempête solaire qui est mieux foutue dans le premier épisode de la seconde saison de For All Mankind que dans ce nanar.
Film tranquille et reposant. Rien d’original. La fin est un peu aride tout de même.
Point négatif sur la musique qui n’a rien de spécial. C’est dommage car pour un film de ce genre (contemplatif, visuellement épuré, lent) l’ambiance musicale et le sound design sont fondamentaux.
Six mois d’oxygène dans cette petite bouteille ???