Parce que Tom Ford est avant tout un couturier, on a entendu un peu partout que son premier film souffrait d’un excès de sophistication, trop tiré à quatre épingles pour pouvoir émouvoir. La vérité, c’est que A single man est un récit à la première personne qui épouse le point de vue de George Falconer, professeur d’université esseulé depuis la disparition de son jeune compagnon (Colin Firth, formidable et ayant bien mérité son prix d’interprétation à la Mostra de Venise). Un homme d’une élégance rare, pur produit de l’école anglaise, dont la distinction apparente cache tant bien que mal un esprit détruit et un coeur brisé. C’est là toute la beauté d’un film bien moins superficiel qu’il n’y paraît : balancer sans cesse entre une allure impeccable et un mental dévasté.
A single man est en effet un film délicat, sur son 31, mais c’est loin d’être sa seule caractéristique. Installant son récit sur une unique journée ponctuée de retours en arrière, Ford parvient à déstabiliser le spectateur en s’attachant à dilater le temps pour provoquer un flottement parfaitement en phase avec la mentalité du héros. Parce qu’un deuil tend à mettre la vie normale entre parenthèses, à suspendre le quotidien pour faire de l’existence un interminable calvaire où chaque minute qui s’égrène équivaut à un coup de poignard dans le coeur. S’il en fait parfois un peu trop en multipliant les plans sur les nombreuses horloges présentes dans les décors, le cinéaste en herbe fait généralement preuve d’une maîtrise assez ébouriffante.
Tout au long de cette journée, Falconer va chercher à déterminer ce qui pourrait le convaincre de continuer à vivre en dépit de cette perte. Une quête existentielle qui fait dans la retenue mais s’autorise quelques énormes excès révélateurs du désespoir du personnage. Entre une tentative de suicide teintée de consternation et d’hilarité et une mémorable beuverie en compagnie d’une amie de longue date – Julianne Moore, géniale, mais est-ce bien la peine de le préciser ? -, il s’offre un sursis d’autant plus bouleversant qu’il est le seul à le vivre comme tel. C’est un homme en quête d’abandon, de lâcher prise, qui simplement n’a pas encore choisi son camp. À la frontière entre la vie et la mort, il vit de toute façon un deuil terrible, que Ford sublime en ne montrant que quelques moments-clés de la vie du couple : une rencontre, un souvenir, une disparition. L’amour n’a que faire du degré de sophistication.