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I Saw the TV Glow : critique d’une belle surprise

Par Judith Beauvallet
1 octobre 2024
11 commentaires

Avoir été fan – mais genre vraiment très fan – d’une série ou d’un film pendant son adolescence, on l’a tous plus ou moins vécu. Et on en garde des souvenirs plus ou moins émus ou gênés. I Saw the TV Glow, troisième long-métrage de le.a réalisateur.ice Jane Schoenbrun, aborde ce rapport intense, et en réalité constitutif, aux œuvres de notre jeunesse. Et si, pour certaines personnes envers qui le monde est hostile, la véritable vie se situait plutôt derrière l’écran ? Porté par les interprétations de Justice Smith et Brigette Lundy-Paine (récemment à l’affiche du film Amelia’s Children), ce bel objet filmique non-identifié parle avec ses tripes d’art et de transidentité.

Saw the TV Glow : critique d'une belle surprise A24 © Canva A24

Maddy contre les Vampires

Il y a les œuvres qu’on aime, et il y a celles qui changent notre vie. Et au-delà encore, il y a celles qui SONT notre vie, qui font entièrement partie de nous et notre essence. C’est le vaste sujet auquel s’attaque Jane Schoenbrun, qui avait déjà donné dans le cinéma horrifique en 2021 avec We’re All Going to the World’s Fair, et qui produit de nouveau ici un pur film de festival souffrant d’une distribution très restreinte.

Tout comme pour son précédent film, Schoenbrun explore avec I Saw the TV Glow les thèmes de la dysphorie de genre et de la transidentité, étudiant la manière dont une œuvre de fiction, incarnée dans des images plutôt que dans des corps, peut parler intimement aux personnes prisonnières d’une peau qui n’est pas la leur. Le sujet étant rarement étudié avec autant de sensibilité, l’œil de lea réalisateurice non-binaire sur la question est salvateur en plus d’être terriblement original.

Justice Smith et Brigette Lundy-Paine regardent la caméra. La lumière rose d'un écran de télé les inonde. Derrière eux, un salon sombre et un aquarium à la lumière verte.
Certains membres de la rédaction, qu’on ne citera pas, en plein visionnage de Buffy

Les deux personnages centraux, Owen et Maddy, voient leur adolescence bouleversée par leur obsession pour une série télévisée appelée The Pink Opaque. Celle-ci met en scène les aventures de deux amies aux pouvoirs surnaturels qui combattent les forces du mal à distance l’une de l’autre. Avec ses héroïnes puissantes, ses monstres inventifs et son atmosphère kitsch, la série fictionnelle rappelle sans aucune subtilité Buffy contre les Vampires, série qui a su parler mieux que les autres, en son temps et encore maintenant, aux spectatrices et aux communautés queer.

Au cas où le spectateur douterait tout de même du clin d’œil : le film offre le temps d’une scène un cameo très à-propos de l’actrice Amber Benson, ancienne interprète du personnage de Tara Maclay dans Buffy. Au-delà de la reprise d’une esthétique 90s, le choix de la référence n’est pas anodin, et Jane Schoenbrun va développer toute une réflexion autour de thématiques déjà abordées dans la série portée par Sarah Michelle Gellar.

Les Buffy et Willow de The Pink Opaque

The Pink Owen

Le croisement des chemins d’Owen et Maddy permet de montrer deux facettes d’une même souffrance dans la quête d’identité (de genre et même plus générale). De son côté, Maddy, qui découvre la série en étant plus âgée et plus affirmée qu’Owen, assume pleinement sa passion et exclue d’emblée l’idée que son rapport à The Pink Opaque puisse n’être qu’une obsession adolescente passagère et superficielle. Elle y voit l’instrument et le squelette de sa construction personnelle, et la série fictionnelle devient pour elle une vie plus véritable que celle du monde tangible.

Owen, dont les ailes sont rognées par des parents autoritaires et surprotecteurs, quant à lui, est tiraillé entre son attirance pour le monde de The Pink Opaque et le recul qui lui souffle qu’il doit trouver sa place dans la société et ne pas se laisser aspirer par un fanatisme immature. Jusqu’à ce que la réalité de son mal-être profond le rattrape dans une scène déchirante, qui parle de refoulé à travers la métaphore d’un enterrement, plutôt que de se vautrer dans des interrogations épaisses et limitées à base de « fille ou garçon ? ».

Une symbolique des couleurs présente dans chaque séquence

Pour représenter la manière dont les personnages se perçoivent et perçoivent le monde à travers la médiation magique de l’image et de la fiction, la mise en scène utilise généreusement le motif de la projection. La projection sur les écrans (et parfois même dans les écrans), et la projection d’images sur les personnages qui viennent transformer leur apparence, leur corps, leur identité.

Schoenbrun créé alors nombre d’images fantasmagoriques qui, en plus d’être esthétiquement magnifiques, accompagnent l’idée que les personnages doivent littéralement se projeter pour pouvoir devenir, puisqu’ils ne peuvent réellement « être » au travers de l’identité qui leur est donnée. En résulte une atmosphère pesante et grave, mais aussi enchanteresse, qui représente à merveille la douleur de la dysphorie de genre, mais aussi l’espoir de son acceptation.

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Horror trop elevated

Mais la singularité et la beauté du film ne l’empêchent malheureusement pas de tomber dans quelques écueils. En effet, dès lors que Maddy est de retour dans la vie d’Owen après être allée faire un tour dans le monde de The Pink Opaque, ses discours énigmatiques créent quelques longueurs. A la fois poético-surréalistes tout en étant un poil surexplicatifs, ces dialogues donnent lieu à des scènes toujours aussi hypnotiques visuellement, mais aussi verbeuses et statiques.

Le film plonge alors dans un flou d’intrigue qui, s’il correspond bien à son ambiance insaisissable, perd un peu l’intérêt du spectateur et fragilise l’ensemble. Par ailleurs, certaines séquences pâtissent d’une écriture à peine assez rigoureuse du personnage d’Owen, qui est parfois trop transparent dans sa manière de n’exister qu’à travers sa fascination pour la série et pour Maddy.

L’un des plus beaux plans du film

Si l’idée est justement de représenter un personnage qui peine à exister, à s’affirmer et à prendre corps dans le monde, l’effet reste trop prononcé pour celui qui est censé être le protagoniste central et narrateur de l’histoire. Ce défaut augmente le côté “film de festival” en tirant parfois I Saw the TV Glow du côté de la contemplation de belles images et de propositions esthétiques sans incarner suffisamment les enjeux.

Cela dit, le final bouleversant rappelle ce que tout le film a sous la pédale et vient cueillir le spectateur là où il ne le pensait pas, le laissant avec un goût amer mais des étoiles (et des larmes) pleins les yeux.

Affiche de I Saw The TV Glow
Rédacteurs :
Résumé

Une œuvre d’une beauté et d’une originalité rares, au discours sensible et brillant sur la transidentité, mais qui n’échappe pas à quelques clichés caricaturaux de cinéma indé.

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Brice

C’est pas un film d’horreur et c’est moi, mais moi… Difficile de pas s’endormir devant une telle daube..

Kel

Malgré le démarrage fascinant, j »ai été ensuite déçu par tous les aspects bancals du film que vous évoquez, et qui m’ont laissé avec un deuxième goût amer, celui du pétard mouillé. POURTANT, avec le recul, je dois admettre que j’ai été touché quelque part, à un endroit où la plupart des films me foutent la paix. Et ce qui persiste après 2 semaines ce serait plutôt la saveur acidulée du reviens-y. Pour lui laisser une vraie deuxième chance.
Le traitement des thème sous-jacents est original, délicat et habile. Ces thèmes sont suffisamment maîtrisés pour ne jamais tomber dans le discours de niche moralisateur, mais au contraire élargir la perspective à des questionnements universels.

Pour ce qui est du côté « horreur », ce n’est clairement pas un film d’horreur, et ça ne fait jamais vraiment peur. Le character design des « méchants », en revanche, est vraiment réussi et glauque à souhait.

lautre

Très lent et ennuyeux pour ma part ! Déçu….comme quoi même A24 ne réussit pas à chaque film…

Stan gagnepierre

On n’a pas vu le même film. J’ai trouvé ça ennuyeux, mal réalisé, mal joué et incompréhensible pour les personnes non renseignées sur le sujet (ce qui n’est pas mon cas).

Ch.81

Film complètement naze MAIS surtout abscons.
Un film psychédélique de la famille The belgium wave.
Si ça plait à la génération Z, il en faut pour te le monde.

Docteur Benway

Pareil que Evaman10, je me suis fait chier comme un rat mort dans ce truc très joli visuellement mais très creux dans le fond. Alors ok, le sujet est sympa mais c’est mal rythmé et Justice Smith passe son temps à faire les gros yeux pendant 1h30, ce qui devient ridicule au bout d’un moment. Ça m’a rappelé un peu les travaux de David Robert Mitchell avec le côté vaporeux et ces ados coincés en banlieue, mais en version emmerdants.

Nico1

Il y a une sortie de prévue en France? Cette critique m’a vraiment donné envie de le voir!

cidjay

Pour le coup, jai beau être un inconditionnel des prods A24 et de « l’elevated horror », la bande annonce m’a plus fait ressentir le côté « elevated » que « horror ».
Pas suffisamment hypé pour que ça me donne réellement envie. Mais merci pour la critique, je me laisserai certainement convaincre dici quelques temps.

Ghob_

Salut, Judith !
Très belle critique d’un film, qui a l’air effectivement assez particulier et unique dans son genre (je ne sais pas si la proposition me plairait, mais si ça passait sur une plate-forme, je pourrais être assez curieux pour tenter le truc). Juste une question, au passage : qu’est-ce qu’une « dysphorie » au juste ? (oui je sais, une recherche sur gougoule et le 1e dico en ligne me donnera la déf., mais je préfère avoir l’avis et les propres mots de la personne, et un minimum de contextualisation, si c’est possible ^^).

Evaman10

Pour ma part, je n’ai pas du tout adhéré à la proposition. Je me suis beaucoup ennuyé.