Le magicien Oz
En 2023, le réalisateur Damián Szifrón offrait le très bon Misanthrope, réécriture moderne et dépressive d’un Silence des Agneaux sur fond de violences policières. Aujourd’hui, Longlegs vient compléter la sainte trinité des thrillers mettant en scène une jeune recrue du FBI accompagnée par un mentor dans la recherche d’un tueur en série aussi charismatique qu’effrayant, le film d’Oz Perkins représentant la version épouvante et quasi-fantastique du concept. Fort de son profil de réalisateur-esthète, Perkins frappe très fort dès la séquence d’introduction, dont l’atmosphère et la mise en scène font frissonner au plus profond de la colonne vertébrale.
L’image est presque entièrement blanche, entre la neige qui recouvre tout, la maison qui se détache à peine dans le décor, et le ciel pâle qui surmonte l’ensemble. Lorsque Longlegs apparaît partiellement, il est lui aussi vêtu de blanc, et sa peau (pour le peu qu’on en voit) n’est pas davantage colorée. Le petit aperçu de son physique dérangeant n’en est que plus frappant, seule branche immonde à laquelle se raccrocher dans cet univers froid et vide. Perkins s’amuse d’entrée de jeu à construire une atmosphère particulièrement noire avec une image particulièrement blanche, se réappropriant avec génie la représentation de la menace humaine comme grand méchant loup de conte de fées.
Et ça ne fait que commencer, bien que cette séquence reste peut-être la plus forte du film. Par la suite, Perkins enchaîne les scènes au rythme lent, aux images belles et étranges, et au suspens intenable. Mention spéciale à la séquence dans laquelle Lee explore une maison vide à la recherche du tueur. L’héroïne est filmée de dos, tandis qu’elle brandit son pistolet devant elle, parcourant les pièces dont le calme n’est perturbé que par les bâches en plastiques soulevées par le vent. De quoi rappeler la fameuse scène du Silence des Agneaux dans laquelle Clarice Starling cherche son chemin chez Buffalo Bill, alors que celui-ci l’observe avec ses lunettes à vision nocturne. Et ce n’est pas pour déplaire.
Mais le passage le plus effrayant est sans doute celui qui montre Lee tenter de déchiffrer les messages de Longlegs (qui se prend un peu pour le Zodiac) chez elle le soir, et que le tueur lui-même vient… la taquiner. Suspens simple mais efficace et jeu sur le son, avec toujours un aller-retour entre les cadres larges et vides et les plans resserrés du regard de Lee sur son travail, cette séquence est une leçon de thriller horrifique à elle toute seule. Malheureusement, elle est peut-être le dernier coup de génie du film.
Le magicien ose
Oz Perkins sait faire de belles images et construire de belles atmosphères, c’est sûr. Mais comme c’était déjà le cas pour ses précédents films, l’écriture pâtit cruellement de sa préférence pour l’esthétique. Ce défaut était particulièrement criant dans I Am the Pretty Thing That Lives in the House, joli fantôme évanescent sans squelette qui charmait mais ennuyait surtout. Il en était toujours un peu de même dans Gretel et Hansel, que Perkins avait toutefois eu le bon goût de ne pas scénariser. Avec Longlegs, le réalisateur est de retour à l’écriture, et ça se sent.
Forgeant toute la première (et magnifique) moitié du film sur le mystère et la suggestion, donnant l’impression que quelque chose d’insaisissable et de potentiellement fantastique se trame dans cette affaire, Perkins casse dans la deuxième partie tout ce qu’il a entrepris. Trop d’intrigues se croisent sans avoir été correctement installées, résultant en un carambolage d’informations et de dialogues explicatifs dans le dernier segment, alors que toute l’ambition du début était d’engager une enquête tout en silence et sous-entendus.
C’est au moment où Lee et son mentor découvrent l’une des poupées hyper réalistes que l’on comprend que le film n’est pas à court de bonnes idées, mais qu’il se lance trop tard dans des sous-intrigues qui mériteraient de leur accorder plus de temps pour qu’elles fonctionnent. Ainsi, ces fameuses poupées sont à la fois sous-employées et superflues dans un film qui n’avait pas besoin d’elles pour faire flipper. Il en est de même avec la dimension satanique (finalement à peine effleurée) de l’histoire, qui semble particulièrement forcée dans un récit qui fonctionnait parfaitement sans elle.
Avec ce retournement de ton et de rythme va aussi une tendance à trop exposer le personnage de Longlegs, qui perd d’ailleurs en potentiel horrifique et en charisme au fur et à mesure que son importance dans l’histoire est précisée et relativisée. Le spectateur doit se rendre à l’évidence que beaucoup des effets pourtant réussis de la première partie visaient en fait à construire artificiellement un mystère autour de choses finalement très peu mystérieuses, et que le réalisateur a beaucoup compté sur l’esbrouffe. Sans même parler d’éléments posés comme cruciaux dans le parcours de Lee, comme son intuition à toute épreuve, qui ne resserviront jamais après une ou deux scènes.
Le magicien dose
Pourtant, malgré cette arnaque assez évidente du scénario, Longlegs parvient à laisser une impression majoritairement positive. Tout d’abord parce que la force de la séquence d’introduction reste en tête pendant tout le film et encore bien après. Il y a aussi la beauté visuelle qui, si elle trahit le désintérêt du réalisateur pour la rigueur de l’écriture, apporte elle-même beaucoup au récit. On peut par exemple souligner le grain et la colorimétrie de la photographie qui, en réponse aux flash-backs cadrés comme des diapositives, continuent de donner l’impression que Lee voit les choses comme des photos d’enfance. Son rapport au passé, omniprésent, détermine autant son approche de l’enquête que l’image.
Mais ce qui fonctionne aussi particulièrement bien, c’est évidemment le casting. Les afficionados du genre seront forcément ravis de voir Maika Monroe revenir dans ce genre de rôle, car si l’actrice tourne régulièrement depuis l’indépassable It Follows, elle peine à s’imposer dans des productions solides. En héritière neurasthénique de Jodie Foster, elle confirme ici avec talent son adéquation au genre de l’horreur sombre et contemplative.
De l’autre côté, il y a évidemment Nicolas Cage, joker improbable d’un film qui fait de lui un pur boogeyman. Le caractère souvent méta des derniers rôles de Cage, dont la carrière s’auto-commente de plus en plus au fur et à mesure que l’acteur choisit des rôles toujours plus loufoques, perdure dans Longlegs. Arborant une allure complètement décalée et étrange, ce tueur représente le marginal par excellence, d’autant plus que son visage est transformé par la chirurgie esthétique pour des raisons inconnues. Rien d’anodin pour le paria inclassable d’Hollywood qui va toujours là où ne l’attend pas, surtout s’il peut y ajouter une touche d’auto-dérision.
Si Longlegs déçoit largement dans sa dernière partie, il faut donc bien admettre que le film a suffisamment d’atouts pour séduire et habiter son spectateur, le marquant au fer rouge à plusieurs reprises. Ca ira pour cette fois, Perkins, mais peut mieux faire pour la prochaine fois.
On a vraiment pensé la même chose en tout point, jusqu’à même se dire que malgré la déception de la deuxième partie, la balance penche quand même plus vers le « j’ai aimé » que l’inverse. Et cette scène d’intro qui reste en mémoire, surement comme effectivement la meilleure du film.
Ah elle s’est fait refaire salement le visage elle aussi.. quelle horreur.
J’ai l’impression que c’est une constante des films d’horreurs regardables de ces dernières années non ? le coup du : « très bonne première partie, 2e en eau de boudin…. »
(je pense notamment à « When Evil Lurks », Barbarian, …)
(C’est la malédiction Stephen King ? ^^)
1.5/5 pour moi
Longlegs est la preuve qu’une excellente campagne marketing peut autant être un avantage qu’un inconvénient.
Si Osgood Perkins a lu avec la plus grande attention le manuel de L’Elevated Horror Pour Les Nuls ce n’est que pour mieux amener le genre au 36e sous-sol avec son scénario incohérent et bardé de facilités et de trous qu’il espère combler avec une mise en scène certes chiadée mais déjà vue.
Et ce n’est pas la performance de Maika Monroe en bouledogue neurasthénique qui remonte le niveau.
Tant d’attente juste pour ça…
— cherche son chemin chez de Buffalo Bill