Le bureau d’Edouard Baer est un joli duplex. « Les quartiers du ministre », comme il l’annonce tout sourire au début de l’entretien. Le QG promotionnel aussi. À deux semaines de la sortie d’Akoibon, son deuxième film en tant que réalisateur après une singulière Bostella en 1999, les interviews se succèdent et la plupart du temps se ressemblent pour frôler la quinzaine par jour. Relativement difficile donc de se démarquer ou d’éviter les répétitions. Les incontournables questions référentielles sont ainsi expédiées en fin d’interview, pour se recentrer sur le film et son univers.
Bien que vous soyez apprécié du public, et même de vos confrères, vos uvres, au cinéma avec La Bostella ou à la télévision avec Le Grand Plongeoir sur France 2, ne rencontrent pas toujours le succès.
Le Grand Plongeoir était un beau ratage. Je n’y étais pas à l’aise, le format ne me convenait pas, et d’ailleurs, j’en assume l’entière responsabilité. Par contre, Le Grand Mezze avec François Rollin au Théâtre du Rond-Point tournait à guichets fermés tous les soirs, et aurait pu continuer sur sa lancée des mois durant. Quant à La Bostella, il est sorti sur une poignée de copies, on ne peut donc pas dire qu’il s’adressait à un large public. Avec Akoibon et ses 150 copies, le pari n’est plus le même. Il a fallu faire quelques compromis.
Des compromis, c’est-à-dire ?
Sur la narration, je veux dire. Je trouve qu’il faut faire un compromis de narration. Car pour moi, le cinéma est encore un art populaire, du moins il faut essayer qu’il le soit. Je ne fais pas de l’installation, du cinéma expérimental. Ce sont des gens passionnants
mais si je veux sortir en salles, et c’est ce qui m’intéresse, je dois être un peu plus généreux et donc narratif. Il y a des films, où je préfère incorporer des scènes un peu ratées mais importantes pour l’explication, que de rester avec des scènes très bien jouées et mises en scène au risque de perdre les gens. Et d’avoir de bonnes critiques en plus ! Il y a une envie de rencontrer le public, tout en ayant conscience que ce n’est pas un film qui fera des millions d’entrées. Je ne suis pas non plus entièrement naïf, mais, dans ses folies, ses déconstructions, ses accélérations ou ralentissements, ses tiroirs, ses détours
Je pense que c’est peut-être plus une question de générations. J’ai l’impression que les jeunes de 20-30 ans rentrent plus dedans.
Cela m’a rassuré qu’un film comme Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre, qui a un humour très particulier, fasse autant d’entrées. Cela montre que le cinéma populaire ne repose plus uniquement sur la recette des comédies des années 80. Cette conception, avec un Christian Clavier en haut de l’affiche par exemple, ne fonctionne plus. Mon honnêteté est de faire des choses que je trouve très drôle en pensant que les gens les trouveront aussi drôles.
Vous avez un univers très personnel, décalé, qui fonctionne plus en cercle fermé ou carrément d’amis -, et vous avez tout de même les moyens de le montrer au nez et à la face du monde. Comment voyez-vous ça ?
Si je continue, c’est que mon humour ne plaît à aucun groupe précis, mais plus à des individualités, qui au final sont beaucoup. Ainsi, un jour, Claude Chabrol m’a dit qu’il avait l’impression que le centre de visionnage sur Canal + lui était personnellement destiné. Que c’était un clin d’il, et que personne d’autre ne devait comprendre, et rire. C’est aussi ce qui est arrivé avec le monologue du scribe dans le Astérix d’Alain Chabat. C’était une impro, et au début les producteurs l’ont prié de couper cette scène. Incompréhensible et trop longue selon eux. Et après plusieurs années, c’est le moment dont on me parle le plus. Il m’arrive de croiser des jeunes, qui l’ont littéralement apprise par cur. Tout simplement, parce que Chabat, comme Chabrol, a confiance en son goût. Pour Akoibon, j’entends la même famille de phrases : « Dans l’époque actuelle, je ne sais pas qui va rire à ça, mais moi ça me fait hurler de rire ». En fin de compte, sans que l’on s’en rende vraiment comtpe, cela finit par faire du monde.
L’idée du film, enfin surtout la deuxième moitié, fait tout de suite penser au concept des Clés de bagnole de Laurent Baffie.
Son film m’a beaucoup touché, il est par moments très drôle et surtout toujours honnête. Mais il reste beaucoup trop sage. Il respecte tellement le cinéma qu’il n’y a aucune invention, à part les champs/contre-champs qui ne sont pas raccords. Sinon, c’est l’uvre d’un enfant, qui ne rêve par exemple que de monter dans un hélico. Il n’y a pas de folie du tout, ce qui est assez étonnant d’ailleurs pour un homme comme lui. Et surtout, il a refusé de faire une histoire, il s’est simplement mis en scène. Dans Akoibon, il y a cette mise en abyme, sauf, et c’est ce qui est important, l’histoire continue. L’intrigue doit rester plus importante que la mise en abyme. Chez moi, ce n’est qu’un des aléas de l’histoire. C’est même sa logique directe.
Faites-vous une différence entre vos rôles d’acteurs dans vos films, et dans ceux des autres ?
J’ai envie, et j’aime que l’on me propose des rôles qui changent un peu de ce que je suis dans la vie. Cela ne m’amuse pas toujours d’être assis dans un café, et de boire un verre avec une cigarette. Je commence à fatiguer de jouer l’urbain trentenaire, qui se demande s’il doit entrer dans la vie ou rester un éternel enfant. Cela m’arrive d’ailleurs plus souvent que l’on peut le penser de jouer autre chose. Je pense au rôle de loser dans Mensonges et trahisons. Sinon, les films ne sont malheureusement pas toujours vus, comme À boire. J’ai aussi bien envie de me déguiser, de faire de la composition, ou de prendre des voix. Mais, me faire plaisir à tout prix, et camper un travesti dans un film pour sept personnes, par fierté d’acteur, non merci.
Et vos envies au cinéma ?
Travailler avec de grands metteurs en scène. Après, ils me proposent ce qu’ils veulent. Et force est de constater qu’il n’y en a pas deux cents : Blier m’a appelé , j’y suis allé, Gérard Mordillat, je vais faire Topaze avec lui, d’après Marcel Pagnol, Jacques Audiard, Pierre Salvadori, Matthieu Kassovitz, qui faisait de très beaux films en France avant d’aller tourner des séries B aux Etats-Unis…
Si vous deviez citer quelques références ou influences. Des acteurs ?
En vrac : Michel Simon, Jules Berry, Louis Jouvet, puis pour la génération d’après, Michel Serrault, Jean-Paul Belmondo, et bien sûr Jean Rochefort.
Et des films ?
Mon film culte reste Broadway Danny Rose (1984) de Woody Allen. Sinon Quoi de neuf, Pussycat ? (1965), Meurtre d’un bookmaker chinois (1976) de John Cassavetes ou encore le cinéma de Philippe de Broca, avec une préférence pour L’homme de Rio (1964).
Propos recueillis par Vincent Julé.
Autoportrait de Edouard Baer.