PLANCHER DES VACHES
Le réalisateur Francis Lee, originaire de la région, propose un premier long métrage d’une force assez remarquable. Très bien construit et mis en scène, le film narre la rencontre entre deux hommes dans un univers à risque et traditionnellement ancré dans le secret. L’histoire évoque à la fois la solitude, l’ennui et la pulsion mal gérée dans un village perdu, autant de thématiques qui trouvent une logique dans le propos du metteur en scène.
Johnny est ainsi dépeint comme un rustre égoïste, vivotant entre un élevage bovin et des rencontres homosexuelles peu gracieuses à la limite du besoin efficace et primaire. Le héros est, au sens figuratif, un bon paysan sans culture, existant dans le besoin du travail et en réaction à l’éducation directe de sa famille. Sous les yeux castrateurs de son père et le regard attendri de sa grand-mère, il est obligé de prendre cette existence comme il le peut.
L’arrivée soudaine de l’intrus, un beau Roumain travailleur et intelligent, va semer le changement dans ses habitudes. Ce dernier, alors d’abord vu comme un étranger un brin gênant, finira par imposer ses connaissances dans le métier ainsi que ses aptitudes à gérer un domaine. Parallèlement, et alors que tout est fait pour les opposer, une histoire reliera les deux protagonistes sauvagement puis amoureusement.
L’EXPERIENCE INTERDITE
Francis Lee évoque en seconde lecture le besoin de l’autre et la nécessité de faire vivre une relation interdite dans un lieu où tout est tenu par les traditions. Le héros, par cette découverte amoureuse et ce changement dans son cœur, fera tout pour imposer cette différence à une culture figée et conservatrice. Les comédiens sont au diapason, et les deux héros parfaitement campés par Josh O’Connor et Alec Secareanu. Les deux acteurs sont remarquablement dirigés, entre sensibilité à fleur de peau et lente transformation des sentiments.
Visuellement, le choix du réalisateur oscille entre une peinture crue de la nature régionale, à la limite du documentaire, et une envie de montrer la difficulté des corps à se mouvoir, la saleté dominante et finalement la grâce de la vie que l’on peut y trouver. Les deux héros accouchent des brebis et des vaches avec plus ou moins de réussite, la caméra suivant avec détails les aléas de ce travail si particulier. A côté de ça, les corps sont filmés directement, le spectateur est alors proche de la chair, à la ressentir dans sa tristesse et dans son envie de désir permanent. A ce titre, le film est une réussite totale, l’un des vrais traitements narratifs restant cette image de la peau fatiguée mais bel et bien vivante.
Ce que semble vouloir le metteur en scène, c’est que quel que soit l’endroit où il naît, l’amour prend forme et peut se réaliser avec vigueur et force. Les corps et les êtres se mélangent, s’observent et se font ainsi vivre. Les pulsions humaines et les instincts animaux sont proches, cousins cellulaires, dans une nature qui reste dominante et toujours étrange. Mais la vie, elle, nous habite.