Films

Place publique : critique bobo-mou

Par Geoffrey Crété
12 avril 2018
MAJ : 29 octobre 2018
7 commentaires

Il est loin le temps du Goût des autres, avec ses 5,2 millions d’entrées, son succès phénoménal et ses prix prestigieux, des César à la nomination à l’Oscar du meilleur film étranger. Le duo formé par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri (elle à la réalisation, eux deux au scénario et à l’écran) n’a plus retrouvé la formule enchantée avec Comme une imageParlez-moi de la pluie et Au bout du conte, mais continue à être suivi de près par beaucoup de monde. Leur cinquième comédie, Place publique, avec aussi Léa Drucker, Frédéric Pierrot et Helena Noguerra, renverse t-elle la vapeur ?

Photo Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri

LE TALENT DES AUTRES

Dans Place publique, il sera question d’une soirée organisée par la productrice (Léa Drucker) d’une émission de radio dans sa maison de campagne, à 35 minutes de Paris à vol d’oiseau. L’occasion pour elle de réunir de nombreuses personnes plus ou moins proches, des voisins aux serveurs en passant par une star de Youtube, autour de son présentateur vedette (Jean-Pierre Bacri), un vieux grincheux rongé par les angoisses et la jalousie avec sa ravissante petite amie, et sa soeur (Agnès Jaoui), qui est aussi l’ex-femme du présentateur.

Si le programme ressemble à quelques dizaines de petites comédies vues ces dernières décennies, c’est parce que le cinquième film d’Agnès Jaoui, co-écrit avec son acolyte Jean-Pierre Bacri, ressemble à des dizaines de comédies vues ces dernières décennies. Petites disputes, petites tensions, petits secrets, petites répliques cinglantes, petites réflexions sur la vie : Place publique est finalement une petite comédie bien anodine, où la patte de Jaoui-Bacri est très discrète.

 

Photo Agnès Jaoui, Léa Drucker Léa Drucker et Agnès Jaoui 

 

LA FÊTE A LA MAISON

Place publique est à l’image des personnages campés par Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui. Il est bien sûr un vieux ronchon, amateur de bons mots francs et cinglants, incapable de masquer son mépris pour certains ou afficher un sourire poli, coincé dans un décor de fiesta qui rappelle le récent Le Sens de la fête. Elle est bien sûr une gauchiste idéaliste, sensible et vive, gentiment décalée. Le film est donc bien sûr construit autour d’une galerie de stéréotypes, de la serveuse provinciale qui pense plus aux selfies avec les personnalités qu’aux coupes de champagne à servir, à la star de Youtube (Mister V plus ou moins dans son propre rôle) qui règne sur le bord de la piscine, en passant par le chauffeur humble, attachant et sensible.

Pas que ce soit un problème en soit : quantité de belles comédies s’amusent avec les clichés pour en tirer des rires et des réflexions drôles et fines, à commencer par les films d’Agnès Jaoui avec Jean-Pierre Bacri, dont le regard sur l’humanité a souvent été aussi mordant qu’intelligent. Place publique a ainsi un angle d’attaque similaire, autour de leurs sujets de prédilection (le choc des cultures, l’élitisme, les privilèges des uns, la politique en filigrane).

Mais ce qui manque ici, c’est la justesse dans ces portraits, organisés le temps d’une soirée mouvementée, entre rires et larmes. Place publique ne raconte rien de vraiment fort sur ces êtres un peu perdus, névrosés, esseulés, incompris. Le film se contente de les regarder dans leurs petites aventures, sans parvenir à agencer leurs conflits pour narrer quelque chose qui les dépasse.

 

Photo Jean-Pierre BacriJean-Pierre Bacri vs Mister V

 

PARTIE DE CAMPAGNE

La mécanique du rire est elle aussi en peine, puisque profondément vieillotte et simplette. Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri abusent des running gags très plats (un chien qui aboie, un convive qui broie les mains, un accent étranger incompréhensible ou le nom d’une serveuse hurlée), un peu trop confiants dans leur efficacité pour construire quelque chose à côté. Il y a bien quelques petits éclats dans les répliques, mais là encore difficile de ne pas repenser à leurs précédents films, où l’écriture était bien plus vive et dynamique.

L’intention de mettre en scène la rencontre entre deux mondes, avec la soirée entre Parisiens qui illustre de manière caricaturale la frivolité de ces personnes narcissiques, face aux voisins agriculteurs excédés par leur boucan, est certes louable, mais bien pauvre en terme de dramaturgie. L’effet du flashforward en ouverture se révèle parfaitement raté, voire même hors de propos vu le ton de l’histoire. 

 

Photo Jean-Pierre Bacri, Helena Noguerra Helena Noguerra et Jean-Pierre Bacri 

 

Seule chose qui fonctionne plus que le reste : le discours sur le temps qui passe, qui parcourt la filmographie du duo depuis au moins Comme une image. L’ex-présentateur vedette incarné par Jean-Pierre Bacri est rongé par l’angoisse du temps qui lui échappe, et la fille qu’il a eue avec le personnage d’Agnès Jaoui est une sévère piqûre de rappel de leurs faiblesses. Il y a une discrète mélancolie dans les aventures a priori douces de ces personnages qui, derrière leurs rires et hurlements, voient leurs vies bloquées dans des impasses moins lumineuses que prévu.

C’est certainement dans ces moments-là que Place publique a le plus d’intérêt et de force, et apporte une touche un peu particulière à la formule sinon trop conventionnelle, anodine, et finalement dispensable.

 

affiche

Rédacteurs :
Résumé

On est loin des films percutants, malins et fins d'Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri avec cette petite comédie bien banale.

Rejoignez la communauté pngwing.com
Pictogramme étoile pour les abonnés aux contenus premium de EcranLarge Vous n'êtes pas d'accord avec nous ? Raison de plus pour vous abonner !
Soutenir la liberté critique
Vous aimerez aussi
Commentaires
guest
7 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Slaine

Rien que pour helena…

Raoul

J’ai pas vu leurs tous derniers, mais je trouve Bacri un peu moins investi dans ses rôles. Je l’ai trouvé insupportable dans le Sens de la Fête (qui est une bouse infame). Par contre Jaoui, pour avoir vu Aurore récemment, rayonne.

Par ailleurs difficile de vous suivre, 4/5 à Au Bout du Conte, critique où vous incendiez le Goût des Autres « une certaine morgue de gauche donneur de leçons et une réalisation atone pour ne pas dire insignifiante ».

Geoffrey Crété

@Raoul

Déjà, l’équipe a grandement changé depuis cette époque, ce qui explique beaucoup de choses. Et on ne va pas effacer plein critiques car on revendique la diversité des opinions à la rédaction. C’est aussi naturel que sain, pour nous. Il n’y a pas de ligne officielle à suivre du type « Ecran Large aime tel film, impossible d’écrire le contraire ».
D’où certains dossiers autour de films qui partagent profondément la rédaction, ou de boutades dans les articles où un rédacteur exprime son avis.

sylvinception

Bacri avec une moumoute… Priceless!!

Pulsion73

Raoul n’a pas vu le sens de le fête, c’est pas possible.