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Bienvenue en Sicile : critique libérée

Par Christophe Foltzer
23 mai 2018
MAJ : 21 octobre 2018
4 commentaires

Si l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, elle conserve cependant ses zones d’ombres, ses endroits qui ne sentent pas bons et que la bonne morale souhaite faire oublier. Heureusement, des films comme Bienvenue en Sicile existent pour nous rappeler que les choses sont rarement ce qu’elles semblent.

photo bienvenue en sicile

AFFREUX, SALES ET MECHANTS

En dédiant, dès son carton d’ouverture, le film à la mémoire d’Ettore Scola, le réalisateur Pierfrancesco Diliberto (alias Pif) met la barre très haut tout autant qu’il nous fait une belle promesse : celle de se retrouver enfin devant une comédie italienne à l’ancienne, c’est à dire acide, désenchantée et engagée. Il ne faut pas longtemps pour comprendre que c’est bel et bien le cas.

Nous voilà projetés en 1943, en pleine Seconde Guerre Mondiale. Pour fragiliser Mussolini, les Etats-Unis et les Alliés décident de débarquer en Sicile, point d’entrée idéal vers le Vieux Continent, occupée par les Nazis et les Fascistes. Pour y parvenir, les services secrets américains n’ont d’autre choix que de demander de l’aide à Lucky Luciano, parrain des parrains alors emprisonné, pour qu’il les mette en relation avec ses fidèles à Crisaffulo, petite ville occupée de Sicile, idéale pour le débarquement. En parallèle, nous suivons Arturo, serveur un peu benêt, immigré sicilien à New-York et qui file le parfait amour avec Flora, pourtant promise au fils du parrain local. Seule solution pour lui, se rendre en Sicile et demander la main de Flora à son père, resté à Crisafullo. Il s’engage donc dans l’armée pour pouvoir se marier.

 

photo bienvenue en sicile

La guerre à huit ans

 

Si nous sommes clairement dans le cas classique de la petite histoire qui nourrit la grande et réciproquement, le fond historique, et donc réel du film, n’est jamais oublié. Diliberto a un message à nous faire passer mais, vu sa teneur, le recours à la comédie, pure et/ou romantique, semble la meilleure solution plutôt que l’attaque frontale.

Parce qu’en réalité, Bienvenue en Sicile ne parle pas d’autre chose que de la mainmise de la mafia, et de Cosa Nostra en particulier, sur la Sicile, et plus tard l’Italie, avec la complicité active des Etats-Unis qui pactisent une fois de plus avec le diable pour débouter un puissant ennemi. Chacun y a son intérêt et, comme c’est très bien montré dans le film, le peuple n’est là que pour subir. Cela dit, ce que le film décrit aussi très bien c’est qu’il y a aussi une permissivité populaire qui permet cette arrivée mafieuse. Poussés par la faim, la misère et la peur, chacun se replie sur soi-même, survit du mieux qu’il le peut, en volant un mort ou en s’accrochant aveuglément à une statue du Duce cachée dans un placard pour se rassurer.

 

photo bienvenue en sicile

Une arrivée américaine en trompe-l’oeil…

 

 

Tout le monde cherche un sauveur. Tout le monde est prêt à accepter un moindre mal sans se douter que le ver est déjà dans le fruit. On y voit donc une critique violente des méthodes impérialistes américaines, qui n’en sont pas à leur premier coup d’éclat et qui ne s’arrêteront pas en si bon chemin (vu qu’ils referont exactement la même chose en Amérique Latine et au Moyen-orient, des décennies durant), tout autant qu’une profonde remise en question de la Sicile et de son histoire. Forcément, quelques dents qui grincent sont à prévoir.

 

photo bienvenue en sicile

Libéré, mais pas forcément délivré

 

COMEDIA DELL’ARTE

Pourtant, qu’on ne s’y trompe pas, Bienvenue en Sicile n’est pas qu’un pamphlet acide sur une période sombre de l’histoire européenne, c’est avant tout une excellente comédie italienne. Regorgeant de personnages hauts en couleur et profondément charismatiques (servis par une distribution des plus solides) le film multiplie les situations drôles et parfois loufoques (on pense notamment à la course entre deux statues du Duce et de la Vierge Marie en plein bombardement) avec une énergie et un sens du tempo qui force le respect

Les personnages sont marquants et leurs caractères parfaitement définis, profonds et incarnés, ce qui nous les rend particulièrement attachants, d’autant que le film n’oublie jamais de se moquer de la naïveté de notre couple référent, particulièrement d’Arturo, stupide d’amour au point d’aller au coeur de l’horreur pour demander la main d’une femme déjà promise à quelqu’un d’autre. Mais c’est évidemment ce qui le rend touchant et humain. Et c’est malheureusement là que réside le plus grand défaut du film. Trop de trajectoires, trop de personnages, trop de pistes lancées en même temps et qui ne seront pas toutes traitées par la suite avec la même attention. Résultat, certaines histoires ne sont qu’effleurées alors qu’elles promettaient énormément. Un équilibre difficile à trouver, tant le propos, capital, pousse el scénario à s’extraire de son cadre imposé.

 

photo bienvenue en sicile

Les vautours, déjà en place, attendent leur heure de gloire. Elle ne saurait tarder.

 

Comme souvent, la comédie possède un fond tragique et le film ne se prive pas de le montrer en nous dévoilant très tôt les horreurs de la guerre. Qu’il s’agisse des bombardements, de charniers, de misère, de famine ou de l’injustice purement administrative et de la cruauté qui en découle, Bienvenue en Sicile est malheureusement très actuel. Trop actuel même. Parce que le film, en plus d’être un morceau d’Histoire sacrément honteux pour le « camp du Bien » est aussi une sonnette d’alarme évidente pour notre époque et ce qui se passe en ce moment.

Cette désagréable impression que l’Histoire se répète, que le sort de l’Humanité se résume à des tractations financières entre plusieurs intervenants peu soucieux des populations concernées. Une négoce hostile où l’horreur succède à l’horreur tout en se drapant de valeurs fondamentales telles que la démocratie, la liberté et la fraternité des peuples. A l’heure où l’Histoire semble condamnée à se répéter, où les consciences se radicalisent, où l’Humain semble oublier son passé et où le destin de tous semble dans la paume d’une poignée de scélérats, voir un film comme Bienvenue en Sicile est une excellente chose et, malheureusement, une douloureuse nécessité.

 

Affiche officielle

Rédacteurs :
Résumé

Comédie italienne pur jus, drôle et caustique, tout autant que touchante et profondément humaine, Bienvenue en Sicile est un film plus important qu'il n'y parait par les thèmes qu'il aborde et le constat amer qu'il dresse de la condition humaine.

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Babar77

Moi aussi j’y ai vu Matt Leblanc

Loh

Moi aussi j’ai cru à Matt LeBlanc!! 🙂

Saiyuki29

Non, j’y ai cru aussi!

Scarface666

Je suis le seul branleur à avoir cru que c’etait Matt LeBlanc, sur la photo de couverture ?