REQUIEM POUR UN MASSACRE
Au détour d’un plan faussement anodin, Annie (Toni Collette) passe devant une des nombreuses maquettes qu’elle réalise et place dans des galeries d’art huppées. Celle qu’elle expose à l’entrée de sa maison représente justement le domicile familial. La bâtisse apparaît au sommet d’un monticule en apparence anarchique, où se mêlent fondations absurdes, excroissances architecturales et coulées de terre organique. En une image remarquablement évocatrice, Ari Aster livre là le principe actif d’Hérédité et la source de la terreur qu’il distille dans l’esprit du spectateur.
Ellen, matriarche des Graham, succombe des suites d’une longue maladie. Alors que sa mort même est accueillie par chacun avec un mélange de soulagement et d’indifférence, ce qui unissait jusqu’alors la famille commence à se déliter pour précipiter chacun de ses membres dans un cauchemar éveillé. Voilà pour le point de départ du récit, lequel ne considère jamais la source de l’angoisse comme un élément extérieur, exogène, qui viendrait menacer une structure stable (en l’occurrence, une famille), mais bien comme le dernier stade d’une pourriture intérieure dont nous constatons ici l’aboutissement.
Des générations de secrets et de doutes ont transformé les Graham en un bourgeonnement malin, sur le point de mûrir atrocement. Fort de cette conception essentialiste de l’horreur – quasiment Racinienne dans son développement –, il n’a pas à jouer l’ambiguïté entre drame psychologique et roller coaster fantastique. En effet, Hérédité est un thriller intime impitoyable, autant qu’un conte fantastique surréaliste et enivrant de cruauté.
Toni Collette au bord de la crise de nerfs
PEUR DU VOIR
Ce qui force l’admiration tout en provoquant régulièrement des accès de peur panique, c’est la souplesse avec laquelle le metteur en scène bascule d’un frisson quasi-psychanalytique – lorsqu’une mère vomit la haine indicible qui la ronge à la face d’un proche – pour mieux bifurquer soudain dans un surnaturel extrêmement agressif. D’où le sentiment vertigineux, notamment après le premier soubresaut narratif qui s’abat sur nos héros, que littéralement chaque élément, protagoniste, accessoire ou arrière-plan peut se transformer instantanément en menace.
Le cauchemar se fait oppression totale grâce au découpage et au montage chirurgical d’Aster. Selon une mélopée tantôt métronomique, tantôt dissonante, il joue du hors-champ, pour soudain nous jeter à la figure une image débordante d’un délire grotesque, hallucinatoire, ou ultra-violente. Impossible dès lors de savoir sur quel pied danser, et donc de résister à cette folle mécanique d’emballement, qui pousse chaque personnage au cœur de ce piège à mâchoire cinématographique.
Alex Wolff, révélation du film, dans une scène paralysante d’effroi
Au-delà du pur dispositif de cinéma, dont la créativité ainsi que la précision ne cessent d’étonner, il convient de saluer les performances de l’ensemble du casting. Toni Collette et Gabriel Byrne, alternativement vaisseau et rempart de l’atrocité, sont excellents, mais ce sont surtout les interprètes de leurs enfants qui sidèrent. Milly Shapiro joue du regard ambivalent que pose le spectateur sur cette enfant (est-elle le symptôme ou la cause du mal qui ronge les siens ?) tandis qu’Alex Wolff donne chair à un adolescent écartelé entre sa veulerie de jeune mâle à l’égo piétiné et la vulnérabilité d’une enfance qui ne finit pas de s’achever.
LE MAL DU MÂLE
Tous ces éléments concourent à faire d’Hérédité une œuvre suffocante. Mais ce qui la transforme en une création singulière autant qu’une nasse irrésistible, c’est son choix de marier jusque dans son ultime plan l’horreur mystique et sociale. Comme si, dans un geste de cinéma d’une radicalité presque inédite, Ari Aster voulait combiner le désespoir de Ne vous retournez pas, le fanatisme de The Wicker Man et l’observation clinique de la défaite masculine d’un Shining.
Milly Shapiro, victime ou vecteur du mal ?
Ainsi, quand le métrage dévoile enfin les tenants et aboutissants de sa mythologie, ce n’est pas tant pour abandonner son terrifiant versant psychologique, que pour lui donner un sens incroyablement tragique, via un broyeur à viande métaphorique qui ne laisse aucune chance au spectateur. Dans un double mouvement, le cinéaste nous adresse une hallucinante représentation du mal, ainsi qu’une réflexion non moins inquiétante sur le mâle, et comment les névroses de tout un groupe social condamnent ce dernier à un éternel enfer.
C’est dans son dernier acte que le métrage abat ses cartes les plus puissantes. Non pas qu’il nous ait épargné jusqu’alors tant ses trouvailles de montage, une rupture de ton (et de nuque) ainsi qu’une poignée d’hallucinations ayant déjà mis nos nerfs à rude épreuve, mais Aster sait que pour nous traumatiser tout à fait, il doit achever son récit sur un climax à la hauteur de nos monstrueuses attentes. Il assume alors de basculer totalement dans le grand-guignol, faisant reposer la peur non pas sur des mécaniques poussiéreuses à base de sursaut, mais sur un éclatement de l’espace, ainsi qu’un travail sonore (cette corde à piano…) qui achève de nous plonger dans la confusion. Et quand les visions, cruelles, gores azimutées, des dernières minutes surgissent, il ne reste plus que les ténèbres pour accueillir le spectateur essoré.
Pas mal ce film.C’est vrai qu’il fait bien peur malgré tout j’ai ri à 2 scènes assez granguignolesques… lorsqu’il se père le nez, trop drôle ! Et la mère quand elle se tape la tête. Y a rien à faire, rien que d’y penser, je ris encore !
Je m’en remet toujours pas,cela fait maintenant une vingtaine de minutes que j’ai vu le film,je n’arrive même pas trouver les mots.Ce film est un chef d’œuvre toi qui lis ce commentaire si tu ne l’as pas vue fonce vite le regarder.C’est si bien réalisé,les problèmes familiales,les sciences occultes chaque sujet traité dans ce film est super bien représenté.Le réalisateur nous fait rentrer longuement et lentement dans le film mais ce n’est point désagréable,ça embellit tellement le finale du film,qui est d’ailleurs plus que choquant et pour ma part fascinant.
Je pense qu’on peut parler de chef d’oeuvre oui.
Quelle mise en scène !
Pour moi c’est le film le + abouti et le + esthétiquement réussi de tout le courant Elevated Horror. Même Mindsommar (qui est très bon) est moins original et bluffant dans sa mise en scène (on dirait plus un hommage (réussi) à Kubrick)
Hérédité et Midsommar. Traumatisant à mort, on en redemande.
« Milly Shapiro, victime ou vecteur du mal ? »
Les deux, mon capitaine!!
« et l’observation clinique de la défaite masculine d’un Shining. »
Citer Kubrick, indispensable of course!! (mais ici, n’importe quoi, soit dit en passant…)
Faites-moi confiance, Hérédité et Midsommar sont autrement plus impressionnants que ce Shining surestimé et tout entier dédié au cabotinage d’un Nicholson en roue libre.
Avec the witch une des propositions d’horreur les plus aboutit et originales de ces derniers années. Chef d’œuvre je ne sais pas faudrait que je le revois car c’est le genre de film que l’on doit oublier un peu pour y revenir et savourer comme un grand cru. Le réal a confirmé pour moi avec Midsommar mais celui là je ne suis pas près de le revoir, trop malaisant.
Chef d’oeuvre absolue ça fesait tellement longtemps qu’on avait pas eu de proposition aussi radical a la limite du film d’auteur que ça m’a fait un bien fou . Oui il existe encore de grand cinéaste
Superbe critique, qui traduit admirablement en mots les sentiments étranges et dérangeants que l’on ressent en regardant ce film. J’ajouterai, en plus de la réflexion sur le mâle que vous pointez à juste titre, qu’il y a aussi une réflexion sur la maternité. D’ailleurs, cela ressort dans votre critique, que vous commencez en décrivant l’activité du personnage de Toni Colette. Celle-ci manipule sans cesse cette maquette de la maison familiale. A mes yeux, il y a aussi une réflexion sur la maternité, au « téléguidage » des membres de la famille qui est associé à ce rôle dans l’inconscient collectif, et la manière dont toutes ces névroses précipitent ce rôle vers un échec cuisant. A moins que ce ne soit en réalité une pleine réussite si l’on prend le final comme un aboutissement de ce rôle avec le culte du fils.
Un de mes plus gros troma cinématographique.
Ce film m’a marqué à vie….
Film pourri sans queue ni tête histoire pourri donc un grand rater au niveau cinema……triste de sortir des films comme ça a notre époque ……