COMPTES DE NOËL
Énième marque recyclée par Disney, Casse-Noisette et les Quatre Royaumes entend prolonger l’œuvre originale exactement à la manière du Alice au pays des merveilles de Tim Burton. C’est le capable mais irrégulier Lasse Hallström (Le Chocolat, Gilbert Grape) qui se voit confier le projet, avant que ce dernier et ses ambitions visuelles ne lui échappent manifestement, au profit de Joe Johnston.
Responsable des effets spéciaux de L’Empire contre-attaque, metteur en scène des Aventures de Rocketeer et de l’excellent Captain America : The First Avenger, l’homme est un artisan rompu à la narration old school comme à la maîtrise de projets immensément complexes visuellement. Chargé de superviser au moins un mois de tournage additionnel très lourd en effets spéciaux, l’artiste se retrouve nommé co-réalisateur (situation exceptionnelle, pour ne pas dire unique, aux Etats-Unis) et le studio décide vraisemblablement de ne pas s’investir plus avant dans un projet dont les coups d’arrêt et reports ont déjà coûté trop cher.
Une direction artistique qui mélange numérique, effets d’aplat à l’ancienne et décors en dur
Et cette genèse bouleversée se ressent d’autant plus dans Casse-Noisette et les Quatre Royaumes que c’est l’ouverture du film qui en pâtit le plus clairement. Mise en appétit pataude, personnages pâlots, découpage tristement mécanique en dépit de la fantaisie de l’univers dépeint, on sent le réalisateur très encombré par le monde qu’il doit déployer. De même, en matière de narration, et ce tout le long du métrage, on a le sentiment d’assister à un condensé des ambitions initiales, tant le récit progresse à marche-forcée.
Mackenzie Foy, vue dans Twilight et Interstellar
SANTA JOE
Pour autant, Casse-Noisette et les Quatre Royaumes est bien loin de s’avérer le cataclysme que laissait redouter l’attitude de Disney. Au contraire, le film s’impose régulièrement comme un antidote bienvenu aux tropismes qui gangrènent une partie de la production hollywoodienne. La candeur et l’absolue sincérité des sentiments qui y sont traités est d’une réelle fraîcheur. Très « Noël » dans son récit du deuil et de la sortie de l’enfance, le récit cherche continuellement à incarner visuellement ses thématiques.
Des décors et costumes invraisemblablement détaillés
Des contrées glacées, figées dans une mélancolie indicible, à la fausse douceur du Royaume des Fleurs, jusqu’à l’angoisse existentielle qui ronge littéralement le domaine décrépit d’une Helen Mirren impériale, le soin apporté à la direction artistique impressionne d’autant plus qu’elle mélange parfois avec brio des techniques très différentes.
C’est là où l’apport de Joe Johnston se montre à priori déterminant : la capacité à rendre tangible un univers fantaisiste, à lui donner corps dans ses costumes, comme ses accessoires, tout en veillant à leur permettre de dialoguer efficacement avec de grands mouvements opératiques produits numériquement.
Et malgré plusieurs approximations scénaristiques, des personnages charmants mais trop fonctionnels et un projet qui souffre de ne pas creuser plus fortement son propre sillon, c’est finalement la capacité inattendue du conte à offrir des séquences exceptionnelles qui emporte le morceau.
Lors d’un ballet qui revient à l’épure de Fantasia, ou dès qu’apparaissent les soldats mécaniques, la fable prend vie avec un sens de la féérie impressionnant, qui fait rapidement oublier ses nombreuses cicatrices pour nous plonger dans un conte inquiet, dont les splendeurs recèlent autant de larmes cristallines.
Projet non adapté d’un Classique Disney, mais qui a sa place dans cette liste… Il utilise les mêmes codes (une héroïne inventive, des apparences trompeuses, avec un zeste de Alice au pays des merveilles). Et hélas, un manque de point de vue personnel de réalisateur. Ça se vérifie d’ailleurs dans l’absence totale de ceux-ci dans les vidéos promotionnelles, ce film étant accompli par le mou Lasse Hallström, et terminé par l’artisan Joe Johnston (à qui Hallström a laissé un crédit de co-réalisateur).
Pourtant, quelque chose ressort de cette difficile fusion entre ce conte allemand et le ballet russe, avec une touche de la fameuse Angleterre victorienne… Quelque chose de plus européen qu’américain (une fois qu’on a passé les habituelles séquences avec Morgan Freeman en vieux sage) dans son rythme, qui évite soigneusement tout spectacle épique au profit d’une aventure plus intime.
Car le titre est trompeur, on ne visitera jamais ces quatre royaumes, sauf dans une féérie imaginaire par le biais d’une séquence à l’Opéra. Et là, ainsi que dans le générique de fin, c’est aussi bien chez Michael Powell que dans « Fantasia » qu’on a l’impression d’atterrir, les sucreries en images de synthèse ayant moins de force qu’une composition scénique virtuose… de la même manière qu’une fée des friandises (également reflet de l’égoïsme de l’héroïne) est plus creuse qu’une régente trônant au milieu de rats et de clowns effrayants.
La bonne simplicité d’un conte de Noël, pour une histoire de résilience utilisant les rouages mécaniques comme éléments narratifs. Et avec les Bocelli père et fils pour une chanson finale sublime… trop tard, peut-être.
Mais digne d’intérêt en fin de compte.
Très jolie mais histoire vraiment nulle.
J’ai adoré! ^^
@LeManch
Personnellement je vous dirais que la BA ne me laissait rien craindre de tel, je trouve les deux propositions esthétiques très différentes.
Et oui, ce n’est pas dégueu comme Alice.
Je rejoins les commentaires, critique qui donne vraiment envie d’en voir plus ! On est donc loin de la laideur d’un Alice comme la BA laissait craindre ?
Tiens, vous m’avez donné envie de le voir, finalement …
Je trouve qu’il manque quand même un petit mot sur l’excellente bande-originale de James Newton Howard. Une somptueuse appropriation des thèmes de Tchaïkovski, qui n’est pas pour rien dans la réussite formelle du film…
Ah, qu’est-ce que ça fait du bien de lire une critique pareille ! Je craignais tellement un démontage en règle que c’est un plaisir de lire un avis aussi positif… Perso, j’ai adoré le visuel, c’est quand même d’une générosité que même Disney ne nous avait pour ainsi dire jamais offert ! Et en tant que grand fan de Joe Johnston, je suis content de voir à quel point les effets spéciaux passent (globalement) bien ici, alors que c’était très casse-gueule. Il est prêt pour son Narnia qu’on attend depuis des années…
Après, c’est sûr que les défauts subsistent. Le résultat est beaucoup trop modeste par rapport à ses ambitions de départ… Le problème, c’est que ce film va encore être un four, et que ça permettra pas à Disney de se réinvestir totalement dans ses productions live originales. Alors que tout ce qui leur manque, c’est d’être un peu moins timide !