Films

Border : critique des limites

Par Simon Riaux
8 janvier 2019
MAJ : 3 février 2019
6 commentaires

Border fut une des surprises, puis des sensations du festival de Cannes. Pour son deuxième film, Ali Abbasi propose un mélange des genres qui se plaît à surprendre le spectateur et déjouer à peu près toutes ses attentes.

photo

TROLL HUNTER

Tina est une douanière suédoise, au physique disgracieux et au talent unique : elle est capable de flairer les contrevenants. Lorsqu’elle rencontre un homme dont la physionomie évoque curieusement la sienne, son existence est irrémédiablement bouleversée. On n’en dira pas plus sur une intrigue passablement imprévisible, qui se plaît à manipuler aussi bien les attentes du spectateur que les mythologies nordiques.

Et c’est là la première grâce de Border. Réenchanter un imaginaire loin d’être inconnu du public, mais dont les représentations sont pour le moins figées, ou perçues comme éloignées de ce qu’on appellera le cinéma de genre contemporain. Embrassant à pleine bouche la romance, le thriller et le pur trip folklorique, Border se vit donc comme un film mutant, dont les métamorphoses successives sont autant de remise à plat des enjeux, aux révolutions jubilatoires.

 

photoQuand Tina rencontre Vore

 

Le film pourrait jouer la carte d’une subversion gratuite, ou pire encore, d’une fascination morbide et contre-productive pour ses personnages, décrits comme cantonnés aux marges d’une société ultra-normatives, rongée par ses propres peurs. Mais non, Ali Abbasi s’appuie avec intelligence sur le texte de John Ajvide Lindqvist, déjà auteur du roman à l’origine de Morse.

Ainsi, c’est avec une sincérité désarmante que le cinéaste parvient à retourner purement et simplement les présupposés d’un occident qui dissimule mal sa haine de la nature et de la différence derrière son hygiénisme de façade.

 

photoUn duo de cinéma fascinant

 

TROLL-COM

Au-delà des univers organiques que dévoile Border, se niche également un pur plaisir de fantasticophile, qui n’est pas sans évoquer les écrits de Jean Ray, notre Lovecraft belge à nous autres, Européens. La générosité hallucinante de ses récits, leur fascination pour la survivance de déités et entités antiques éclatent ici dans chaque recoin de l’image.

L’amour des freaks, de la créature, déborde perpétuellement, pour aboutir à un récit d’aventures presque panthéiste, où le réalisateur fait preuve lors de ses séquences en extérieur d’un sens du découpage remarquable. Le soin apporté au moindre mouvement, l’attention aux textures font du film un festin plastique perpétuellement renouvelé.

 

photo Eva Melander

 

Volontiers déroutant, fréquemment inconfortable, comme lorsqu’à la faveur d’une scène de sexe sidérante, Abbasi s’amuse des attentes et présupposés du spectateur, Border demeure une œuvre puissamment chaleureuse par l’excellence de ses comédiens. Lourdement maquillés, Eva Melander et Eero Milonoff impriment la rétine avec un naturel et une humanité évidentes.

C’est aussi leur capacité à appréhender physiquement cet univers délirant, ses outrances et sorties de routes constants, qui confère au film son amabilité. Comme s’il parvenait à dévoiler, tout en douceur et en force, les secrets perdus d’une civilisation à bout de course, si lointains, et pourtant à portée de main.

 

Affiche

Rédacteurs :
Résumé

Fable organique, sensuelle et délirante, Border réactive avec folie un héritage mythologique européen trop souvent méprisé. Une réussite fantastique et bouillonnante.

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Alxs

Du mal à saisir l’engouement général. C’est bien mais pas top, on s’ennuie sec au bout de 30 minutes malgré de belles fulgurances. On sent également que le matériel de base était bien moins riche que le Let The Right One In du même auteur – ce qui explique mieux l’intrigue policière annexe qui n’amène pas grand chose au récit. Ca m’a fait beaucoup penser à The Host dans le mélange de genre, moins réussi et avec moins d’humilité que le maître coréen.
Par contre les effets spéciaux sont sidérants!

FafanLeFanu

Je repasse ici juste pour dire que cette critique m’a permis de découvrir que ce film sortait en salles (j’ai pas vu beaucoup d’affiches et de publicité), et qu’elle m’a convaincue d’aller voir ce film rapidement. J’étais totalement passé à côté dans les bilans du festival de Cannes.

Et bien je n’ai pas été déçu, à part peut être la scène sur le bateau à la fin du film qui m’a semblé un peu trop expéditive pour servir de conclusion à la relation entre les deux personnages. Mais le film s’amuse à nous surprendre constamment et n’hésite pas à mélanger la gravité de l’intrigue « policière » avec l’étrangeté et la légèreté (du moins au début) de l’intrigue amoureuse. Et malgré le faciès néanderthalien, j’ai réussi à me connecter avec l’héroïne du film et son parcours émotionnel.

Simon Riaux

@Fanfan le Fanu

Il s’agit d’une nouvelle et pas d’un roman, qui à ma connaissance, n’a pas été éditée chez nous.

FafanLeFanu

J’étais déjà intrigué, mais là, si on plus on établit une filiation avec Jean Ray, je suis hypé 😉
Tout à fait de l’avis de Karlito, et j’ajouterais bien aussi Harry Dickson, qu’il a commencé par traduire en les modifiant les intrigues, puis en les inventant carrément !

Je me souviens pas avoir vu le livre de Lindqvist sur ce sujet. C’est un roman ?
Il a été traduit en français?

Karlito

Vu quelques scènes et un entretien de l’acteur. Le sentiment premier était très étrange et inconfortable. Tout d’abord, on pense à des h**o neanderthalensis, puis on repense à Troll hunter et la manière dont le folklore est intégré dans la vie quotidienne. Les scènes étaient vraiment intrigantes et donnaient envie d’aller voir le film 🙂

Et du Jean Ray cité, c’est formidable 🙂 À lire absolument « Les contes du Whisky » où revoir la version rigolote et assez étrange de « La cité de la peur » (roman de Jean Ray) de Jean Pierre Mocky avec Bourvil.

galetas

Bien intriguant.
En espérant qu’il soit correctement distribué en France.