L’ENFANCE NUE
Si l’affiche de We the Animals affiche un lien de parenté avec Moonlight et Les Bêtes du sud sauvage, ce n’est pas uniquement pour lui donner une visibilité dans la jungle des sorties. C’est aussi parce que le premier film de Jeremiah Zagar explore l’enfance à hauteur d’enfant, en posant un regard lumineux et empreint d’humanité sur l’existence d’un môme en pleine lutte contre son environnement et lui-même.
La fantaisie qui infuse le quotidien de Jonah, omniprésente dans la nature, la terre et le soleil qui composent sa vie, définit un rapport au monde en pleine mutation. Cadet d’une fratrie, élevé dans un milieu modeste à l’ombre de la relation explosive entre ses parents, Jonah est arrivé à ce moment où il va basculer, aux portes de l’adolescence. Tandis que ses deux frères piquent des sprints pour éveiller leurs corps et les tester dans les cris, lui reste en arrière, à observer et essayer de (se) comprendre.
C’est une histoire bien connue, et si elle est si connue, c’est qu’elle est aussi riche qu’universelle. L’histoire de Jonah encapsule les questionnements universels sur l’identité, le déterminisme, la sexualité et la découverte de soi.
PRENDRE DU GRAIN
We the Animals emporte d’abord par ses couleurs et ses textures. Jeremiah Zagar vient du documentaire, et a embarqué avec lui son directeur de la photo, Zak Mulligan. Nul doute que ce duo, habitué à capter la réalité, a eu une approche spéciale pour recréer la fougue indomptable et spontanée de l’enfance et l’adolescence.
Ce grain si particulier et fascinant propre au 16mm contribue énormément à l’ambiance. Le soleil frappe les visages et les corps pour leur donner un éclat spécial, tandis que les décors baignent dans des lumières douces et envoûtantes. La caméra au plus proche des acteurs contribue à créer cette folle sensation d’intimité, renforcé par la voix off de Jonah, incarné par le fantastique Evan Rosado.
L’écriture (le scénario est signé Jeremiah Zagar, Daniel Kitrosser et Justin Torres) n’est jamais dans la démonstration lourde, et a bien assez confiance en son spectateur pour saisir les enjeux et le sens, que ce soit le cycle de la violence ou le poids de l’éducation. Des moments de vie, de joie, d’étrangeté et de brutalité, sont ainsi captés avec finesse, pour assembler le petit univers du héros silencieux, spectateur de l’amour passionnel de ses parents et de la légèreté pesante de ses frères.
Et l’utilisation des dessins qui prennent vie à l’écran, sur la musique de Nick Zammuto, ajoute encore une dimension onirique qui permet au film de ne pas tomber dans la formule trop familière du petit drame indé. Il y a une identité claire dans ce premier long-métrage, qui saute aux yeux dès les premières minutes virevoltantes.
LE CORPS IMPATIENT
Cette subtilité d’écriture est particulièrement frappante lorsque la sexualité est abordée. Jonah n’avance pas sur les mêmes rails que ses frères, n’a pas le même regard ni le même langage. Et We the Animals rend compte de ce parcours avec une justesse étonnante, sans jamais tomber dans le scabreux ou la pudeur hors de propos.
Des premiers émois étrangers au choc ultime de la réalité qui frappe de plein fouet le héros, le spectateur est embarqué. Lui aussi affronte ces vagues d’émotion, ces élans d’énergie revigorants et ces gouffres silencieux. Le film avance par à-coups au rythme des aventures de la famille, et jamais la fiction et ses ficelles ordinaires ne semblent prendre le pas sur les personnages.
Raul Castillo, excellent
En restant solidement ancré dans la position de Jonah, le réalisateur offre un point de vue souvent puissant et pur sur le monde. D’un voyage presque magique à l’arrière d’un camion à une réconciliation ambigüe, d’une vision perturbante de la sexualité adulte aux confessions trop intimes d’une mère, We the Animals montre l’enfance comme une page trop blanche pour affronter la réalité sans s’y abîmer.
Jeremiah Zagar n’y voit pas une fatalité ou une tragédie simple, mais une raison de décoller et s’évader, et une étape vers soi-même. C’est ce regard aérien sur les choses qui, malgré la violence, permet au film de s’envoler, et laisser sur ce petit nuage étrange et émouvant à la fin.