BRAQUAGE A LA COLOMBIENNE
Bigelow voulait s’emparer d’une situation géopolitique aussi délétère qu’explosive, quand J.C. Chandor, fidèles à ses thématiques, opère le mouvement inverse : c’est bien l’Amérique qui l’intéresse. De ce récit de braquage à haut risque, il fait une métaphore limpide des rapports violents et pervers que les USA entretiennent avec leurs voisins, et avec la notion d’altérité en général.
Ici, cinq vétérans usés décident de mettre leurs compétences au service d’un but qui, enfin, servira leurs intérêts : démanteler la tête d’un réseau de narco-trafiquants en dérobant leur fortune à la faveur d’un casse exécuté en professionnels de haut vol. Pour ce faire, ils doivent convaincre leur ancien chef d’unité, Tom (Ben Affleck), seul capable de les mener au front avec maestria. Mais le meneur idéaliste d’hier s’est mué en individu amer, que l’appât du gain va progressivement dévoyer.
Cinq frères d’armes sur le point de basculer
Tenant parfaitement le grand écart entre pur film de genre et parabole fataliste (Chandor est un des derniers authentiques moralistes du cinéma américain contemporain), le cinéaste construit son intrigue, non pas en fonction des codes du film de casse, mais de manière à présenter à l’Amérique l’addition de 20 ans d’interventions extérieures aux conséquences catastrophiques.
A ce titre, il faut souligner l’intelligence du casting, tout en équilibre et en lignes de forces partagées, qui propose des prestations habitées d’Oscar Isaac, Ben Affleck, Garrett Hedlund, Pedro Pascal et Charlie Hunnam. Ils composent chacun plusieurs facettes d’une Amérique déboussolée, entre valeurs hypocrites et représentations périmées.
Ce que Tom brûle, c’est d’abord le code moral qui lui a servi de bouclier
SOLDIERS OF INFORTUNE
Et c’est là la très grande force de ce Triple frontière. Toujours maître de ses effets, élégant sans virer au maniérisme, immersif sans jamais abandonner son art de la composition, J.C. Chandor dissèque ses héros et les conséquences de leurs actions sans concession. Ce point de vue l’autorise à pervertir les schémas attendus, alors que le « vol » tant attendu surgit un peu avant la moitié du récit.
Dès lors, la mécanique parfaitement huilée établie par nos soldats d’élite va pouvoir se gripper et faire sens, alors que s’éloigne la récompense symbolique et qu’approche un châtiment inévitable.
Fourvoiement de principes respectables, mépris pour les populations autochtones, supériorité technologique et méconnaissance du terrain, autant de d’éléments qui poussent inévitablement nos héros vers la tragédie, alors qu’ils traversent, hébétés, un territoire qui les renvoie brutalement à leurs propres erreurs.
Ainsi, Triple frontière se transforme progressivement en fable brutale, penchant vers l’abstraction, alors que les balles fusent, que le décor se mue en théâtre d’opération mutant, où la vie de chacun peut s’interrompre aussi sèchement que cruellement. Le réalisateur domine presque toujours son sujet, qu’il laisse le venin du désespoir s’insinuer ou nous embarque dans des séquences d’action d’une tension extrême.
Par conséquent, on regrette de le voir une nouvelle fois demeurer au milieu du gué. Alors que s’amorce le dernier mouvement du film, que les personnages s’embarquent dans une retraite folle dont le spectateur pressent qu’elle le laissera à genoux, Chandor fait le choix de ne pas assumer totalement le versant tragique de son récit.
Sa métaphore n’en est que plus précise (après tout, les dernières guerres américaines ont toujours su parer leurs défaites d’oripeaux de semi-victoire), mais ce choix s’avère terriblement frustrant d’un point de vue dramaturgique. Comme si après avoir présenté l’addition à ses belligérants essoufflés, le film refusait au dernier moment de prélever sa dime de sang.
Après avoir tourné autour du pot en ce qui concerne l’action spectaculaire, la virilité et la violence, J. C. Chandor plonge pile dedans… À l’origine ça ne devait pas être pour ce film, mais pour le projet »Deepwater » – que Peter Berg a récupéré, plus enclin à célébrer les cols bleus sans équivoque, plutôt qu’à critiquer un état économique.
Pas plus pour ce projet là d’ailleurs, que Chandor a lui-même repris de Kathryn Bigelow et Mark Boal, et qui était pourtant plus centré sur le commerce de drogue dans cette fameuse zone frontalière stratégique.
Pas grand chose à voir avec l’économie dans le résultat final, à moins de regarder à nouveau ces personnages en biais, de façon abstraite :
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Des ex militaires, devenus des contractants ponctuels, qui n’ont plus que quelques souvenirs de leurs années en service où l’honneur et le devoir comptaient vraiment… même si après, l’État américain ne garantit pas un retour à la vie civile suffisamment lucratif. Donc c’est le bénéfice qui compte aussi, de même que l’honneur de l’américain moyen qui ne supporte plus de vivoter, surtout quand il a été entraîné pour être un quasi surhomme.
En s’invitant de force dans un pays où ils ne sont pas les bienvenus, le pillant au passage (tout en jouant les zones d’ombres de ce que la loi autorise), ils sont des impérialistes malgré eux… ou juste des mâles alpha qui veulent prendre ce qu’ils estiment mériter.
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Petit problème ici : les acteurs.
Avec Ben Affleck en chef d’équipe lessivé par un divorce et un travail nul, voulant jouer la prudence s’il devait reprendre du service (on comprendra que c’est à la fois un réflexe de criminel et d’addict près à replonger)… les choses sont très évidentes, reflets de la propre vie de l’acteur, et ça le rend moins sympathique que pathétique.
Ça coince plus avec les autres comédiens, que ça soit Charlie Hunnam et Garrett Hedlund en frères pas toujours proches, ou un Pedro Pascal censé n’être pas très net… Ils ne sont pas toujours justes, et Chandor n’a évidemment pas suffisamment construit leurs motivations profondes. Cette fois, la soustraction de caractérisations se retourne contre le film – un écueil que Michael Bay avait réussi à éviter dans son « 13 Hours », peut-être parce que ses hommes n’y formaient qu’une seule entité, et qu’ils avaient le temps d’exister à l’écran rien qu’en s’occupant de choses ordinaires ou triviales… Bay les comprenait plus.
Quant à Oscar Isaac, celui qui met tout le groupe dans la panade, son personnage a beau être ponctuellement montré comme un homme secrètement épris de son informatrice (ben oui, c’est Adria Arjona), le reste du temps il est moyennement sympathique, et il faut attendre que la mission parte en cacahouètes pour que lui aussi décide de s’imposer des limites strictes afin de ne pas alourdir son âme – l’idée utilisant les ados soldats reste intéressante à défaut d’être complètement aboutie.
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Une heure d’exposition et de mission devenue officieuse, une exécution de salaud avec en bonus un pactole plus gros que prévu, et évidemment après ça va bifurquer vers « Le Trésor de la Sierra Madre ». Puis vers un mini Survival, mais pas jusqu’à l’horreur absolue, ni même « Predator ». Chandor jouant surtout avec les conventions cinématographiques – quand il y a des personnages « en double » dans un film d’action, ça veut dire qu’on peut aisément sacrifier l’un d’entre eux (deux frères, deux latinos… le résultat aura le mérite d’être surprenant).
Nos hommes devront donc redevenir des professionnels honorables, tout devait nous ramener à ça. Mais c’est comme si J. C. Chandor continuait lui aussi à se mettre des limites, à garder une dimension intellectuelle, alors que Tout dans ce film devrait l’obliger à embrasser la dimension viscérale du récit.
On en sera quitte pour ses scènes d’action fonctionnelles, inventives, symboliques (la maison coffre-fort, la chute de l’hélicoptère ou d’un âne), dans des paysages très attrayants… malheureusement pas assez dynamisés, comme si le fait que le film ait été repris par Netflix impose inconsciemment les réalisateurs à diminuer l’ampleur de ce qu’ils filment, puisque ça sera majoritairement vu sur petit écran.
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Avec en bonus, quelques clins d’œil à la filmographie du réalisateur – le même container Ho Won de « All is Lost », et Pedro Pascal portant une casquette Standard Heating Oil, la compagnie de fioul de « A Most Violent Year ».
Une manière de garantir la continuité entre les films de l’auteur, jusqu’à poser là aussi des questions similaires à la toute fin : peut-on apprendre de ses erreurs ? ou bien est-on condamné à les refaire incessamment, incapable de résister à l’appat du gain ?
Pas accroché et déçu.
C’est filmé comme une épisode de série TV, les persos sont quasi pas développé et sont tous des caricatures, pas une seul scène d’action digne de ce nom, un scénario telephoné avec des incohérences ( le bateaux à la fin est quand même sensé contenir tout le fric ).
Ya des jolie plans, la photo est clean, le propos est pertinent.
Bref trop de négatif pour moi, c’est ennuyeux et c’est à ranger dans la liste insipide des films aux N rouge.
Enfin vu et c’est un très bon film, très bien rendu avec de bonnes scènes d’action.
Peut-être un chouïa trop long.
J’ai beaucoup aimé ce film mais la seconde partie est nettement plus intéressante.
La 1e a un côté Ocean’s Eleven mixée Expendables avec des scènes d’actions filmé à l’ancienne et une bonne présentation des personnages.
Mais la seconde partie est tellement forte en symboles.
La charge virulente, comme vous dites, contre une Amérique qui n’en a que faire de ses voisins. Le visage du petit après qu’ils aient fait leur casse ou plutôt démoli ses fondations, créés peut-être un nouveau monstre ?
L’hélicoptère qui ne peut pas atteindre une certaine altitude à cause de ce boulet capitaliste qu’il transporte.
J’ai trouvé ces personnages incroyablement pathétiques au fil du film. La scène du feu de camps est magistrale ce niveau: le pognon rend fou.
Ce film aurait du s’appeler « No frontiers » car je n’en ai vu aucune aussi bien dans la facilité d’accès de ces soldats à des pays où l’on ne parle pas américain mais aussi dans leurs comportements jusqu’au boutiste.
J’ai beaucoup aimé les films précédents di realisateurs mais qu’elle déception.
Personnages très peu intéressant, leur présentation est quand meme très basiques (je fais du MMA, je vends des appartements…) les’dialogues sont d’une pauvreté affligeante et en terme d’action, c’est quand meme très plat. Pour moi c’est l’opposé de The Sorcerer qui lui brille par sa tension et la characterisation de ses personnages ( Bruno Cremer VS bat(j’ai raté mon lifting) flex).
Reviens nous JC Shangor !
Grosse surprise pour moi!
Et une excellente surprise!
On pense à « DELIVRANCE »
On pense au « SALAIRE DE LA PEUR »!
On pense à « SORCERER »!
On pense à…. TRIPLE FRONTIERE!
Cette oeuvre est simplement magnifique!
Outre utiliser orion comme sortie, j’ai trouvé ce film totalement inutile.
Tendu comme un string pendant 90′ puis ça baisse un peu…
Très bon quand même !
Extrêmement déçu pour ma part!
Le développement des personnages est bien laborieux et les scènes d’action se suivent sans que l’on soit mis sous pression.
On peine de plus à voir le sujet de l’incursion en terre étrangère sous l’angle de l’auto-critique, le caractère archétypal des personnages suscitant une empathie égale tout au long du film.
En somme, je dirais qu’il s’agit d’un film d’action raté et d’un drame assez simpliste.
@andarioch
Certes, mais il me semble que le film fait très spécifiquement référence à la philosophie et à la forme des interventions des deux dernières décennies.