MÈRE POULE
Viaje, premier long-métrage de Celia Rico Clavellino, nous l’avions découvert il y a quasiment un an au festival Cinespana et il nous avait bien tapé dans l’oeil. C’est donc avec un certain bonheur que nous découvrons qu’il est maintenant à la portée de tout le monde. Et il ne faut surtout pas le rater tant il recèle d’énormes qualités.
L’histoire est simple : Leonor vit avec sa mère Estrella. Une relation fusionnelle depuis la mort du père dont aucune des deux ne semble pouvoir, ou vouloir, s’en remettre. Pourtant, c’est l’heure du choix pour la jeune femme. Elle veut prendre son indépendance, partir à l’étranger pour construire sa vie, mais elle ne sait pas comment l’annoncer à sa génitrice. Elle hésite aussi à la laisser toute seule, tout comme elle a peur, au fond, de se prendre enfin en main.
À partir de ce canevas on ne peut plus classique, Celia Rico Clavellino compose cependant une première oeuvre forte et impressionnante dans une totale économie de moyens. Le film se déroule principalement dans l’appartement familial, est traité sur un mode naturaliste, mais cette simplicité de la forme cache en réalité une grande richesse dans son fond thématique.
Laquelle est la mère de l’autre, au final ?
VOLER DE SES PROPRES AILES
Viaje se révèle effectivement une magnifique étude du lien parent-enfant fusionnel poussé à son paroxysme, de la dépendance affective qui peut s’installer suite à un gros traumatisme et de la nécessité de s’en libérer pour avancer. Ne portant jamais aucun jugement sur ses personnages, la réalisatrice nous déroule ainsi le parcours de ces deux femmes, prisonnières d’elles-mêmes et de leur passé, dans un environnement clos, leur appartement, que la mise en scène transforme facilement en véritable personnage vivant.
De la gestion de l’espace à la composition de ses cadres, Celia Rico Clavellino rend cet espace étouffant et organique, joue de son économie de moyen et de son décor étriqué avec énormément de soin et d’intelligence pour nous proposer en toute simplicité des tableaux extrêmement forts et éloquents.
C’est toute la relation et ses enjeux inconscients qui y sont ici disséqués, mis en lumière et transfigurés dans les différentes pièces du petit appartement. Il faut dire aussi que le film peut se reposer sur deux comédiennes extraordinaires et très ambigües : Lola Dueñas dans le rôle de la mère, parfaite de bout en bout, et Anna Castillo, magnifique, extraordinaire de fragilité et de volonté.
Combattre ce que l’on craint le plus : la solitude
NE VOUS RETOURNEZ PAS
Si le film, première oeuvre oblige, ne fait pas l’impasse sur quelques défauts de jeunesse, notamment son rythme très lent, son manque de moyens qui limite quelque peu son ambition et quelques fragilités formelles, qu’on ne s’y trompe pas cependant : Viaje est un excellent premier film et un très bon long-métrage.
Suivre le modèle ou tout risquer ?
Il parvient à atteindre cet équilibre précaire entre expérience personnelle et message universel, il atteint une certaine forme de poésie morbide et névrotique qui touche au coeur, à notre insu, et nous entraine dans cette douloureuse séparation qui n’est peut-être, au fond, qu’une vraie réconciliation.
Refusant la simplicité psychologique, l’émotion facile et la peinture sociale et humaine schématique, Viaje est un petit bijou d’humanité, d’ambiguïté, de profondeur et d’émotion. Il fait partie de ces petits films qui promettent un très grand avenir.