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À couteaux tirés : critique qui sait qui l’a tué

Par Alexandre Janowiak
2 avril 2023
MAJ : 12 mai 2024
39 commentaires

Avant de plonger la tête la première dans l’univers Star Wars avec Les Derniers Jedi et de susciter une vive polémique sur sa destruction (ou non) de l’univers créé par George Lucas, Rian Johnson avait réalisé les sympathiques mais un peu anecdotiques BrickUne arnaque presque parfaite et Looper. Le réalisateur revient les pieds sur terre et s’amuse avec À couteaux tirés, sorte de Cluedo géant mené par un casting cinq étoiles : Daniel Craig, Chris Evans, Jamie Lee Curtis, Michael Shannon, Toni Collette, Christopher Plummer ou encore Ana de Armas.

Affiche française

LE CRIME ÉTAIT PRESQUE PARFAIT

Sur le papier, À couteaux tirés n’a rien de très original dans le genre du whodunit (intrigues à énigmes), et ressemble à s’en méprendre à de nombreux films sortis avant lui, de Cluedo à Mort sur le Nil en passant par Le Crime de l’Orient-ExpressMeurtre au soleil ou encore Un cadavre au dessert (influences revendiquées par Rian Johnson lui-même). Jusque dans ses décors, le film remémore ses aïeux, à l’image du manoir des Thrombey pastichant allégrement celui où se déroule l’incroyable huis clos de Joseph L. Mankiewicz : Le Limier.

Pourtant, le film va se détacher des œuvres précédemment citées pour mieux les contourner et les détourner. Ainsi, le récit s’élance très vite puisqu’avant même le panneau du titre, le patriarche de la famille Thrombey (Christopher Plummer) est retrouvé mort par sa domestique. L’intrigue s’installe donc rapidement et dans les vingt premières minutes, avec une certaine dose de mystère, les membres de la famille se succèdent devant les questions des inspecteurs et du détective Benoit Blanc (incarné par Daniel Craig), afin de mener l’enquête.

 

photo, Noah Segan, Daniel Craig, Lakeith StanfieldUn trio d’enquêteurs de choc…

 

Assez judicieusement, le cinéaste décide cependant de ne jamais mentir aux spectateurs. Chez Agatha Christie, les personnages et la caméra dissimulent la vérité pour mieux faire durer le suspense, mais la mise en scène de Rian Johnson prend le total contrepied de ce système narratif. Par conséquent, si les personnages mentent sur les discussions, disputes, raisons de leurs départs ou activités pendant la soirée d’anniversaire de Harlan Thrombey devant les enquêteurs, les flashbacks eux montrent l’entière vérité.

Le moyen pertinent de contourner les codes et de surtout contrebalancer l’intrigue qui se déploie sous nos yeux. Alors que les échanges se multiplient de façon un peu rébarbative avec les interrogatoires, le cinéaste choisit de retourner totalement la situation et de déjouer les attentes. En quelques instants, le récit permute, la perspective du spectateur change et c’est finalement l’ensemble de l’intrigue et de ses enjeux qui sont renversés. Le whodunit à la Agatha Christie se mue irrémédiablement en Columbo.

 

photo, Daniel Craig, Noah Segan, Lakeith Stanfield… qui va avoir du fil à retordre

 

CONTRE-ENQUÊTE

In extenso, impossible de ne pas prendre énormément de plaisir devant À couteaux tirés. Avec son angle inhabituel, le long-métrage s’efforce de contrecarrer les codes inhérents du genre. Rian Johnson s’amuse à disséminer les indices et les révélations avec parcimonie, tout en se libérant d’une dynamique équilibrée d’aveux ou de divulgations. Au contraire, les rebondissements apparaissent de manière sporadique, s’enchaînent rapidement ou sautent avant même d’être exploités.

C’est ce qui donne une belle force au récit et en même temps, ce qui oblige le réalisateur à prendre parfois un peu trop par la main ses spectateurs. Au fur et à mesure de l’avancée de l’enquête et des découvertes, le whodunit finit par être un peu trop didactique et sa ludicité affaiblit sa singularité et sa fraîcheur.

 

photoDe multiples rebondissements comme autant de fenêtres 

 

En effet, si À couteaux tirés est émaillé de quelques clins d’œil meta plaisants (Cluedo et Sherlock Holmes sont cités, le patriarche tué est un auteur de whodunit comme Agatha Christie…), de disputes familiales jouissives (le fameux « eat shit » du personnage de Chris Evans) et de grosses barres de rires inattendues (la maladie totalement saugrenue du personnage d’Ana de Armas, les membres incapables de se souvenir de son pays d’origine), le long-métrage est finalement assez lisse et poli.

Pour éviter d’être une simple enquête, le scénario s’enracine alors clairement dans le présent en faisant référence aux réseaux sociaux, à Netflix, aux social justice warrior, aux néo-nazis… pour critiquer une frange de la société américaine actuelle, et s’ancrer pleinement dans l’ère Trumpienne. Tristement, si l’intention est louable, la diatribe fonctionne partiellement et se révèle plus artificielle que pertinente.

 

Photo Ana de ArmasAna de Armas confirme l’étendue de son talent dans ce rôle de simili-Watson

 

PLAISIR NON-COUPABLE

Pour autant, ce n’est sûrement pas ce qu’on retient d’À couteaux tirés après les 2h10 d’enquête filant comme l’éclair. Au contraire, le long-métrage, malgré quelques stries dans sa mécanique et ses envies dénonciatrices, est un sacré régal qui enchantera la grande majorité des aficionados du genre.

D’abord grâce à la mise en scène de Rian Johnson toujours habile et un montage affuté, jouant astucieusement des multiples recoins du manoir Thrombey pour créer de la tension, du mystère et du suspense jusqu’aux derniers instants du métrage. Puis, également, grâce à la partition de Nathan Johnson (cousin du réalisateur) à la fois amusante et entraînante, sans doute une des plus agréables et élégantes de l’année cinéma.

Mais évidemment, ce sont surtout la folie et l’engagement des acteurs du film qui alimentent la cocasserie de l’ensemble. Si Katherine Langford et Jaeden Martell sont plus en retrait, l’ensemble du casting réussit magnifiquement à tirer le meilleur de chaque personnage.

 

PhotoUn joli parterre de stars

 

À travers des dialogues caustiques et un humour noir jubilatoire, cette famille dysfonctionnelle mêle trois générations d’hypocrites et d’intéressés menés par l’aigri Michael Shannon, le vil Don Johnson, l’attentiste Chris Evans ou l’acariâtre Toni Collette. Voir chacun d’entre eux plonger pleinement dans un registre comique (eux qui sont habitués aux rôles plus dramatiques, hormis Jamie Lee Curtis) avec un ton hautain et arrogant est particulièrement réjouissant.

Cependant, ce sont les personnages de Daniel Craig et Ana de Armas, en dehors du cercle familial, qui marquent le plus. Loin de son chic bondien, l’acteur britannique folâtre dans la peau du détective Benoit Blanc (parodie drolatique d’un Hercule Poirot extravagant) et dont le jeu rappelle sa partition loufoque dans Logan Lucky.

De son côté, la comédienne cubaine propose la composition la plus compliquée du métrage, devant jongler entre plusieurs tonalités avec un rôle touchant, comique et sérieux à la fois (loin du grotesque univoque de ses partenaires à l’écran). Ainsi, avec beaucoup de justesse et d’honnêteté, elle livre une performance brillante, confirmant après Blade Runner 2049 l’étendue de son talent.

 

Affiche française

Rédacteurs :
Résumé

Rian Johnson s'amuse à déjouer quelques codes du whodunit avec À couteaux tirés et offre une enquête amusante et maline aux multiples rebondissements, même si l'ensemble est un peu trop didactique et ludique.

Autres avis
  • Geoffrey Crété

    C'est parfaitement facile, excessif et appuyé dans ses effets, mais c'est également très amusant à suivre, et beaucoup moins grossier que prévu, notamment du côté des acteurs en pleine démonstration de drôlerie. Sans oublier un sous-texte réjouissant sur l'Amérique d'aujourd'hui.

  • Simon Riaux

    Rian Johnson feint d'enfiler ses pantoufles pour mieux déconstruire les codes de l'énigme policière, sans jamais les traiter par-dessus la jambe, le tout avec une malice qui fait plaisir à voir.

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qide134

Une énigme:pourquoi le pâtriarche se suicide t il ? Incompréhensible car âgé et encore lucide

Anthrax

J’aime les films d’enquête car le scénario nous donne matière a réfléchir, et on comprend a la fin le dénouement. Ici, absolument aucun rebondissement ni énigme puisque la solution à l’énigme est donné au debut. Ce film est une perte de temps, je me suis ennuyé car rien ne retient notre attention. Nous connaissons le coupable avant la moitié du film, donc aucune intrigue. Tout est dit, souligné, le spectateur est prit pour un imbécile.

Ethan

@Envel
En fait elle revient dans la chambre le type se suicide le sang gicle

Ethan

Film intéressant mais on a du mal à accrocher au début : musique trop bruillante au début, décoration du château fait mal aux yeux, personnages excentriques. Ca devient intéressant avec l’entrée ou plutôt le développement de personnages touchants tels que l’aide soignante et le petit-fils. La fin je trouve que le réalisateur en fait trop avec le vomi dans la tronche du petit fils.

Bref un film décalé pas forcément réaliste

ttopaloff

Rian Johnson ne se serait-il pas un peu défoulé sur les twittos (qui lui en ont fait pas mal baver) avec le personnage du jeune nazillon qui twitte à tout va ? 🙂

Envel

Pourquoi Marta a t’elle dès le départ du sang sur une basket ?

voilier

interessant, l ‘idée est géniale , mais un gros bémol sur le sénario: Ana de Armas, qui semble très intelligente, semble désemparée lorsqu’ils découvrent les traces de boues à l’étage, ainsi que sur la fenêtre par laquelle elle est sorti. Elle aurait du directement penser que quelqu un est monté par la fenetre et ainsi la disculper. En effet comment aurait elle pu laisser tant de boue alors qu’elle etait dans la maison et sortait par la fenetre…..

Tournesol

J’adorais ce film…. mais hélas j’etais obligée de partir avant la fin. En fait, ça a fini comment ?
Merci.

Flo

« À couteaux tirés » n’est Pas vraiment un Whodunit, même s’il essaie de faire croire qu’il en détourne les codes de manière méta tout en étant un peu respectueux…
Parce-qu’il n’y a pas de suspense, le mystère est apporté très vite, ce qui confirme que c’est un leurre et que l’interversion du début n’en est pas une etc… Bref, rien n’a vraiment d’importance, comme souvent dans ce genre d’histoire certes.
Mais les grosses ficelles sont très visibles, le numéro d’illusion consistant à laisser s’amuser les acteurs (contre-emploi ou non) ne peut pas autant marcher à cause du côté conscientisé du film, censé être le truc inédit qui permet de se distinguer.
Du fait que l’on s’y rend assez compte qu’on est dans un Cluedo, que tout ce monde assume trop d’être des caricatures ou des personnages cartoonesques (l’honnêteté viscéralement physique de Marta en fait partie), qu’un montage moderne un chouia plus rapide n’est décidément pas approprié, et surtout qu’on s’y croit obligé à trop gros traits de dire des choses importantes sur les migrants. Donc l’Amérique à sa fondation bien sûr… mais avant tout, maintenant. Pour réveiller les amnésiques.
Et reléguer le héros enquêteur intello prolixe et un peu ahuri à un rôle de gentil dépanneur, alors que le seul et unique héros principal est une représentante idéale d’une minorité indirectement rabaissée.
C’est un peu trop clair et pas assez subtil, aussi bien à sa sortie que aujourd’hui. Totalement à l’opposé de la distance ironique, un peu plus cynique et moins revendicative qu’on peut attendre d’un Whodunit, pour mieux justifier le jeu de massacre envers absolument tous les suspects.
Il faudra attendre l’ultime scène pour élever un peu plus le film en sous-entendant une vengeance de Classe, traversant les siècles, et atténuant un côté bien trop angélique et manichéen.
Pas étonnant que Netflix (cité aussi dans le film) aille produire ses suites, ce genre de film correspond très bien à l’idée d’une histoire fonctionnant avec un cahier des charges.

Enfin, amusant, peut-être plus si on ne le prend que au premier degré – encore une fois, à l’inverse d’un Whodunit traditionnel.

Pulsion73

Un plaisir d’avoir revu ce film. Ana sort vraiment du lot, on l’a déjà dit mais c’est tellement vrai. Dans le dernier Bond où on la voit pourtant peu elle marque la rétine.