UN HOMME ET UNE FEMME
Pour son second long-métrage, après l’expérimental Une part d’elle en 2016, Hinde Boujemaa a choisi de s’attaquer à un sujet bien concret et pragmatique : la place de la femme au sein du couple dans la société tunisienne actuelle. C’est à travers le parcours de sa protagoniste principale que Noura rêve nous rappelle qu’il existe encore bien des endroits, pas si loin de chez nous, où l’amour libre constitue encore un sacré tabou.
Nous suivons donc Noura, femme mariée et mère de famille, qui vit une aventure extra-conjugale avec Lassad, un mécanicien, tandis que son époux Djamel purge une peine de prison. Profitant de la détention, Noura entame une procédure de divorce, puisque la loi tunisienne est très ferme en ce qui concerne l’adultère. Mais voilà que, 5 jours avant la décision du juge, Djamel bénéficie d’une grâce présidentielle et sort, bien décidé à reprendre sa vie d’avant. Noura va-t-elle se plier à ses volontés et celle des institutions, ou aura-t-elle le courage de revendiquer son désir de liberté ?
Ce qui imprime la rétine en tout premier lieu, c’est l’intensité du jeu de la comédienne principale, l’excellente Hend Sabri (Mention spéciale dans la catégorie « Meilleure Actrice » au dernier Festival de Saint-Jean-De-Luz). Par un simple regard, par un tout petit geste, elle arrive à nous communiquer toute la complexité de son personnage, toute l’ambiguïté de ses sentiments et toute la contradiction de sa situation. Un investissement de chaque instant qui ne quittera heureusement jamais le film.
L’autre grande qualité, c’est de nous présenter un cadre totalement à l’encontre de la vision de carte postale que nous pourrions avoir de la Tunisie : ici, pas de grands espaces gorgés de soleils, pas de médina typique, bien au contraire. Tout y est crasseux, étriqué, gris, caché, à l’image de cette histoire d’adultère qui ne peut s’exprimer au grand jour sans risquer 5 ans d’emprisonnement. Ce traitement anti-romantique fonctionne à merveille tout au long du récit et confère une vraie ambiance étouffante et oppressante que de rares plans en hauteur, sur des toits ou une colline, viennent oxygéner pour nous permettre d’enfin reprendre notre souffle.
Marcher au pas ou vivre sa vie
LES AMANTS CRIMINELS
Ce que le film parvient à atteindre sur la forme, il le rate de peu sur le fond. En effet, force est de constater qu’après un début des plus prometteurs, Noura rêve ne fait plus vraiment évoluer son personnage principal par la suite. Alors certes, nous sommes raccords avec le propos du film, la domination masculine et sociétale de la femme, voire l’emprisonnement (tant physique qu’idéologique), mais on regrette néanmoins que Noura ne se batte pas plus pour son amour. Un point de vue strictement subjectif évidemment, mais qui fait écho à un autre problème du scénario, plus constitutif.
En effet, à mesure que l’on découvre le mari et l’amant, on se dit qu’au fond, ils ne diffèrent pas vraiment, là où on aurait apprécié que le film assume pleinement son discours, quitte à verser un peu dans le cliché, avec un mari imbécile et dominateur parce que complexé et un ami plus progressiste et en rupture totale avec le milieu dont il est issu. Là, oui, le choix de Noura aurait eu plus d’impact et d’écho, en tout cas, il nous aurait davantage impliqués.
Si le film souffre de quelques longueurs et d’une grosse incohérence lors de sa scène-clé, qu’on ne s’y trompe pas cependant, il est loin d’être raté et ne constitue en rien une déception. Il se tient du début à la fin, mais nous aurions simplement préféré qu’il aille un peu plus loin.
Je pense que le bout du discours est simplement tel qu’il est vécu par le personnage féminin . On n’imagine pas le poids de la peur, des pressions. Noura ne peut qu’hésiter à poser des actes, dans les conditions qui sont les siennes. Aller plus loin c’eut été plaire aux femmes européennes qui n’auront de toutes façons jamais affaire au dilemme du personnage et qui sont quand même avides de fictions romanesques. En outre, les intérieurs sont réalistes en diable et la corruption n’est pas absente du paysage social. Ce film est puissant par le désarroi qu’i nous fait vivre et la narration , à mon ressenti, ne tombe pas dans l’improbable; loin de là.