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The Color Out of Space : critique haute en couleurs

Par Mathieu Jaborska
9 janvier 2020
MAJ : 28 septembre 2022
21 commentaires

Avec The Color Out of Space, l’attachant vétéran Richard Stanley et l’omniprésent, mais encore trop rare Nicolas Cage, s’attaquent à un gros morceau : une nouvelle de H.P. Lovecraft. On ne rappellera jamais assez à quel point le processus d’adaptation est loin d’être une facilité. Les artistes s’inspirant d’œuvres déjà conçues pour garnir leur filmographie sans trop d’efforts se plantent systématiquement. Le passage d’un média à un autre demande un soin parfois plus complexe encore que la création pure et simple.

The Color Out of Space : Affiche officielle

LOVE / CRAFT

Paradoxalement, ce sont souvent les bibliographies les moins promptes à ce genre d’exercices qui passent à la casserole, parce que l’œuvre en elle-même est géniale, et que pour beaucoup, ça serait un crime de ne pas la faire découvrir au plus grand nombre sur un écran quelconque. Le cas de Lovecraft est, en ça, vraiment particulier.

Son imaginaire unique et tentaculaire a donné lieu à un nombre de films presque plus impressionnant que la stature des grands anciens. C’est probablement un des écrivains qui a le plus connu les honneurs du 7e art, que ce soit dans des épisodes de séries (les anthologies fantastiques en sont truffées, pour le meilleur et pour le pire), des courts-métrages ou, bien sûr, des longs-métrages d’épouvante, à l’instar des jouissives séries B de Stuart Gordon.

 

photo, Julian HilliardLes fanatiques de Lovecraft à chaque annonce d’adaptation

 

Cependant, aussi efficaces que soient certaines de ces productions, aucune n’a jamais réellement reproduit l’ambiance qui émane des nouvelles du maître. En général, les mythologies qu’il a développées sont utilisées en tant que telles et sont rarement remises dans leur contexte. On utilise l’imagerie de Cthulhu, du Necronomicon et compagnie, devenus des symboles de la pop culture, à juste titre. Dans Evil Dead, le livre des morts n’est qu’un emprunt.

C’est d’autant plus logique que la spécificité de l’écriture de Lovecraft, c’est de raconter ce qui ne peut être montré, ce qu’il appelle lui-même à plusieurs reprises l’innommable. Se plonger dans une nouvelle lovecraftienne, c’est se confronter à des choses qu’on ne peut même pas conceptualiser visuellement. C’est un pur procédé de littérature, esclave de son support, de l’encre, du papier, et de l’imagination forcément limitée de son lecteur, qu’il aime pousser dans ses derniers retranchements.

En ça, La couleur tombée du ciel est presque une œuvre somme, exemple parfait du style de son auteur. Voilà comment est décrite la teinte qui émane de la roche échouée dans le jardin de la famille Gardner : « la couleur, qui rappelait celle des raies du spectre étrange du météorite, était presque indescriptible ; ce fut seulement par analogie qu’on parla de couleur. » C’est presque une note d’intention : le seul procédé valable pour daigner approcher de la réalité de cette couleur, c’est une figure de style. Et c’est de cet élément perturbateur que découle littéralement toutes les horribles péripéties qui vont suivre. Il faudrait être fou pour adapter pareille histoire au cinéma.

 

Color out of spaceDeep Purple

 

L’ANTRE DE LA FOLIE

La douce folie, c’est justement ce qui caractérise les dingos de chez SpectreVision, mais surtout Richard Stanley, aux commandes du long-métrage. On dit de beaucoup de cinéastes (Kubrick en tête) que leur génie reposait dans leur insubordination par rapport à la matière première sur laquelle ils travaillaient. Mais dans le cas de Lovecraft et donc de Stanley, toute l’audace se trouve dans la décision d’adapter fidèlement la terrifiante nouvelle pour accoucher d’un cauchemar comparable à l’univers de l’écrivain, plutôt que d’utiliser son imagerie pour faire sa propre mayonnaise.

 

photoLes alpagas, un ajout audacieux

 

Les plus sceptiques objecteront que la transposition dans une époque contemporaine (très pratique en raison du budget microscopique alloué à la production) contredit ce fait, mais c’est justement ce qui rend ce The Color Out of Space absolument fascinant. En effet, ici, les divergences avec la nouvelle sont les instruments de la réussite de l’entreprise, du succès de la convocation de l’esprit lovecraftien. La parole rapportée chère à l’auteur américain disparaît au profit d’un récit plus long mais étrangement plus ramassé, isolant cette ferme dans une bulle colorée dont il parait impossible de s’échapper.

Le personnage du conteur se mue ici en observateur direct, en relai spectatoriel évanescent, dont la présence de plus en plus disparate prive le public de tout appui. Mais le plus évident, bien sûr, c’est le traitement de la couleur en question. Le cinéaste a expliqué que cette teinte entre le rose et le violet avait été obtenue en inspectant le spectre visible et en isolant la couleur la plus éloignée d’une teinte naturelle. Mais ici, elle ne devient qu’un instrument de l’ambiance générale, et c’est la violence de ses manifestations qui en fait un être venu d’ailleurs.

 

photo, Julian HilliardJulian Hilliard, qui ne pourra probablement pas voir le film avant très longtemps

 

THE STANLEY PARABLE

Stanley a figuré la terreur littéraire lovecraftienne par la mise en scène : il a synthétisé la genèse de l’adaptation. L’innommable prend subitement une forme cinématographique, induite par une photo dont les excès colorés annoncent le malaise, une musique plus insidieuse que discrète, un montage sonore tout en nuances et une réalisation vicieuse. Comme dans tout bon film d’épouvante, le cadre n’en montre jamais trop, créant des zones d’ombres dans les conséquences concrètes de la propagation de cette couleur.

Et la forme équivalente de l’innommable lovecraftien au cinéma, c’est pour Stanley la body horror, langage horrifique progressif et malade parfaitement adapté et donc parfaitement terrifiant. Il ne faut pas s’y tromper à la vue de la magnifique affiche : l’aspect peinturluré de l’ensemble renferme une noirceur qui prend aux tripes, une violence organique assez inédite. On pense parfois forcément au The Thing de John Carpenter, auquel le réalisateur emprunte un sens inné de la difformité, pas tant présent dans la nouvelle.

Impossible pour l’auteur de ces lignes de décrire les visions cauchemardesques qui en découlent. D’une part, il est tenu de vous réserver l’heureuse (ou la malheureuse) surprise de la découverte. D’autre part, il aurait du mal à traduire ça en mots : il a vécu l’indescriptible, l’innommable, et vous invite à faire de même. The Color Out of Space parvient à accomplir grâce à la mise en scène ce que Lovecraft accomplissait avec sa plume. Mission accomplie.

 

Color out of spaceMadeleine Arthur, personnage faisant le lien entre le fan et la fiction

 

LE DEFI D’OUTRE-ESPACE

On est donc bien en présence d’un film d’amoureux du genre, un film de passionné. Cependant, il évite soigneusement de céder aux innombrables pièges dans lesquels se vautrent systématiquement les nerds et leurs tee-shirts Cthulhu. Il s’adresse aux cinéphiles plus qu’aux puristes, sans pour autant se permettre de ne pas l’être. Ambitieux, Stanley ose même faire honneur au jeu encore une fois dément de l’incroyable, le fou, le magnifique Nicolas Cage, clairement dans un de ses meilleurs rôles, puisqu’il y trait des alpagas ! Jouissif mais complètement bis sur le papier, cet ajout aussi hérétique qu’hilarant s’intègre parfaitement à l’intrigue, puisqu’il multiplie les ruptures de ton fort à propos, encore une fois, outil typiquement cinématographique renforçant encore plus l’ambiance angoissante qui règne tout au long des 1h50 de film.

 

photo, Nicolas Cage, Joely RichardsonComme un lion en Cage

 

Plus qu’une mise en image opportuniste, bien rangée ou trop disruptive, le long-métrage se savoure comme un commentaire haut en couleur (oui, on recycle nos blagues) du processus même d’adaptation, un processus qu’on imagine complexe, tant cette histoire a évolué pour finalement transmettre les mêmes émotions. Forcément, la proposition ne peut se prétendre exempte de défauts (tout le monde n’a pas le talent de Nicolas Cage), mais elle n’en demeure pas moins rafraichissante dans un monde où l’horreur mainstream préfère se concentrer sur les effets que sur leurs conséquences.

L’impression se vérifie quand il s’agit de s’attaquer frontalement à une des descriptions démentes de Lovecraft, pour concevoir un plan qui transporte toutes les qualités du film, tant il est expérimental. A l’occasion de quelques débordements, l’expertise de Stanley laisse place à un délire sans peur et sans reproche, se risquant à enfin représenter pour quelques secondes, toute proportion gardée, la mythologie apocalyptique de l’auteur, le tout pour un budget à peine plus cossu que celui d’un épisode de Joséphine, ange gardien.

Une telle profession de foi tétanise autant qu’elle fait chaud au cœur. L’absence de distributeur à même de partager la bonne parole, quant-à-elle, enrage quand même un petit peu. Pour se faire sursauter avec des poupées qui ne bougent même pas, il y a du monde, mais dès qu’il faut se consacrer aux vraies puissances extra-terrestres, il y n’a plus personne.

 

affiche

Rédacteurs :
Résumé

En théorisant la façon même dont l'oeuvre de Lovecraft doit être abordée, Richard Stanley accouche d'un film de terreur pur avec The Color Out of Space, tel qu'on en voit très rarement. Parfois presque expérimental, il n'a pas peur de se créer une identité pour donner plus d'épaisseur à cette histoire épouvantable. Un must-see pour l'instant invisible.

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Anderton

Vu à l’instant. Je n’ai jamais lu Lovecraft donc je ne peux pas juger de la qualité de l’adaptation. En revanche, je trouve toujours intéressant au cinéma le principe de l’aliénation et la transformation physique progressive de personnages.
Et j’ai trouvé beaucoup de ressemblances avec Anihilation comme évoqué par Kyle Reese.
Bref, je recommande

Opale

Vu ce week-end. Pas mal du tout. Petit film honnête et généreux.

Jaws

Petite pépite

Éclatée

Non mais y’a rien qui va dans ce film. Aucune ambiance. Personnages debiles et incipides.

Herbert West

J’ai lu « The color out of space » plusieurs fois et je trouve que Richard Stanley s’en sort pas mal.
Il a réussi à adapter le thème en le plaçant dans une époque contemporaine, sans en faire des tonnes non plus.

Je pense que c’est un texte court qui s’adapte mieux à une série, sur le long terme, où l’on voit la décrépitude et l’aliénation mentale des personnages décliner petit à petit face à l’innommable et l’indicible.

Avec tout juste 2 heures, Richard Stanley arrive à montrer les différentes phases de la nouvelle et livre un film cohérent.

J’ai bien aimé.

Kyle Reese

Mais quel cauchemars !
Ce film est une petite pépite dans son genre.
Oui ce film est vraiment particulier mais vraiment réussi avec si peu de moyen.
Une véritable expérience hallucinée.
Je suis content de l’avoir vu et d’en être sorti tellement cette ambiance spéciale met progressivement mais profondément mal à l’aise et cette dernière partie, mazette. Il y a du The Thing évidement mais aussi par certain cote du Annihilation de Garland avec un thème et des idées parfois assez proche.
Je ne m’attendais pas à un tel cauchemars. Cage est grandiose. Le film n’aurait peut être pas la même saveur sans lui. Il peut être touchant et dingue à la fois, limite border line.
Oui les sfx ne sont pas là hauteur des films de série À mais ça crée effectivement un certain charme, leur utilisation ainsi que la photo crée une étrangeté qui brouille les frontières du rêves et du cauchemar avec un côté poétique.
Franchement une expérience bien plus intéressante à voir qu’un énième film d’horreur basé sur des jumps scare à gogo.
Terriblement fascinant.

StarLord

Je…. n’ai pas oes mots. ‘Cest vraiment particulier comme film. Un ersatz de The Thing sous lsd.
Je ne vois pas quoi dire d’autre
Je n’ai pas du tout aimé

coucouuuuu

vraiment n’importe quoi comme film.

Tractopelle

Franchement c’est pas parfait même très moyen , Nick Cage en fait des tonnes , les effets spéciaux parfois kitchs son limite … Mais il y’a une espèce de charme qui ce dégage de l’ensemble c’est une expérience des sens a vivre au moins une fois pour tout cinéfile . C’est étrange a dire c’est a chier mais en même temps c’est vraiment bien .

Caroline

Ça vient de sortir en UK et nous, on doit attendre le 31/12/2020??? Ils n’ont qu’à sortir ce film en VO. En attendant, heureusement qu’il y internet pour les impatients…