THE THRILL OF LIFE
Il suffit de quelques instants pour que Waves impose une folle force qui donne le tournis. La caméra tourne dans une voiture avec une virtuosité fascinante, filme le bonheur simple d’un garçon et d’une fille, et c’est le coup d’envoi d’une impressionnante danse à travers une foule de moments, de lieux, d’énergies et d’émotions. A priori, c’est une suite de choses ordinaires, de soirées et d’échanges et de vignettes du quotidien qui se télescopent pour présenter le héros. Et pourtant, c’est toute une vie d’adolescent qui se déroule, et semble déjà annoncer la fragilité de l’existence, et l’inexorabilité des événements à venir.
Il y a quelque chose qui tient de la caméra d’Emmanuel Lubezki chez Terrence Malick dans ce mouvement qui balaye et capte les corps, et emprunte aussi à Euphoria une énergie et esthétique pop. Normal : le directeur de la photo, Drew Daniels, est passé par la superbe série HBO. L’actrice Alexa Demie est un autre lien à l’écran.
Si cette entrée en matière est trop puissante pour ne pas être suivie d’une petite chute, Waves gardera un cap saisissant au fil des deux bonnes heures. Sous ses airs de simple chronique familiale, centrée sur un frère écrasé par le poids du modèle qu’il est censé être et sa sœur introvertie qui grandit en silence, le film de Trey Edward Shults compose une symphonie de vie et de mort, d’amour et de colère, de silence et de cris, sublimée par un travail formel magnifique.
Kelvin Harrison, déjà dans It Comes at Night
METRON’HOMMME
Son, musique, couleur, mouvement : Trey Edward Shults sature son film à tous les niveaux, exploitant la moindre parcelle de l’écran et de l’attention du spectateur pour assembler son univers et entourer ses personnages d’une aura presque magique. Le format même de l’image est un outil, que le réalisateur étire ou replie au fil de l’histoire, pour illustrer les impasses, les angoisses, et les libérations des personnages. Et contrairement à Mommy de Xavier Dolan, l’effet est ici tellement progressif, et inclus dans la narration sur toute la longueur, que le résultat étonne souvent par sa subtilité, et l’émotion provoquée dans des moments-clés. En contraste, les scènes les plus simples et calmes n’en deviennent que plus significatives.
Ce tempo renforce l’impression que le cinéaste compose son mélodrame comme une mélodie, dont chaque personnage serait un instrument différent, qui doit s’accorder au fil des drames. Pas étonnant alors de lire que Trey Edward Shults a été profondément bercé par la musique de Frank Ocean, et qu’il a mis une énergie significative dans la confection de la bande originale. Que Trent Reznor et Atticus Ross soient de la partie, pour des morceaux instrumentaux, ne rend que plus beau cet orchestre.
Accorder ses violons familiaux
BROTHER AND SISTER
Sans insister outre-mesure sur la larme, Waves regorge de moments forts, où le réalisateur et scénariste démontre une certaine finesse, malgré le poids potentiellement mastoc des sujets en jeu (le pardon, la culpabilité, la communication). Le côté programmatique du drame n’est jamais loin, mais jamais écrasant non plus. À mesure que le récit de cette famille prend une tournure dramatique, et que tout est peu à peu consumé par une suite d’événements, le film aurait pu tomber dans les pires travers du genre. Mais Trey Edward Shults s’accroche à ses personnages, malgré le changement de point de vue, et sans jamais perdre le fil de leur simple humanité.
Car l’exercice de style apparent n’est qu’un véhicule pour l’histoire de Tyler et Emily Williams. C’est eux qui battent le tempo de Waves, dans deux mouvements très différents. Vu dans It Comes at Night, le précédent film du réalisateur, Kelvin Harrison est la force destructrice, dont le réveil est inéluctable. Aux antipodes, Taylor Russell est la révélation du film. L’actrice vue dans la série Netflix Perdus dans l’espace est merveilleuse, donnant à ce rôle une magnifique émotion.
L’excellent Sterling K. Brown prouve encore une fois qu’il est excellent, et Lucas Hedges rappelle que même dans un rôle a priori ordinaire, il est capable de beaucoup.
Taylor Russell, vue dans Perdus dans l’espace
Lorsque s’achève Waves dans une boucle, il y a alors la vive sensation d’avoir traversé une tempête d’amour et de violence, d’avoir été emporté dans une vie entière. D’avoir ressenti des images magnifiques et entendu des mots déchirants. D’avoir vu un film discrètement puissant qui démontre, de manière définitive, que Trey Edward Shults est un cinéaste qui va compter, après deux premiers films très remarqués.
La paisible satisfaction est donc là lorsque le générique de fin arrive. Waves est passé, et laisse l’écume belle et terrible d’une expérience un peu spéciale.
Je viens de le voir et j’ai trouvé ça magnifique… Vraiment de belles images et une histoire tourbillonnante qui m’a emporté !