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La Communion : critique lumineuse

Par Marion Barlet
23 juin 2020
MAJ : 24 juin 2020
2 commentaires

La Communion, film polonais de Jan Komasa, ressort en salles le 22 juin, et c’est à voir absolument. Tout dans ce film est d’une sensibilité hors normes et évite les clichés, en déplaçant les thèmes. Daniel est un jeune délinquant qui, lors de sa liberté conditionnelle, décide de se faire passer pour un prêtre. La fraîcheur de ses sermons décape les âmes et son engagement s’exprime dans une radicalité déboussolante… jusqu’à sa perte.

photo, Bartosz Bielenia

UNE RÉALISATION LUMINEUSE

Le premier élément qui saute aux yeux dans la réalisation est la qualité de sa lumière. La photographie (Piotr Sobocinski) est hallucinante dans sa précision, dans la netteté des visages qu’elle met en avant, dans les jeux métaphoriques de clair-obscur, dans l’image cramée de la fin, le tout sans être démonstrative, présente pour servir l’histoire et non pas se mettre en avant. Cette qualité est une marque polonaise de plus en plus forte, et l’on se souvient par exemple du plaisir visuel de Cold War, film de Paweł Pawlikowski, dont le travail sur la photo nous avait impressionnés.

L’esthétique sur la lumière est à la fois magnifique et agréable, dans le sens où elle n’accapare pas l’écran (méta-réflexion sur le cinéma, caméra branlante, flous artistiques moches) et met en valeur le récit. Lumineux dans sa facture, le film l’est tout autant dans son interprétation et son récit, pour une joie totale chez le spectateur.

Bartosz Bielenia offre une interprétation sidérante, capable de transmettre un panel émotionnel rare, entre extase, peur, rage, joie et spiritualité, sans qu’une fausse note déteigne à l’écran. Complexe et ambigu, son personnage est une explosion d’humanité, dont le parcours extrêmement bien écrit est confirmé par un jeu extrêmement précis. La lumière intérieure qui l’habite se confond dans l’ombre de son passé, rendant le protagoniste mystérieux et attachant d’un même élan. Quant aux autres acteurs, ils sont d’un réalisme déconcertant, animés par des sentiments aveugles, cruels ou impartiaux qui permettent de construire un suspense psychologique mémorable.

 

photo, Bartosz BieleniaFiat lux !

 

LA RELIGION (N’) EST (PAS) L’OPIUM DU PEUPLE

L’affiche du film montre Daniel possédé, mais son histoire est plus complexe qu’une euphorie divine. Attiré par la religion, il lui est interdit de devenir prêtre suite au crime qu’il a commis – et qui est révélé dans une scène magistrale dans le confessionnal, où le rôle de pécheur et d’absoluteur sont inversés. Le film n’a rien d’une satire qui moquerait les excès de la foi, tout simplement parce qu’il déplace son thème et n’en fait ni une critique ni un éloge.

Si la religion est au coeur du film, c’est sous la forme du lyrisme et du cérémonial. Le réalisateur s’empare du catholicisme pour raconter une histoire transversale et transcendée par le goût du verbe et d’une sociabilité à double tranchant. Si la pratique religieuse rythme le quotidien du petit village, ses valeurs font parfois défaut aux habitants, obnubilés par la mort (accidentelle) de plusieurs jeunes, advenue avant la narration. Il n’y a pas d’élans mystiques, pas de lecture critique ou asservie de l’Église, simplement une pureté immense, paradoxalement enrobée d’un mensonge.

Malgré le caractère dramatique du récit, la mise en scène sait s’amuser du statut d’imposteur de Daniel. Prêtre auto-proclamé, il ne maîtrise pas tous les rituels propres à son statut, et doit mener des confessions à l’aide de son portable, ou improviser des rituels, le faisant passer pour un extraverti et un prêtre novateur. Ce décalage apporte une légèreté noble au propos, qui s’épargne une profondeur poussive et traite habilement l’histoire.

 

photo, Bartosz BieleniaMoment de liesse dans le village

 

RETOUR À LA CASE DÉPART (SPOILERS !)

On s’en doute dès le commencement, Daniel sera démasqué. Autre tour de force du scénario, c’est effectivement ce qu’il se passe, mais sans grandiloquence ou discours moraux sur le mensonge. Jeune délinquant, il est voué à retourner dans le centre éducatif qui l’avait libéré, à revenir dans la violence sociale et physique de sa condition originelle. Dans l’intervalle, il s’est fait adopter par une communauté, a rendu justice à un mort et n’a pas cédé au chantage d’un ex-détenu, prouvant sa sincérité et son engagement éthique pour une cause plus grande que lui.

Le destin sociologique le rattrape et lui impose de redoubler son crime. Le film s’ouvre et se clôt dans le centre de détention, où la brutalité constitue la norme, qu’il est impossible de fuir. Malgré son envie de reprendre tout à zéro et sa volonté d’absolution, Daniel est ramené à la case départ. La parenthèse spirituelle n’a pas fait de lui un ange, et le crime se répète dans la dernière scène, filmée caméra à l’épaule, hyper rythmée et agressive, où l’on sent les coups que prennent et portent les personnages.

Adversaire de Parasite pour l’Oscar du meilleur film international en 2020, La Communion propose finalement une lecture assez similaire de notre monde : quand on part du bas de l’échelle, toute l’intelligence et le talent que les personnages investissent ne suffisent pas à les extraire de leur condition initiale.

 

Affiche française

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Résumé

Interprété avec brio, subtil dans son récit, décisif dans sa chute et surtout lumineux dans sa photographie, La Communion est un film incontournable. À voir absolument.

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Ded

Concernant « Parasite », l’intelligence de cette famille de minables ne m’a pas sauté aux yeux. Certains diraient qu’ils ont mal employé leur intelligence. Mais franchement, l’intelligence, la vraie, ne sert-elle pas justement à surmonter les pulsions malhonnêtes et à briller dans ce pour quoi on est le plus prédisposé ? Or là, rien de brillant puisque tout foire. Le titre est suffisamment éloquent. Il résume ce que développe le film. A savoir, des personnages amoraux, opportunistes et veules, dotés d’un instinct animal de conservation jusqu’au-boutiste compensant là une incapacité totale à gérer par la réflexion les revirements de situation. Ce qui les conduira à la conclusion barbare de cette virtuose farce tragique.
Bizarrement le pitch de « La communion » m’a ramené instinctivement à « La bataille de San Sébastian » de Henri Verneuil en 1968 avec Anthony Queen. Du moins dans sa mise en situation originelle, car le reste tient plus du western que du parcours spirituel. Quoique… Le personnage, peu recommandable au départ, s’offre une belle rédemption, si mes souvenirs sont bons ?!
Bref, tous ces agités du goupillon, illuminés fictifs ou véritables, commencent à me fatiguer mais ce qui me réjouit, c’est que je suis totalement libre de ne pas les subir…

Cyp’sdon’tlie

Merci pour cette analyse, je n’avais pas pensé faire le rapprochement avec Parasite. C’est un film qui fait du bien aussi et on en sort tout retourné : Quelle joie de retrouver les salles pour voir des films de ce calibre !