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The Vast of Night : critique en direct de la zone 51 et d’Amazon Prime

Par Mathieu Jaborska
16 juillet 2020
MAJ : 1 août 2020
12 commentaires

Il est très rare de croiser des réalisateurs de longs-métrages qui sortent totalement de nulle part, tant se lancer dans un tel projet demande une expérience et beaucoup de confiance. Andrew Patterson fait partie de cette fine catégorie, puisqu’il a réalisé, écrit (sous pseudonyme), monté et produit en partie The Vast of Night, doté de fait d’un budget microscopique n’atteignant même pas le million de dollars. Forcément, le film ne pouvait briller qu’en festival, et même cette étape a été difficile à passer, puisqu’il a essuyé 18 refus avant d’être projeté à Slamdance en 2019. Adoubée par Steven Soderbergh, la petite production a finalement atterri sur Amazon Prime, pour le plus grand plaisir des amateurs de science-fiction vintage et de mystérieuses théories du complot.

The Vast of Night : Affiche officielle

RENCONTRES DU TROISIÈME TRIP

The Vast of Night est clairement un film fauché. L’ouverture, parodiant sans détour le générique de la cultissime série La Quatrième Dimension, n’est donc pas si déconcertante. Le format et l’efficacité de l’anthologie de Rod Serling sont régulièrement mimés avec amour par une pléthore de productions visant les festivals et autres manifestations cinéphiles. Parfois, c’est par pure complaisance nostalgique, un mal bien populaire et terriblement redondant. D’autres fois, c’est juste par amour de la simplicité de ces intrigues, des perspectives qu’elles ouvrent et de leur compatibilité avec un budget forcément réduit (The Room, Await Further Instructions).

Rien de tout ça dans cet essai, qui préfère faire de son influence son propos, grâce à un traitement presque méta de la diffusion de la fiction. Car dès lors que cette fausse introduction se termine, le film n’hésite pas à plonger sans préambule son spectateur dans de véritables tunnels de dialogues, à travers une mise en scène très ample, mais collant sans cesse aux basques des protagonistes (Sierra McCormick et Jake Horowitz), deux personnalités fortes dont la vie s’articule autour de la gestion des transmissions radiophoniques ou téléphoniques.

 

photoRadio active

 

Loin de se contenter de son ancrage esthétique évident et de ses références, bien plus intéressantes qu’une énième lettre d’amour adressée aux années 1980, le film n’hésite pas à se dégager complètement de toute forme de mimétisme pour tracer son propre sillon dans la nuit noire, serpentant en temps réel dans une ville absorbée par un match de basket. Ne niant jamais son identité pour le moins atypique, se construisant – et on y reviendra un peu plus loin – sur la dimension orale du mystère, il s’émancipe du pan de cinéma d’exploitation qu’on s’attend à le voir exploiter pour proposer une vraie déambulation visuelle et sensorielle dans une unité spatiale floue, un véritable trip au sens presque hallucinogène du terme.

Bien sûr, le poids de l’imaginaire des années 1950 ou 1960 et surtout des classiques de la SF émerveillée comme Rencontres du troisième type reste palpable, mais le maniérisme presque (certains diront trop) poétique de la proposition l’emporte, et l’hyperactif le plus réticent à un rythme aussi lent pourrait même se faire absorber avec le reste du public dans cette spirale nocturne visuellement splendide, compte tenu du peu de moyens à disposition. De fait, le sujet, c’est-à-dire une possible présence extraterrestre, est exploité avec justesse dans un scénario bien plus profond qu’il en a l’air, évitant avec aise le piège de l’hommage plombé par ses effets.

 

photo, Sierra McCormickBlue seatbelt

 

VIDEO HELPED THE RADIO STARS

Dès les premières minutes, et alors que les enjeux véritables sont loin d’être définis, l’enregistreur audio est au cœur des débats. Le premier tiers s’attache donc à présenter, au détour de dialogues savoureux et non sans une ironie parfois amusante le matériel qui motive l’intrigue, du micro domestique, symbole de l’irruption de ce type d’équipement sur le marché américain, au studio radio, poncif inévitable, en passant par la plus obscure centrale d’appel, imbriquant définitivement cette histoire dans les années 1950.

En effet, la narration fait clairement le lien entre l’explosion de la capacité technique d’enregistrement pour le grand public et les premières grosses théories du complot concernant les petits hommes verts, la plus connue d’entre elles étant l’affaire Roswell, cas suspecté d‘apparition extraterrestre. Le lien entre ces deux mouvements est au centre du long-métrage, même si, grâce à la mise en abîme déployée, il ne répond jamais à la question suivante : l’augmentation des capacités techniques de captation de l’environnement a-t-elle créé l’idée des extraterrestres, ou a-t-elle tout simplement permis d’enfin les percevoir ?

 

photo, Jake Horowitz« 3615 humains, j’écoute »

 

Presque conçu comme une suite d’entretiens rendus encore plus ésotériques via leur puissance d’évocation visuelle, le film cultive ainsi la passion du témoignage enregistré, de l’aspect palpitant de la parole diffusée, à visage découvert ou non. C’est de là que viennent les mythes passionnants les ufologues, les cinéphiles et Andrew Patterson : une fascination pour les monologues captés par la technologie, et un entêtement à les décrypter.

Et là où le génie du jeune cinéaste frappe, c’est qu’il parvient sans mal à faire vivre ce magnétisme à travers le cinéma, plutôt que se débarrasser de l’image pour faire du podcast filmé. Les plans fixes sur les acteurs, leur jeu, et les effets de style (parfois un peu lourds) qui séparent les témoignages participent à les auréoler de mystère. Le mystère en question devient dès lors aussi visuel que sonore et revient à une pureté de l’appréhension que la science-fiction spectaculaire du moment, toute convaincante soit-elle, est incapable de faire ressurgir. Patterson redéfinit l’impact du surnaturel par l’expérience, le tout sans prétention aucune.

 

photoLes cassettes, c’est surfait

 

La simplicité de l’étrange est pourtant paradoxalement démontrée par certains plans super complexes, à l’instar du fameux plan-séquence qui conclut le premier tiers, démonstration technique arpentant le microcosme de ce village indéfini avec une vélocité presque suspecte, un moyen de signifier la présence d’une autre forme de déplacement. Typiquement le genre de séquence qui entraîne des « mais comment il a fait ça ? » légitimes. Sobre, mais incroyablement audacieux, l’effet est parfait.

Voilà presque un adage pour caractériser l’expérience, culminant dans un final tout bête dans l’idée, majestueux dans l’exécution, un vrai moment de cinéma qu’on a souvent retrouvé dans les premiers essais de grands artistes de l’industrie. Espérons qu’avec plus d’argent et plus d’opportunités, Andrew Patterson saura se faire un nom, du moins avant qu’une grosse écurie de super-héros ne gâche son talent à coups de reshoots.

 

Affiche

Rédacteurs :
Résumé

Indéniablement audacieux, ce premier film impressionne par ses partis pris. Il redonne un sens à l'aura mystérieuse qui entoure la science-fiction minimaliste en mettant en exergue la puissance d'évocation du témoignage enregistré, pour un voyage aussi extra que terrestre.

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euh..

Pareil que beaucoup de spectateurs sensés: le film est extrêmement survendu par les techniciens du cinéma. Le film est verbeux au delà du tolérable dès le début, et au bout d’une demie-heure de dialogues insipides ininterrompus, j’ai lâché l’affaire, totalement saoulé. C’était peut-être pas le soir, je ne sais pas, mais qqch me dit que je n’aurai pas le courage de le revoir.

Comme quoi, la masturbation intellectuelle des uns ne convient pas forcément aux autres.

Flash

Vu et déçu, la critique m’avait bien vendu le « produit », mais globalement, j’ai trouvé ce film ennuyeux et surtout prévisible. Deux étoiles et c’est bien payé.

LCR

@Eliott

Je suis d’accord sur le fait que ça peut être ennuyant, et que la photographie, les couleurs sont pas très attirantes, mais n’oublie pas que ça a été fait un micro budget. Ils ne pouvaient pas faire tous ce qu’ils veulent. Du coup, ils ont utilisés leur budget au maximum, et ça se voit. Moi je dis juste chapeau pour le taf.

Les dialogues sont longs, mais arrivent quand même à entretenir l’imaginaire quant à cet étrange évènement. Et ce fameux plan-séquence est vachement utile d’un point de vue de gestion de l’espace, et tu auras aussi remarqué d’où la caméra part, et où elle s’arrête… Là aussi, ce plan montre également (PETIT SPOILER ?) le lien entre les 2 personnages. Franchement… Pour un début, je trouve que le réal a produit là un tout petit trésor de sci-fi.

Eliott

The boring night aurait été un titre plus approprié, il se passe rien, c’est déjà vu, revu et rerevu. Même pas un twist, même pas une montagne en purée, des dialogues d’une débilité rare, une fin attendue, rien à sauver et ça s’exstasie devant un plan séquence nul qui sert à rien et une technique à base de filtre instagram.

coco

Je ne retiendrai que le coté « minmial » astucieux et une belle immersion dans ce village perdu dans la campagne

Le scénario est malheureusement attendu (même la fin) et l’exposition un peu trop longue avant que ca démarre vraiment.

LCR

@nico35600

C’est diffusé sur la plateforme de streaming Hulu

nico35600

Curieux de le voir, merci (ou pas) pour la découverte 🙂 🙂
@LCR Pour ce qui est de Palm Springs, y a un diffuseur en France?

LCR

@Bubble Ghost

Haha 🙂

Alxs

Dommage d’en avoir fait un film, j’ai eu l’impression d’une création radio – d’ailleurs j’ai passé le derniers tiers du film les yeux fermés…

Bubble Ghost

@LCR… Même si le trailer a un ou deux petit air de déjà vu, merci de m’avoir fait découvrir l’existence de Palm Springs. Grâce à toi, je vais me précipité dessus, dès qu’il sera disponible chez nous. ça a l’air d’être tout à fait mon genre de came débile et délirante ^^