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Le bonheur des uns… : critique envieuse

Par Mathias Penguilly
21 mars 2023
MAJ : 11 avril 2023
14 commentaires

Le bonheur des uns… est une comédie française de Daniel Cohen, adaptée de L’île flottante, une de ses pièces de théâtre méconnue. Il y met en scène un quatuor très théâtral d’amis quarantenaires qui commencent à s’embrouiller quand la plus discrète des quatre rencontre un succès inattendu. Envie et jalousie, aigreur et ressentiment, viennent pimenter cette drôle de comédie.

Le bonheur des uns... : Affiche

T’ES DANS TA JALOUSIE…

Léa (Bérénice Bejo) est une jeune vendeuse en prêt-à-porter, en couple avec Marc (Vincent Cassel), le commercial d’une usine spécialisée dans l’aluminium – et vraiment passionné par son… matériau. Ils sont très proches du fantasque Francis (François Damiens) et de sa femme Karine (Florence Foresti), la meilleure amie d’enfance ultra-extravertie de Léa. Cette dernière est très discrète, très douce… et se fait un peu marcher sur les pieds par les trois autres. Lorsqu’elle rencontre un succès absolument inattendu en publiant son premier bouquin, leur amitié s’enfonce dans une spirale dégénérée.

Après une brève introduction destinée à montrer la gentillesse de Léa, le film démarre par une très longue scène au restaurant où les deux couples d’amis ne parviennent pas à se décider sur la nécessité ou non de prendre un dessert. Léa en veut un, les trois autres non. Elle propose de ne pas en prendre et s’en suivent alors dix bonnes minutes d’échanges très vaudevillesques pour savoir si oui ou non, les quatre compères vont prendre un dessert.

Dès le départ, la partition sonne un peu faux, la caméra passe d’un visage à l’autre, d’une incompréhension à l’autre, dans une conversation absolument ridicule. Les dents grincent, quelques sourires s’esquissent, mais face à cette interminable scène, le spectateur risque d’être au moins aussi agacé que le serveur. L’exposition traîne un peu, ronfle et peine à décoller tant les personnages ne quittent jamais leur théâtralité moins adéquate face à la caméra que sur les planches d’un théâtre de boulevard.

 

photo, Florence Foresti, François DamiensDes amis pleins de vilains défauts

 

… J’SUIS DANS MA LIBRAIRIE !

Le film prend néanmoins son envol petit à petit dès que Léa confie ses rêves d’écriture et de publication. Le rôle de Léa convient très bien à Bérénice Bejo qui illumine le film de sa tendresse. Son personnage de romancière sensible et un peu sous-estimée semble très crédible à l’heure où Joel Dicker, Marc Levy et Guillaume Musso sont les auteurs français les plus vendus. François Damiens brille également à travers sa partition d’artiste-sans-talent et insatiable qui s’essaie d’abord à la musique électro puis à la sculpture, au jardinage, à la cuisine…

 

photo, Bérénice BejoÇa passe ou ça dédi-casse

 

Le film est autant une fable sur la manière dont la jalousie gangrène les rapports humains que sur la nécessité pour tout un chacun de se trouver une échappatoire, une activité dans laquelle il excelle pour évacuer les petits stress du quotidien. À ce propos, le personnage de Florence Foresti est aussi touchant qu’énervant : égocentrique et pétrie de jalousie, Karine finit par trouver sa voie dans la course à pied. Dommage que derrière les rires – le couple qu’elle forme avec Francis possède les meilleures punchlines, sans conteste – on ne ressent qu’une certaine antipathie pour son personnage.

De la même manière, la plupart des personnages secondaires sont assez pauvrement écrits, voire quasiment absents : seul le manager de Léa possède plus d’une dizaine de lignes et Daniel Cohen s’offre une performance presque gênante. Le personnage un peu bourrin de Vincent Cassel est aussi assez monotone. Il retrouve ici un rôle pas très original, auquel il nous a habitués avec ses choix de longs-métrages passés, mais sans la présence qu’il pouvait avoir dans Juste la fin du monde, Mon roi, ou encore plus récemment dans Hors Normes, la dernière tragicomédie de Nakache et Toledano.

 

photo, Florence Foresti, François DamiensÉrotisme sculptural : Rodin et Claudel n’ont qu’à bien se tenir !

 

L’entière promotion du film semble reposer d’ailleurs essentiellement sur Foresti et Cassel qui offrent ici une performance peu nuancée et moins agréable que leurs partenaires de jeu. On a envie de les aimer, mais impossible de se dégager de l’idée qu’ils agissent vraiment… comme des connards. L’humour assez bien senti de la pièce de Daniel Cohen rend quand même le film assez plaisant.

Les décors et la mise en scène sont multiples et aussi très soignés : de restos parisiens en rame de métro tardive, de luxueux appartements haussmanniens en loft familial de banlieue, les protagonistes évoluent dans un cadre très particulier qui parvient à nous convaincre de sa banalité et de son accessibilité. Puisque le succès et l’épanouissement personnel sont à portée de crayon, de fourchette, de basket ou de clavier, qu’attendez-vous pour retrouver vos talents délaissés ? Une chose est sûre : Le bonheur des uns… pourrait vous donner envie de vous y remettre sérieusement.

 

Affiche

Rédacteurs :
Résumé

Malgré un début un peu poussif et très théâtral, la comédie de Daniel Cohen prend son envol au fur et à mesure grâce à son attachante héroïne et à ses amis grotesques. Le film vous fera rire assurément et convaincra très certainement tous les auteurs en herbe de se remettre à l'écriture... gare à la page blanche et au plagiat !

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Mad

Pas très client des comedies j ai ici beaucoup ris grâce à François Damien. Bien vu aussi cette caricature presque réelle des bourgeois jalous du succès des autres.

Flo

On pourrait croire à un de ces films de groupe français, avec des petits bourgeois qui ont plus de problèmes relationnels que de fin de mois (ce qui n’est pas non plus très intéressant à voir)… mais le programme va un peu dévier de cette structure comique ultra rebattue.
Déjà le début au restaurant ressemble trait pour trait à un sketch à la Muriel Robin (et avec son sosie vocal, Florence Foresti). Une commande de dessert qui n’en peut plus de tergiverser à cause du manque de poigne d’une des convives.
Sauf que c’est justement la caractérisation de ce personnage, soumis à des dominateurs, qui permet de mettre en place la logique du récit : et si c’était cette éternelle bonne patte qui prenait socialement l’ascendant sur tout le monde, grâce à un talent insoupçonné et peu croyable, alors qu’elle n’avait rien demandé… qu’est-ce que ça nous donnerait ?
Et bien, se reposant sur certains traits de personnalité connus de ces quatre acteurs (pas un de plus, tant mieux), d’une part on se retrouve avec deux parangons d’égocentrisme – Vincent Cassel en colosse aux pieds d’argile, finalement attiré par une jeunette, Foresti en casse-pied cassante hyperactive, masquant un gros manque de confiance en soi. Sans être complètement détestables.
Et leurs conjoints respectifs, deux monstres d’humilité et de simplicité – François Damiens dans l’une de ses partitions de doux dingue, ici en mode nounours… et surtout Bérénice Bejo, qui arrive à tenir tout le film en grande fille modeste, imperturbable et imperméable à la moindre mesquinerie. Gentiment énervante, forcément. Ahurissante, donc.
Ailleurs, c’est à dire dans une comédie potache et bardée de musique en rythme, ils seraient des archétypes grotesques. Ici, on est dans une comédie légèrement dramatique (et légèrement comique aussi) qui laisse la gentillesse et le fiel se distiller tout en douceur. À peine perturbé par les brèves interventions décalées d’un cinquième larron joué par le réalisateur Daniel Cohen lui-même (sosie vocal de José Luccioni), en patron aux objectifs professionnels lunaires.
Le tout ressemble à du Foenkinos grinçant.
Curieusement original.

Danseuse

Si c’est un film américain :1/5

Cidjay

J’ai commencé à le regarder hier avec ma femme…
c’était tellement original, passionnant et drôle que je me suis cassé au bout de 15 minutes.
Y’a pas à dire c’est le style de film français par excellence.
Le cul entre 2 chaises, tu sais pas si il faut rire ou pleurer, l’histoire est aussi intéressante que moi aux toilettes. et malheureusement, c’est apparemment le seul genre de film qui arrive à trouver des financements en France.

Christi5-59

Après un début assez fade, voir agaçant, j’ai adoré ce film qui m’a rappelé des tas de souvenirs vécus. L’égocentrisme des gens qui parlent d’eux en permanence et ne savent pas écouter les autres. La jalousie dés que l’autre semble réussir un peu mieux, les mensonges, la comédie et le silence, pour ignorer les choses flatteuses et évidentes. Un vrai portrait de la société actuelle, où chacun veut briller, quel que soit son niveau et ses capacités. Des passages qui font mal, c’est dur de constater que des amis peuvent vouloir vous détruire, dés que vous les dépassez un peu. Bravo pour ce film , très réaliste !!

Cecile

Très deçue. Beaucoup de mal avec ce film. Le scénario est fade, très léger. Bref, ce film ne laissera pas un souvenir dans les mémoires. Ce n est pas un film cinématographique. Un téléfilm tout au plus.

Plusfan

@Pulsion 73 et Tnecniv

Bienvenue au club… 😉

tnecniv

@Pulsion73 ,
idem pour Foresti , je la trouve imbuvable .

Ankytos

@Hank Hulay
« Pas possible de faire une comédie avec des vrais gens »

Je comprends l’idée, moi aussi je suis régulièrement agacé que la moitié des films français au cadre contemporain concerne des bourgeois parisiens ; sinon, on verse souvent directement dans le misérabilisme (c’est en tout cas le sentiment que cela me donne. Après, je n’ai pas fait de stat’).

En revanche, n’oublions pas que les bourgeois parisiens sont des vrais gens aussi 🙂

Pulsion73

déjà vu tout ça. Foresti de toute façon je peux plus.