1001 PATTES
Annoncé comme l’ambassadeur d’un cinéma de genre français dévoilant de nouveaux appétits, La Nuée aurait dû fondre sur la Croisette en 2020. Le film en a été privé, la faute à la même crise sanitaire qui l’empêcha de sortir sur les grands écrans hexagonaux. Des mois plus tard et alors que la réouverture des salles a accueilli des propositions françaises aussi stimulantes et prometteuses que Méandre ou Le Dernier Voyage, les sauterelles de Just Philippot débarquent dans les salles obscures.
Avant ce premier long-métrage, le jeune metteur en scène a dirigé plusieurs courts-métrages, notamment le remarqué Acide, dans lequel une famille faisait de son mieux pour échapper à une averse corrosive, laquelle mettait à nu les conflits les (dés)unissant au moins autant que les chairs. C’est une équation similaire qui préside à la narration de La Nuée, et qui compose en grande partie sa réussite. Oui, cette histoire d’élevage de sauterelles pas comme les autres s’assume fièrement comme un film d’horreur, mais comme d’une horreur qui prend avant tout racine dans ses protagonistes, et dans les épreuves qu’ils traversent.
Le bonheur n’est pas du tout dans le pré
Nous suivons ici Virginie, agricultrice veuve et mère de deux enfants, qui tient à bout de bras l’exploitation familiale qu’elle vient de reconvertir en élevage de sauterelles. Parce qu’elle ne peut abandonner cette entreprise qui l’essouffle et la dévore, cette dernière commence à prendre des proportions inattendues, qui amènent rapidement l’intrigue au carrefour de la science-fiction et de l’horreur corporelle chères à David Cronenberg.
Un terrain d’autant plus propice que la mise en scène sait se plonger avec précision dans le quotidien d’une ferme en déroute, sur les corps qui ploient pour en effectuer les tâches, souvent ingrates, toujours exténuantes. Philippot use de la géographie de son décor, faussement fécond, puissamment sauvage, et des rares humains qui le peuplent.
Un élevage qui ne manque pas d’estomac
MANDIBULES WITH A VENGEANCE
Constatant la fatigue, saisissant la naissance des névroses et la gestation des monstres, il avance pas à pas, par petites touches, filmant d’abord les corps chitineux des sauterelles comme une forme d’altérité radicale, menaçante par essence. Puis, insidieusement, le vrombissement des ailes, la mélopée des tarses, s’accrochant à la moindre surface ou le frottis des antennes composent une toile de fond qui contamine tout le récit. Parallèlement, la pression économique et familiale progresse de manière exponentielle, cartographiant un espace saturé de tensions et de souffrances.
D’un système qui pousse le vivant à se cannibaliser, le scénario tire donc le concept d’un élevage reflétant progressivement l’intériorité de son exploitante. Intériorité d’autant plus tourmentée que se dessine un conflit familial violent. Ce dernier peut exister grâce aux prestations admirables de Suliane Brahim et Marie Narbonne, aussi justes dans leurs silences que dans les confrontations (nombreuses, variées, intenses) qui lardent une relation mère-fille aux airs de valse mutilante. Tenant avec autant d’aisance ce drame rural dans la continuation d’un Petit Paysan et son penchant carnassier qui se révèle inexorablement, il offre au spectateur un récit poignant et profondément inquiétant.
C’était quoi déjà le truc avec les Plaies d’Égypte ?
Justement parce que La Nuée ne tranche jamais quant à l’origine de ses débordements cauchemardesques. Est-ce un deuil impossible qui a empoisonné les esprits à la manière d’une source, et répand son venin au sein d’une famille prise à la gorge ? Est-ce le dévoiement d’une nature prodigue qui engendre la corruption de Virginie ? À chacun de trancher. Une certitude, la subtilité avec laquelle interprétation, photo et musique s’allient pour rendre compte d’un quotidien le plus souvent invisibilisé, et finalement lui faire rencontrer une pure et radicale ambition de fiction, force le respect.
Une performance très impressionnante de Suliane Brahim
GRILLONS LES GRILLONS
Il faut d’ailleurs souligner la réussite des deux auteurs du film, Jérôme Genevray et Franck Victor, tant ils articulent une architecture diabolique qui enserre inexorablement chaque protagoniste vers un devenir viande tragique. Parce qu’ici, plus rien ne compte finalement que transformer une terre nourricière (le terreau familial aussi bien que de malheureux insectes) en un sanctuaire de dévoration, mû par une logique industrielle absurde, qui répand la mort quand elle feint d’entretenir le vivant. Quand le cinéma hexagonal est souvent aussi frileux avec le filmage de la ruralité que le cinéma horrifique, on apprécie d’autant plus de suivre une histoire capable de mêler ces deux univers aussi organiquement, nourrissant toujours l’un de l’autre;
Et si on regrette forcément la brièveté du climax, qui ne tient pas la promesse du siège insectoïde faite au spectateur, ce choix de l’intensité et de la simplicité permet au long-métrage de s’achever à la manière d’une formidable détonation. Alors qu’il ne dépend plus de l’écriture de ses scénaristes, mais de sa seule capacité à traduire par la mise en scène la portée monstrueuse et tellurique de ce qui se joue, Philippot pousse ses anti-héros dans leurs derniers retranchements. Dès lors, la gloutonnerie des sauterelles s’incarne enfin et avec une belle cruauté. S’il ne prend pas tout à fait le temps de mesurer la portée mythologique qu’aurait pu prendre La Nuée dans ses dernières secondes, le réalisateur parvient néanmoins à accomplir un saisissant tour de force.
Sous les huées machistes…
Mais faire un long-métrage sur les difficultés paysannes, c’est Déjà flirter avec le film d’horreur – ou un thriller. Alors imaginez si vous y mettez une femme et de vraies créatures féroces dedans.
Pas facile par contre de définir le film de Just Philippot, qui commence avec des plans aériens de champs qui font penser aux lignes de codes de Matrix. Et qui multiplie les serres d’élevage, qui font autant penser à de la SF, spatiale (des missions sur Mars par exemple) qu’à un élevage d’insectes monstrueux sorti de « Au delà du réel » ou de « X-Files ».
Sans compter un tas de pistes narratives et autres idées, qui n’iront finalement pas très loin – l’importance de l’enfant, la mort mystérieuse du père, l’aide providentielle de l’ami de la famille, le fracas des éléments à la fin (feu, puis eau)…
Non dès le début, ce film est plus ou moins une variation de « Aliens », avec que des acteurs « nouvelles têtes », dont on ne peut prédire l’évolution à l’écran… ni la survie.
Suliane Brahim a beau commencer comme une petite sœur de Charlotte Gainsbourg ou Florence Loiret-Caille, très vite elle devient Ellen Ripley, avec une robustesse qui dénote avec son physique frêle… Et la façon dont elle se fait dévorer au sens propre (son sang, donc sa colère nourricière) et figuré (comme tous les éleveurs pris à la gorge ou poussés à la surproduction à tout prix) est glaçante.
Pour ensuite devenir la Reine Alien. Et là ça y est, on comprend : c’est l’histoire d’une mère orgueilleuse, et sa nouvelle engeance dénaturée (par la folie des hommes, mais directement à la source, sans la Science)…
Contre sa fille naturelle, la seule à avoir compris que rien n’allait bien, et qui doit trouver comment intervenir pour sauver sa maman d’elle-même – Marie Narbonne, frondeuse.
L’économie de moyens est utilisée au mieux, alternant entre les moments explicitement sanglants, et ceux où l’imagination du spectateurs turbine à mort. « L’enlèvement » de la chèvre par exemple. Et on ne verra que quelques cicatrices, mais on devine quel corps il y a sous ces vêtements.
Pour autant ce n’est pas un film qui fait viscéralement peur. C’est plus de la tristesse qui émane, le sentiment de gâchis et de désespoir.
Ainsi qu’un parti-pris étonnant, qui voit l’antihéroïne être gardée de tous jugements malgré la gravité de certains actes.
Après tout, elle voulait survivre elle aussi.
Ce film m’a paru très … réaliste . Je veux dire qu’il n’est pas rare que l’on se perde dans ce qui nous semble être à faire, ce qui nous semble devoir être fait , à la fois prêtre et viande du sacrifice à un dieu surmoïque et dévorant au dépends de soi et des autres. Il faut, à mon sens , toute la sobriété de ce film pour en faire une juste métaphore. Ce n’est pas les montées d’adrénaline qui font le miel de ce film mais la richesses des possibilités métaphoriques, ce qui est la marque des grandes oeuvres fantastiques à mon sens.
Perso pas du tout aimé, je me suis ennuyé bien comme il faut. Déçu.
Bon film de genre Made IN France. Certains passages sont vraiment anxiogènes.
Je regrette juste la fin trop abrupte et rapide et certaine mort.
Mais hormis cela, pour un premier essai, il est vraiment réussi.
Une ambiance ne fait pas un film. C’est bien de prendre son temps mais c’est encore mieux de raconter une histoire et de se creuser la tête pour mettre en scène des péripéties et s’enfoncer de plus en plus dans l’horreur. Ici rien. Un personnage principal imbuvable qu’on a juste envie de voir se faire bouffer, qui s’enfonce dans la folie sans que le Real ne réussisse à mettre en scène un final marquant. Tout est mou, tout le temps. Dommage, il y avait potentiel a s’amuser un peu.
Je l’ai vu et franchement c’est pas terrible , le film mets du temps à se mettre en place , c’est pas très bien filmé ….moyen
Sur les photos.
Hâte de voir ce nouveau film de genre français !
Un très bon film de genre, français, qui plus est bien réalisé, avec des thématiques que je trouve perso bien traitées (relation mère-fille, cohabitation dans la chaire entre humain/animal, les dérèglements climatiques ou familiaux, l’industrialisation et le dur labeur à la campagne et toute autre thématique que chacun pourra trouver derrière!).
Les 2 enfants sont superbement dirigés, leurs interprétations est quasi naturaliste comme la photo du film qui lorgne vers Malick tendance Nestor Almendros/John Toll.
Sous oublier lees effets sonores sublimes et immersifs.
Seul bémol, la fin qui je trouve est grave expédiée et typique des défauts d’un 1er long.
Un film qui mérite d’être soutenu et vu au cinoche (malgré cette canicule de ouf) même si je crois qu’il devait être présent au Festival de Cannes l’année dernière.
Très bon film, d’actualité, en lien avec l’écologie où le genre du film de genre prend tout son sens dans cette épopée rurale. Éclosion du talent de l’actrice principale qui, si on ne s’est pas pourquoi on ne l’avait pas vu avant, va percer les écrans de ces prochaines années tant son interprétation est fine, en décalage avec le style de jeu contemporain (avec tout ce que cela a de positif), et j’ai plus que hâte de continuer à découvrir la palette de son jeu.
Je suis plus modéré personnellement.