I like to be in America
Pour son rêve de comédie musicale qu’il s’était promis de réaliser, Steven Spielberg s’est lancé un double défi à double tranchant : adapter sur grand écran un des titres les plus cultes de Broadway – si ce n’est le plus culte -, tout en passant après l’adaptation cinématographique de 1961, récompensée de 10 Oscars et considérée à raison comme un chef-d’œuvre. Et comme espéré, cette rencontre au sommet entre Broadway et Hollywood est une prouesse artistique audacieuse qu’on peut d’ores et déjà qualifier de nouveau chef-d’œuvre.
Avec une passion communicative, le cinéaste de 74 ans démontre une nouvelle fois son éclectisme sans jamais trahir le matériau d’origine ou s’y enchaîner. Le scénariste Tony Kushner (déjà crédité sur Munich et Lincoln) préserve l’essence de l’œuvre et reprend respectueusement les partitions de Leonard Bernstein et les paroles de Stephen Sondheim, mais s’applique surtout à mettre en exergue les thématiques sous-jacentes de la pièce originale. En ressort un long-métrage plus franc, violent et politique, qui donne aux gangs de rue et leur malaise social une importance égale à l’histoire d’amour romanesque de Maria et Tony.
Plus d’intimité pour le couple
Profitant d’un recul historique que n’avaient pas Jerome Robbins et Robert Wise, ce nouveau West Side Story explicite la gentrification des quartiers pauvres de New York, et tout particulièrement de l’Upper West Side qui n’est plus qu’une ruine disputée par deux clans orphelins qui en seront inévitablement dépossédés. Dès son ouverture, le film surplombe ainsi les chantiers de démolition et plonge littéralement au milieu des gravats, de la poussière et des bâtiments éventrés au terme d’un plan séquence magistral qui contextualise d’emblée cette mutation urbaine aux allures de guerre civile.
Les dialogues, intelligemment remaniés, abordent plus frontalement le racisme, la pauvreté, la peur et le sentiment d’exclusion des deux groupes issus de l’immigration, dont le film appuie autant les ressemblances que les différends avec un regard plus actuel. Pour ce faire, la communauté et la culture portoricaines sont remises en avant, avec le choix d’inclure des lignes entières en espagnol (sans sous-titres), tandis que le scénario leur offre plus d’interactions et s’invite dans leur intimité plus que le film original n’avait osé le faire.
Tout comme le scénario jette un nouvel éclairage sur le personnage d’Anybodys, un homme trans qui ose revendiquer sa masculinité à haute voix, ou l’agression d’Anita par les Jets, explicitement présentée comme une tentative de viol.
Someday, somewhere
S’il est plus politique et se tourne vers le passé pour mieux décrire les affres de la société américaine actuelle, West Side Story reste une réadaptation vibrante et enchanteresse, dont chaque plan est un joyau au service d’une immense pièce d’orfèvrerie. Ce bijou est en partie confectionné par Janusz Kaminski, le directeur de la photographie qui suit le réalisateur depuis La Liste de Schindler et dialogue avec les ombres, les lumières et les couleurs pour une esthétique délicate et tout simplement sublime.
Spielberg quant à lui s’écarte des origines scéniques de l’œuvre et décloisonne les cadres en tournant en extérieur pour intensifier son spectacle musical et lui donner plus d’ampleur et de réalisme. Pour marquer cette authenticité, il sillonne davantage les rues du quartier – celles au cœur même du conflit – dans des numéros euphoriques et entraînants, en particulier la reprise d’America avec son ambiance carnavalesque. Dès l’ouverture, il casse la staticité de la première adaptation, affirmant un peu plus le traitement cinématographique de sa réadaptation.
Sa caméra ne reste donc plus spectatrice du ballet, mais y prend pleinement part. L’objectif se mêle aux acteurs, les surplombe, accompagne leurs mouvements élancés, les dicte par moments, pour devenir un élément à part entière des chorégraphies virevoltantes de Justin Peck. West Side Story reprend les mêmes séquences, qu’il réarrange habilement pour donner aux chansons une autre signification.
Un des exemples les plus frappants est celui de Rita Moreno dans le rôle inventé de Valentina, la veuve portoricaine de Doc, qui hérite du titre mélancolique Somewhere, et charge la musique d’une symbolique plus universelle, le morceau étant à l’origine chanté par Maria et Tony après la rixe des Jets et des Sharks.
La chanson Cool intervient quant à elle plus tôt dans le récit et oppose Riff à Tony. Cette scène, là encore minutieusement chorégraphiée pour mêler danse et bagarre, renforce la dramaturgie et accentue l’implacabilité du drame à venir. Au lieu de ressouder les Jets, cet affrontement déchirant renverse la dynamique du groupe en fracturant la relation entre Tony et Riff, plus fraternelle et sentimentale. Le pistolet prend donc une place plus importante dans l’intrigue, symbolisant l’escalade de haine et l’engrenage dans lequel les deux gangs sont pris.
THIS IS THE VOICE
Enfin, il serait malhonnête de ne pas consacrer une dernière partie au casting, composé de plusieurs noms encore méconnus du grand public, mais bien plus proches des personnages qu’ils incarnent. À commencer par Rachel Zegler, l’interprète de Maria âgée de 20 ans, à qui Spielberg offre son tout premier rôle au cinéma. Avec son visage juvénile, sa gestuelle gracieuse et sa voix de princesse Disney, son prochain rôle dans le remake de Blanche Neige en prises de vues réelles apparait comme une évidence.
La jeune actrice vole malgré elle la vedette à son partenaire d’affiche, Ansel Elgort, qui apporte plus de fragilité et de sensibilité à Tony, à qui il prête une voix suave, mais un peu trop introvertie. L’émotivité du film repose également sur Rita Moreno – ancienne actrice d’Anita -, dont la voix éraillée s’élève pour l’un des moments les plus poignants du film. Son personnage est à la fois un pont générationnel et ethnique, lui donnant plus de consistance que le Doc joué par l’acteur Ned Glass.
Le casting féminin se retrouve cependant vite éclipsé par l’énergique Ariana DeBose. L’actrice succède à Rita Moreno sans avoir à rougir, de même que Mike Faist dans la peau d’un Riff plus nerveux et David Alvarez dans celle d’un Bernardo plus passionnel. En plus de ses talents indéniables de chant et de danse, la distribution offre une complexité aux personnages, de la même façon que Spielberg s’empare de l’œuvre pour lui donner une nouvelle tonalité, sans jamais renier son héritage.
Pour moi,même si il ne va pas directement à l’essentiel comme la version initiale, il garde un sens profond. Celui de la vision d’un grand réalisateur qu’est Spielberg, dans un scénario détaillé, interprétable, voire contestable,mais digne de curiosité!Pour le mélomane que je suis, une nouvelle version sonore qui bénéficie des moyens modernes d’enregistrement est toujours un plus, surtout qu’elle respecte tout les aspects de la version originelle.
J’adore Spielberg et je ne comprenais pas l’intérêt d’un remake. Et puis j’ai vu l’affiche de la reprise de west side story à Paris, sur scène et me suis enfin décidé à le regarder.
Combien de reprises de West side story à travers le monde sans que personne ne vienne crier au blasphème, ou ne se pose la question du bien fondé ?
West Side Story de Spielberg n’est pas un remake… et essayer de le regarder sous cet angle permet de se débarrasser de toutes ces considérations parasites.
Il y a bien quelques hommages Rita Moreno… quelques plans, quelques couleurs symboliques…
Mais finalement trèspeu. C’est véritablement une nouvelle lecture… Et c’est passionnant
Est-ce un bon film ? Est-ce que l’oeuvre de Bernstein/sondheim est bien traitée. A ces questions c’est un énorme oui..
Je regrette finalement que Spielberg n’ait pas oser l’inscrire dans un contemporanéité absolue.
Ces années 50 demeurent un peu « factices » et cette reconstitution avec son côté « studio » m’a un peu gêné.
La plus grande difficulté demeure de regarder ce film sans être dans la comparaison ce qui vient parasiter le plaisir d’un film flamboyant et Virtuose, qui finalement devient à sa manière presque plus cinématographique que la vision de Wise… effectivement un peu extérieure, très esthétisante.
Au jeu des comparaisons… Le Spielberg est sans temps mort avec une esthétique multiple, variée et inspirée, là où celle de Wise était symbolique et conceptuelle.. finissant par rendre le film un peu indigeste et longuet. J’ai toujours finit par m’ennuyer et trouvé que finalement seule la scène d’ouverture était exceptionnelle. trop d’utilisation de couleurs symboliques… lenteur du récit vers la fin, parfois un peu niais..
La grande réussite c’est que celui de Spielberg nous plonge dans un récit où les sentiments et les enjeux sont plus vibrants, plus intenses, contrairement au film de wise on n’a pas le sentiment d’être dans un film à thèse..
Mais la flamboyance du film et sa virtuosité réduisent paradoxalement l’ampleur qu’on pouvait ressentir avec le film de Wise. La scène d’ouverture de Wise demeure un modèle, celle de Spielberg est intelligente et inspirée avec une caméra extrêmement mobile, là où Wise remplissait son cinemascope fabriquait des cadres ultra composés et souvent statique. Beaucoup plus conceptuel et mémorable
Bref… arriver à nous faire oublier la première version cinématographique n’était pas chose aisée, et assister à une comédie musicale avec ce niveau chorégraphique et musical fait un bien fou.
PArfois difficile de le regarder comme une nouvelle version. le considérer comme un remake du film de wise rend sa vision simplement impossible.
PAri plus que risqué… finalement j’en suis à me demander, hormis la séquence d’ouverture du film de Wise, si je ne préfère pas la vision et la version de Spielberg…
M’a juste manqué le charisme et la classe de Georges Chakiris dans le casting… !
Mais psychologiquement Spielberg a 1000 fois raison d’avoir rendu tous ses personnages plus humains, moins cinématographiques ou symboliques, le récit y gagne en humanité et intensité.
Deux visions d’une même oeuvre, deux sensibilités.
salut @gaspard
tu as bien fait de mettre « adjectif hyperbolique » au singulier car à part « flamboyante » je n’en ai pas trouvé d’autres en me relisant. Alors pourquoi Ariana DeBose est flamboyante? Et bien parce que comme ces arbres du même nom, les flamboyants, que l’on trouve aux Antilles et qui percent le paysage par leurs fleurs du même rouge que les lèvres de l’actrice sus-citée, elle crève l’écran. Elle est flamboyante parce que sa passion électrise son jeu et quand elle danse sa technique est parfaite. Mais comme tu dis c’est mon ressenti. Tu as le tien.
SInon je ne suis pas un inconditionnel de Spielberg même s’il a été un des cinéastes qui a façonné très tôt mon goût du cinéma avec des films comme « Duel » ou « Les dents de la mer » que je considère aussi comme des chefs d’œuvre de mise en scène. Je me refais « MInority report » tous les 3/4 ans et chaque fois je trouve qu’il vieillit un peu plus et comme toi je n’ai pas aimé « Ready player one ». Non vraiment, si n’importe quel autre cinéaste avait rendu CETTE copie (même un dont je n’aime pas du tout la sensibilité, comme Lars Van Trier) j’aurais été autant emballé. J’ai d’ailleurs moins d’indulgence qu’avec un autre cinéaste PARCE QUE c’est Spielberg, comme si lui n’avait pas droit à l’erreur, mais là c’est mon ego ampoulé (j’aime bien comme tu emploies ce mot) qui parle.
@Eddie Felson
Pardonnez moi mais je vois pas en quoi est ce une critique! Ce monsieur donne essentiellement son ressenti, agrémenté d’un contexte de visionnage (je n’ai rien contre ça d’ailleurs, chacun commente comme il veut)! De plus, il agrémente son texte d’adjectif hyperbolique tel que « flamboyant » sans pour autant m’expliquer esthétiquement pourquoi Deboose est flamboyante! Donc je maintiens ce n’est pas une critique mais un ressenti! Quant à moi je maintiens, je ne vois pas en quoi ce film est un chef d’oeuvre, il est formellement bien réalisé, comme un bon technicien sait le faire, mais qu’apporte t il réellement au cinéma en terme esthétique et fera t-il date? Je trouve le film date, redondant avec l’original et la comédie musicale! Si un autre nom que Spielberg figurait au générique, je persiste à penser que les éloges seraient moins nombreuses et moins ampoulees! Et il s’agit du même syndrome pour beaucoup de films récents du monsieur (notamment Ready Player One qui est un film paresseux qui a été encense pour des raisons qui m’échappent encore!)
@Gaspard
La critique de @granmechanlou, à lasuelle je souscrit sans réserve, est un démenti argumenté et brillant à votre propos « J’ai la fâcheuse impression qu’il faut juste voir Spielberg sur l’affiche pour abandonner toute distance critique et s’arrêter de penser! ».
Entièrement d’accord avec vous!
Et pourtant je suis entré dans la salle avec la ferme intuition que j’allais détester car je considère l’original comme un chef d’oeuvre absolu, et aussi parce qu’il est mon premier souvenir de cinéma. J’y ai emmené ma mère, qui m’avait, elle, emmené voir le premier et nous avons été enchantés. Spielberg réussit à raconter son histoire sans chercher à détrôner le film de Robert Wise et Jerome Robbins de son statut de film culte. Il pose son film juste à côté du leur, avec révérence et délicatesse, et en cela Justin Peck était le chorégraphe idéal pour l’accompagner dans ce projet.
S’il on peut s’amuser à comparer l’un et l’autre, les deux oeuvres cinématographiques sont une interprétation légitime de la comédie musicale de Leonard Bernstein, Stephen Sondheim et Arthur Laurents, qui racontent chacune leur époque à travers les mêmes thématiques.
Le casting (flamboyante Ariana DeBose) est aussi investi que Spielberg qui prouve ici qu’il sait tout filmer, même les scènes de danse (la séquence du bal avec entre autres le titre « Mambo » est, si l’on a un tant soit peu un oeil aguerri, une masterclass de virtuosité!) Comme vous le soulignez, Janusz Kaminski compose des tableaux inoubliables, comme cette photo avec laquelle vous illustrez à juste titre votre article où les ombres des Jets et des Sharks deviennent des épées entrecroisées.
Même si je continue de lui préférer l’original, à mon sens Spielberg réussit son pari (risqué) avec les honneurs et surtout, prouve aussi qu’un remake n’est pas forcément synonyme de paresse créative (n’est-ce pas la souri aux grandes oreilles?)
J’ai trouvé tout ça sans intérêt et surestimé! J’ai la fâcheuse impression qu’il faut juste voir Spielberg sur l’affiche pour abandonner toute distance critique et s’arrêter de penser!
Chef d’oeuvre, une leçon de mise en scène. Magistral.
pauvre Ansel, si extraordinaire dans Baby Driver, que fais tu dans cette galère…..Loupé, pour moi, le premier west side est inoubliable…..Pour moi, on frôle le ridicule
Je trouve le pari plus que réussit.different par les décors,les acteurs, mais la magie opère.c’est un grand moment.