Films

Lamb : critique d’une bêêêêlle histoire

Par Mathieu Jaborska
5 septembre 2022
MAJ : 10 mai 2023
6 commentaires

Autrefois habituée aux blockbusters et aux cinéastes américains oscarisables, Noomi Rapace s’isole dans la campagne islandaise aux côtés de Hilmir Snær Guðnason le temps d’un conte cruel intitulé Lamb. Critique garantie 100% sans jeux de mots ovins, mais avec de légers spoilers.

photo

Lamb to the slaughter

Difficile en effet de pousser à la découverte de cet étrange objet sans gâcher son principal ressort narratif, révélé en fait assez tard dans le récit. Les différentes bandes-annonces jettent vite l’éponge, et on comprend le distributeur The Jokers, pourtant passé maître dans l’art de la prise de risques.

Lamb est allergique à toute forme de marketing : il ne s’appuie que sur un seul effet, assume son dépouillement extrême, son huis clos au grand air, l’intimité du moindre de ses rebondissements, il supporte peu la comparaison et refuse le grand spectacle. Bref, c’est un pur objet de festival, tant et si bien qu’il est parvenu à se faire remarquer à la fois à Cannes et à l’Etrange festival, et ce malgré le relatif anonymat – du moins chez nous – de son réalisateur, Valdimar Jóhannsson.

 

Lamb : photo, Noomi Rapace, Hilmir Snær GuðnasonUne alchimie volontairement presque inexistante

 

Tout tourne donc autour de cet hybride mi-mouton mi-humain qui fait irruption dans la vie d’un couple reclus. D’abord interloqués par cette anomalie, Maria et Ingvar décident assez naturellement de la traiter comme leur propre fille. Un concept qui aurait vite pu tourner au ridicule si la bestiole en question n’était pas à la hauteur, mais qui fonctionne étonnamment bien. Consciente de ses limites budgétaires, l’équipe du film a de toute évidence essayé de limiter l’usage de CGI, forcément bizarroïdes, généralement remplacés par une bonne dose de vrais bébés et de vrais agneaux (anecdote confirmée par Rapace dans l’entretien accordé à Demoiselles d’Horreur) grâce à une mise en scène millimétrée.

Cadres fixes, gros plans malins et lents travellings vicieux se succèdent pour souligner l’étrangeté de l’apparition, puis la banalité avec laquelle elle est appréhendée par ses parents adoptifs. Et si la simplicité de l’ensemble tient beaucoup à un scénario minimaliste, aux prestations parfois très mutiques des excellents comédiens principaux, à un décor désertique et à la photographie toute de brume et de noirceur d’Eli Arenson, c’est bien cette mise en scène qui la revendique le plus fièrement. Avec en ligne de mire la forme du conte, et pas dans le sens disneyien du terme.

 

Lamb : photoLe loup et l’agneau

 

Contes de l’enfance et du foyer

Pas toujours reçu avec intérêt par la presse spécialisée, Lamb est pour beaucoup justement handicapé par ce style, souvent affilé à son distributeur américain, A24, symbole depuis quelques années d’un fantastique indépendant dit « d’auteur » après quelques succès d’estime. Il serait facile de voir dans sa lenteur et son montage maniéré un ersatz du cinéma de Robert Eggers, qui s’était emparé il y a quelques années de la même unité de lieu, avec les mêmes tics esthétiques, dans son magistral The Witch. D’autant que le réalisateur de The Lighthouse a malgré lui démocratisé une approche assez pédante du genre, qui commence à inspirer quelques productions irritantes.

Toutefois, le long-métrage de Jóhannsson puise moins sa force dans la construction d’une horreur implacable que dans l’aspect quasi initiatique de son récit. A première vue, il accumule les thèmes récurrents de ses collègues les moins inventifs (deuil, défi de la parentalité, isolement), surtout lorsqu’il fait intervenir un troisième larron pour relativiser la douce folie du couple. Mais c’est justement lorsqu’il fait très vaguement référence à des poncifs de la représentation des moeurs humaines qu’il devient envoûtant.

 

Lamb : photoL’archétype de la mère… avec quelques subtilités

 

C’est comme s’il cherchait à démontrer la capacité du fantastique contemporain à créer purement et simplement son propre folklore, avec ses personnages quasi irréels, qui ne remettent que peu en question des fragments de merveilleux (car c’est bien de ça dont il est question), l’inquiétude viscérale, intime qu’il inspire, notamment lors d’un gros plan au détail terrifiant, et surtout sa morale amère, voire carrément cruelle, triste représentation des tourments de l’être humain et des forces contre lesquelles il reste impuissant.

Un sombre conte de Noël qui, faute de révolutionner le cinéma fantastique, renoue au contraire avec un imaginaire ancestral et un type de narration universel. Ironiquement, à l’heure où l’épouvante grand public ne cesse de revendiquer un retour aux sources respectueux pour mieux amadouer son public, c’est peut-être l’un des seuls films surnaturels à respecter sa promesse.

 

Lamb : photo

Rédacteurs :
Résumé

Lamb assume ses propres limites pour revenir à une narration directement héritée du conte traditionnel, avec ce que cela suppose de morales amères et de noirceur enfouie.

Tout savoir sur Lamb
Vous aimerez aussi
Commentaires
6 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Clay

Enfin un film fantastique qui sorte de l’ordinaire que j’ai vu, malheureusement sur les chaines câblées, sous forme de conte mythologique sur l’être humain et d’un dieu nordique donnant naissance à une créature humanoïde à tête de mouton avec des paysages magnifiques, étranges et mystérieux. Envoûtant, malgré sa lenteur.

FatBba

J’ai eu la chance de le visionner sans en avoir entendu parler, et je l’ai trouvé dès les premiers plans, les sons et cette vision curieuse de que ça t’il se passer? À la hauteur de sa promesse, magnifiquement « contes et légendes » et cela fait du bien.
Je m’en souviendrai encore longtemps, cela corrobore ce que la science embryonnaire est arrivée à accomplir, dans ce futur, cela ne sera plus identifier comme un conte…

Ray Peterson

Un film assez surprenant et très original. Un film sur le deuil mais surtout le regret qui découle de ce deuil et de la folie de sa non acceptation. On peut le voir comme un conte (référence à Noël, personne mythologique, aspect du fantastique) mais c’est aussi l’image de la folie d’un père qui refuse la mort de son enfant dont même sa femme (avec regret, « on ne peut revenir au passé malgré l’invention théorique du voyage dans le temps » dixit le début du film lors d’un dialogue) se greffe à sa cause.

Reste de très beaux plans symétriques accompagnés de travelling que n’aurait pas renié Kubrick (la sarabande à la fin utilisée aussi dans Barry Lyndon), des paysages islandais soutenant la solitude des personnages et une fin qui n’a pas pour de montrer les choses jusqu’au bout.

Après je reste assez d’accord avec @的时候水电费水电费水电费水电费是的 Sanchez, sans pour autant dire que c’est chiant, je pense qu’un 1/4 d’heure de moins n’aurait pas été de trop pour donner un meilleur équilibrage de rythme au film même si je comprends son côté contemplatif.

Sanchez

On a pas vu le même film mdr
A part le prologue de 2 min c’était chiiiiant mon dieu . Il ne se passe littéralement RIEN pendant au moins 20 min !! On se tape meme une scène où le mec se lave les mains …. Ça tombe dans les pires travers du film d auteur chiant avec aucun producteur derrière pour dire au réal que son film est super chiant. 1h45 mes amis … alors que ça aurait du faire 1h20 max. Ce « conte » est en fait en berceuse

Demoiselles d'Horreur

Bravo pour cette belle critique et merci pour la mention !

Fab69

Dommage que l’affiche française spoil une partie de l’intrigue, cela enlève bcp de mystère à ce conte ….