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Enquête sur un scandale d’État : critique stupéfiée

Par Simon Riaux
16 novembre 2022
MAJ : 20 novembre 2024
17 commentaires

Quelques mois après Bac Nord, quand ce dernier génère encore le débat, Enquête sur un scandale d’État se plonge à son tour sur une sombre affaire policière. Mais plutôt que les atours du western bourrin prenant fait et cause pour un camp, Thierry de Peretti livre un thriller ambigu et insaisissable, où la vérité se dérobe toujours, pour que le cinéma triomphe.

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POULETS AUX PRUNES

D’un pas faussement tranquille, discutant avec sa compagne d’une situation professionnelle dont on ne sait trop si elle l’agace ou l’inquiète, un homme fait les 100 pas dans une villa de Marbella. Ce n’est manifestement pas la sienne. En est-il le gardien ? Le locataire ? Qu’attend-il ? Ne serait-ce la tension qui traverse sa silhouette, son pas mesuré pourrait paraître nonchalant.

Durant cette introduction tour à tour ouatée et tendue, la caméra de Thierry de Peretti procède par longs plans, installant son personnage dans un décor de prime abord luxueux, déconcertant, puis aberrant et ultimement menaçant. 

 

Enquête sur un scandale d'État : photo, Vincent LindonSuperflic ou super-menteur ?

 

Panneautant longuement pour découvrir cette scénographie baignée de soleil, il opère ensuite par de longs plans de steadycam, pour suivre son mystérieux protagoniste le long au cours de ce qui ressemble à une banale promenade, laquelle s’avérera la supervision d’un convoyage de stupéfiants. L’atmosphère est pesante, alors que surgissent à travers le montage les premières pointes d’électricité. Encore quelques minutes et Enquête sur un scandale d’état aura posé, à la faveur d’une ouverture glaçante sans être glaciale, les fondamentaux d’un récit aux questionnements vertigineux. 

Le récit se veut l’adaptation fictionnalisée d’une des plus délirantes affaires à avoir éclaboussé les institutions françaises de récente mémoire, qui aura vu la mise en cause de deux hautes magistrates et de celui qui fut le patron des stups de l’époque. Ou comment quelques-uns des plus hauts serviteurs des institutions françaises ont été accusés d’avoir mis sur pied un des plus vastes réseaux de trafic de l’Hexagone. Enquête qui aura été bien peu reprise par la presse, hormis le média dans lequel elle est née (Libération), et dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. Pour autant, l’investigation sera demeurée complexe, trouble, et ses intervenants parfois énigmatiques. C’est ce que va essayer de donner à comprendre de Peretti. 

 

Enquête sur un scandale d'État : photo, Roschdy ZemThé des brumes

 

FLICS ET VOYOUS 

Hubert est un indic de haut vol, une sorte d’infiltré mandaté par un des premiers flics de France, mais il est persuadé de s’être fait rouler. Stéphane est journaliste, flaire le scoop, et veut faire de ses révélations le cœur d’une série d’articles dévastateurs, puis d’un livre. Le premier n’est-il pas un affabulateur à l’ego contrarié, le second est-il autre chose qu’un mercenaire de l’info traquant le gros coup ? Et Billard, ce grand flic, est-il un carriériste cynique, ou le fruit d’un système de corruption délirant ?  

La force du scénario tient dans le fait de ne jamais abandonner ou laisser au second plan les doutes de ses protagonistes, mais bien d’en faire l’unique moteur émotionnel du récit. Chacun est conscient des enjeux qu’il porte, s’interroge sur celui de ses alliés, avec une humanité telle que jamais l’intrigue n’a besoin de faire diversion en jouant les gros bras. Si on cause trafic, flics et filature, personne ici n’a besoin d’arroser ses petits collègues de balles, tant les dialogues nous renvoient toujours à la tension qui menace de tout faire exploser à l’écran. 

 

Enquête sur un scandale d'État : photo, Roschdy ZemRoschdy à la plage

 

En témoigne la première confrontation entre les personnages qu’incarnent Roschdy Zem et Pio Marmaï. Réunis dans un plan-séquence, mais toujours séparés par son découpage, ils échangent au gré de discrets panots, à contre-jour, et laissent progressivement monter la pression, alors que le premier donne un aperçu de sa rage contenue, tandis que le second réalise soudain qu’on lui apporte sur un plateau un scandale inimaginable.

Chacun évalue alors son jeu, compte ses cartes et retient ses questions comme autant de coups. Une équation qui demeurera jusqu’aux derniers plans du film, dont on ne saura s’il s’agit de victoire à la Pyrrhus ou de défaite sublime.

 

Enquête sur un scandale d'État : photo, Roschdy ZemZone Interdite

 

PASSE TON BAC NORD D’ABORD

Car Enquête sur un scandale d’État ne tranche jamais. Il préfère nous questionner sans cesse sur la nature du réel. Sur la véracité des sentiments qu’entretiennent ces personnages les uns pour les autres, leur sincérité ou la profondeur de leur engagement, mais aussi sur l’extrême difficulté de rendre compte de ce que l’on sait, de ce que l’on croit. Nombreuses sont les scènes en conférence de rédaction où les journalistes s’affrontent, se pilonnent, débattent, pour savoir, ou tout simplement comprendre, comment appréhender l’affaire qu’ils manipulent. Car ils la manipulent, par le choix de leurs mots, de leurs photos.

Marmaï et Zem sont impressionnants de naturel, mais c’est la comédienne Julie Moulier qui tient finalement la charge symbolique du récit, comme son sens profond. Les scènes qui donnent à voir comment la cheffe de service pose un édito, s’inquiète des retours de flamme ou remet en question le narratif qu’elle a elle-même contribué à créer étonnent par leur précision. C’est que, comme il le faisait déjà dans le bouillonnant Une vie violente, le metteur en scène cherche à capter, à travers les corps, la naissance des idées. Comment, dans un débat, une réunion de crise ou un affrontement, une pensée naît chez l’un, avant d’être reprise par un autre, puis développée ou dévoyée par un autre acteur.

 

Enquête sur un scandale d'État : photo, Roschdy Zem, Roschdy Zem, Pio MarmaïEnquête d’enquête

 

D’où ses longs plans qui se composent et s’arrangent non pas pour coller à un canon esthétique, ou faire dans le tour de force visuel, mais bien pour capturer les lignes de force de situations invraisemblablement complexes. Comme lors d’une brève altercation avec un reporter d’images, qui tente de se défausser, avant qu’à la faveur d’un plan fixe, Thierry de Peretti capture l’ire de l’indic joué par Roschdy Zem. Faussement simple, le dispositif laisse éclater une intensité rare, empreinte de chair, qui tétanise tant elle laisse entrevoir la violence de la situation, comme elle nous oblige à douter de la bienveillance de celui par qui le scandale arrive.

En cela, Enquête sur un Scandale d’Etat est un film éminemment impur qui ne veut jamais trancher quant au réel, nous rappelant toujours qu’on en saisit qu’un aspect, qu’on en distingue qu’une facette.

Au royaume des pourris qui s’ignorent et des vertueux qui prennent la gloriole d’une publication médiatique pour un triomphe, rien n’est simple, à l’image du montage faussement alangui d’un dernier acte où tout se perd, se dissout, se meurt. Ce flou brillamment entretenu, le désir de porter à l’écran un scandale ahurissant, sans pour autant donner des clefs de lecture simplistes, ni gaver le spectateur d’interprétations frelatées, c’est ce qui fait du film un visionnage aussi passionnant qu’éprouvant, rappelant sans cesse que la marche vers la vérité est une suite de chutes rattrapées.

 

Enquête sur un scandale d'État : photo

Rédacteurs :
Résumé

Quand il aborde l'un des plus sidérants scandales policiers de ces dernières décennies, Thierry De Peretti se garde bien d'en livrer une interprétation simple, cherchant au contraire à restituer les doutes et la complexité d'une enquête inachevée, aux innombrables facettes. Un film impur, troublant, aussi intelligent que fascinant.

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Flo1

Un aparté sur le continent français, l’occasion de travailler avec des brutes d’acteurs connus… Dont Thierry de Peretti va extraire des trucs stupéfiants – c’est le mot.
Ne pas se fier entièrement au titre, ce film ne raconte pas vraiment une enquête où l’on découvrirait une vérité inouïe – que de toute façon on grillerait très vite en lisant le résumé, ou en jetant un œil sur Internet puisque c’est encore une fois tiré d’une histoire vraie (et du livre L’Infiltré d’Hubert Avoine et Emmanuel Fansten )… 
Pas la peine, car dès la Deuxième scène un personnage important explique exactement ce qui se passe à toute une assemblée…
SPOILERS, quand-même :
– La Police française a une « tactique », qui consiste à laisse passer les convois de drogue venus de l’étranger, se contentant de les surveiller. Et à faire de bonnes saisies de temps en temps, considérant que c’est un fléau qui est de toute façon impossible à arrêter, qu’il y aura toujours un autre pour remplacer les grands dealers etc…
Ce qui fait que, en toute logique, on Comprend que c’est comme si c’était l’État qui était devenu un énorme Dealer !? Puisque contrôler, ça n’est pas arrêter –

Une situation ubuesque certes, où le cinéaste continue à pointer du doigt les compromissions que se permet l’État français. Mais ça n’est rien par rapport à ce qui va suivre… 
Et qui était annoncé dès la Première scène où on suit Roschdy Zem dans un plan-séquence mystérieux, de l’intérieur d’une villa (avec un coup de téléphone dont on ne verra l’interlocutrice que bien plus tard) jusqu’à l’extérieur, là où va se jouer un étonnant débarquement clandestin en forme de ballet, l’acteur l’accompagnant tout en étant en dehors de l’action, tel un fantôme…
Ou tel un narrateur plongé dans sa propre création ? Car c’est plutôt ça l’Enquête de ce film… Celle à propos de ce Hubert Antoine, supposé agent des stups infiltré dans des cartels, puis qu’on retrouve en informateur, fournissant à un journaliste de Libération des documents, des contacts, des confidences, des biographies, des liens à n’en plus finir… 
Ce qui fait que, là aussi en tout logique, on ne peut que se demander si à force, tout ça est vraiment réel ?! Ou bien si ça n’est pas le délire énorme d’un individu qu’on nous présente peu à peu comme orgueilleux (il sait ce qu’il dit, point !), avide (il ne veut pas faire ça pour des clopinettes), ambitieux (si on va jusqu’au bout, on peut même se faire la République), maladif, monstrueusement revanchard envers son ancien employeur/mentor, avec qui les rapports ressembleraient surtout à ceux d’anciens amants. Un rôle survolté et formidable pour Roschdy Zem qui, dans sa façon de traiter les informations à la marabout de ficelle, nous fait penser à la personnalité de Vincent Lindon – ça tombe bien, c’est lui qui joue Jacques Billard, le chefs des stups (et il est bien-sûr dément, d’un pragmatisme qui ressemble plus à de la mauvaise foi).

Toujours une chronique chez de Peretti, et dès lors les rapports entre Hubert et Stéphane Vilner/Pio Marmaï, le journaliste auquel il se confesse, ressemblent à des liaisons dangereuses où l’un doit recueillir tout ce que l’autre lui raconte, sur la seule idée qu’il doit se permettre d’y croire… même quand ça déborde, même quand on cite El Chapo et autre individus peu recommandables. 
Et là c’est la Troisième scène du film qu’il faut aussi avoir en tête. Celle où on voit un tour de table de la rédaction de Libé, le film interrogeant aussi la responsabilité des journalistes qui doivent savoir sauter sur les infos, tout en gardant la tête froide pour ne pas gaffer et sombrer en entraînant tout le journal avec eux.
D’où le fait que Pio Marmaï, étonnamment sobre, reste sur un équilibre entre la fascination amicale pour Hubert, et son air interloqué quand ce dernier vrille et part dans des directions impensables. 
Comment savoir alors quand ne pas être dupes, ce qui semble être automatique lorsqu’un gouvernement fait des annonces grandiloquentes (les acronymes rigolos)..? Et comment savoir si une personne n’est pas un gros mytho, juste parce qu’il sait bien emballer son histoire, et t’alimenter sans cesse en anecdotes ?
Ce qui nous amène à super séquence de procès vers la fin, où les intéressés viennent défendre leur travail. 

Le film étant en format carré non pas pour coller à une époque (de toute façon, ça se passe dans les années 2010) ni pour créer une impression étouffante – même lors du procès… mais pour mieux signifier qu’on suit un point de vue, qu’on est complètement centré sur les personnages, leurs rapports quasi intimes même quand ils sont filmés à distance. 
Par contre aucune ascèse là dedans, contrairement à ce qu’on aurait pû penser… Le film repose bien sur son trio d’acteurs ainsi que de solides seconds rôles – Julie Moulier, Sofian Khammes, les apparitions brèves mais fortes de Valeria Bruni Tedeschi, Mylène Jampanoï, Marilyne Canto… et s’il est sobre lorsqu’il faut, évitant d’en rajouter pour se croire grand virtuose ou grand justicier (encore une fois, c’est une chronique, pas un combat dénonciateur), il comporte aussi des scènes qui viennent bousculer la narration, des embardées qui nous prennent toujours par surprise – pétage de plombs, weekend impromptus, soirées avec de la musique forte (un incontournable chez de Perreti), sorties elliptiques..? mais qu’est-ce qui se passe ??!
Et nous concocte aussi des plans-séquences à la fois simples et magistraux (la première rencontre entre Hubert et Stéphane aussi). 
Ainsi que des images pas loin de l’onirisme. Tel ce dernier plan, jumeau du début du film, où l’on s’enfonce dans la nuit sans être absolument sûr de ce qui est train de se passer, ni quand, ni comment…
Du pur Cinéma, oui. Logique quand le protagoniste principal est lui-même un conteur impénitent.

Ozymandias

J’ai trouvé ça extrêmement ennuyeux perso… Dommage !

Sanchez

Très bonne surprise , ce film sort des sentiers battus par sa mise en scène qui ne comportent quasiment aucun gros plans , et qui montre l’environnement dans lequel les personnages évoluent. Ça change du traditionnel filmé d’investigation avec gros plans qui tremblent pour faire soit disant réaliste. Les acteurs livrent ici un travail exceptionnel alors qu’ils ont des textes extrêmement complexes à déblatérer et il le font avec un naturel extraordinaire. Dommage que le rythme ne tienne pas le coup tout du long et qu’ion sente un ventre mou. Pas complètement abouti donc, mais une belle surprise.
7/10

alulu

L’affaire François Thierry, trafics d’État. Affaires sensibles, France Inter.

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-mercredi-03-novembre-2021-7950429

Edd

Long et redondant

Oliviou

Je suis assez sidéré par l’unanimité critique devant cet objet extrêmement mal foutu. Il y a une pose « artiste » assez grossière pour que le journaliste culturel français y fasse son beurre (format 1.33 parce que tu comprends c’est étouffant, personnages en contrejour parce que tu comprends il y a plein de zones d’ombre, dialogues semi-improvisés parce que tu comprends la pensée se construit en direct, caméra à distance et plans séquences mous parce que tu comprends la Vérité, prise de son dégueulasse et dialogues inaudibles parce que tu comprends rien n’est clair) mais c’est avant tout une expérience très désagréable pour le spectateur. Et à mon avis, ce n’est pas aussi maitrisé que ça : je pense qu’il y a beaucoup de maladresse et une grammaire très pauvre, et que ce réalisateur a eu la chance de tomber sur des journalistes qui veulent y voir des choix artistiques et narratifs.
Il reste que j’ai rarement vu Roschdy Zem aussi bien dirigé.

Tengaar

D’abord, inutile d’aller voir le film si vous n’avez pas les prérequis en terme de politique occulte de la France entre 1960 et 1980 (SAC, OAS, ETA etc.) parce que le film considère que tout ça est connu et digéré. Pour pousser le vice, les 3/4 des dialogues importants sont rendus à moitié incompréhensibles car ils se passent en boite de nuit ou en espagnol ce qui nécessite de lire les sous-titres en plus d’essayer de raccrocher les wagons.
Mais ma plus grosse critique est que, bien que les acteurs soient formidables et les dialogues très bien écrits, l’histoire se concentre sur absolument tous les points les moins intéressants du récit. Les vies des personnages de Roschdy Zem ou de Vincent Lindon étaient plus intéressantes que cette histoire, avoir le point de vue des autres journalistes sur le héros qui semble (ou pas, c’est pas clair) se faire manipuler aurait été plus intéressant, voir l’enquête du journaliste (la vraie, le recoupement des infos, le voir parler à d’autres témoins) aurait été plus intéressant, voir les répercussions de l’enquête au niveau de l’Etat ou des services aurait été plus intéressant. Tous ces points sont vaguement abordés au détour d’une réplique vite fait, en passant.
Bref, le film est atrocement long et pénible. En plus le film est en ratio 1,33:1, et est affligé d’une musique qui fait monter la tension à des moments les plus randoms, c’est étouffant sans raison.
Personnellement, je déconseille.

MCo

Film bruyant, long et sans aucun intérêt..
Beaucoup de bruit pour rien..
A éviter !

Phil69

Insupportable… film verbeux, inintéressant malgré la presence de Zem. Quelle deception, difficile de rester jusqu au bout. A eviter a tout prix!

JohnBarry

@gtb

le même souci de mon côté. Aucun des 2 films ne passent dans ma ville, ni même dans mon département…

Et souvent, lorsque ce type de film arrive à avoir un créneau de programmation, c’est pendant une semaine max, avec des horaires en journée.

De toute façon, maintenant à 10,30€ la place dans mon ciné, je vais sans aucun doute y passer mon temps^^