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Belfast : critique de l’appât à Oscars

Par Lino Cassinat
8 novembre 2022
MAJ : 10 novembre 2022
11 commentaires

Alors qu’il s’est illustré récemment avec une tripotée de films de (semi-)commande à la qualité discutable voire exécrable, Kenneth Branagh revient avec un projet plus personnel et d’inspiration autobiographique : Belfast, qui revient sur les troubles et les émeutes communautaires qui ont secoué la ville d’Irlande du Nord dans les années 60, opposant catholiques et protestants – le tout sur fond d’indépendance de l’Irlande. Et alors qu’on désespérait du réalisateur après l’ignoble Mort sur le Nil, le voici qui revient enfin avec un bon film mené par Caitriona BalfeCiarán HindsJamie Dornan et Judi Dench.

Belfast : Affiche officielle

DIRTY OLD TOWN

Buddy joue devant sa maison, dans une rue ouvrière tout ce qu’il y a de plus tranquille dans la ville nord-irlandaise protestante de Belfast. Il vit dans le meilleur des mondes : celui de son enfance, où les méchants sont punis et les héros triomphent toujours à la fin – surtout ses parents et ses grands-parents. Mais le monde des adultes l’emporte comme un tsunami lui et sa famille lorsqu’une vague d’émeutiers protestants fait une violente irruption dans le quartier, et s’en prend à la minorité catholique. Buddy découvre la violence, et fait sans le savoir son entrée dans le grand bain, tandis que sa famille, tolérante aux catholiques bien qu’elle-même protestante, devient une cible.

 

Belfast : photo, Caitriona Balfe, Jamie DornanPère et mère, ces héros

 

Ne nous racontons pas d’histoires, pour Ecran Large, le succès d’estime dont jouit Kenneth Branagh est plus le fruit d’un malentendu qu’autre chose. Après avoir torché avec plus ou moins de réussite quelques adaptations à la naphtaline de Shakespeare, le cinéaste a plutôt fait montre de sa quasi-totale incapacité à mettre correctement quoi que ce soit en images, de The Ryan Initiative en passant par les deux derniers films sur Hercule Poirot, Thor, ou encore Artemis Fowl. Autant de prodigieux carambolages devant lesquels on s’arrête comme des badauds, jouissant d’une fascination malsaine pour le pire tout en priant pour que cela ne se reproduise plus dans l’histoire des Hommes.

Sauf que non seulement Belfast tient la route, mais en plus il convainc, presque au corps défendant du spectateur qui s’attendrait à une espèce d’exercice nombriliste, compassé et dépolitisé, drapé dans une forme qu’on croirait faite pour appâter le chaland académique et rafler quelques statuettes aux oscars.

Attention, il y a de cela malgré tout. Qu’on soit clair, Belfast est une oeuvre totalement inoffensive qui trempe dans la plupart des clichés de film à Oscars. Et l’opération semble avoir marché puisque Belfast a reçu sept nominations, dont celle dans la catégorie du meilleur film, la récompense suprême. Confirmant que le malentendu Kenneth Branagh fonctionne toujours – sans trop qu’on se l’explique -, mais qu’il a en plus de beaux jours devant lui.

 

Belfast : photo, Caitriona Balfe, Jamie Dornan, Jude Hill, Judi DenchBons sentiments, famille et hommage au 7e Art : c’est bien un film à Oscars

 

DEATH TO MY HOMETOWN

Mais à tout seigneur tout honneur : pour peu que l’on goûte un certain classicisme académique, Belfast est une réussite, et on la doit principalement à l’approche adoptée par Kenneth Branagh de son sujet, humble et effacée. Bien que s’inspirant de son propre parcours (lui-même et sa famille protestante ayant fui Belfast lorsqu’il avait neuf ans), il a l’élégance de se mettre en retrait de son propre récit au profit d’une histoire dont il est le protagoniste, mais pas le sujet. Une démarche qui évite le délire égotiste, mais surtout donne énormément de crédit à Buddy, personnage enfant dont le regard déformant servira de fil rouge formel et narratif.

La ficelle est connue, la figure du Candide est particulièrement pratique pour souligner les absurdités et les injustices du monde, et quoi de plus candide qu’un enfant – a fortiori, l’enfant qu’on a soi-même été. Un procédé et un ton très Spielbergiens dans l’esprit, dont on connaît la limite principale quand ils sont mal dosés et surtout surdose, appelé en terme savant le pathos, ou en termes plus simples, le gros sentiment mouillé pour faire pleurer dans les chaumières.

 

Belfast : photo, Jamie Dornan, Ciarán HindsAh ça ma bonne dame, on est des gens simples

 

Toutefois, en présentant ses personnages non pas comme des héros immaculés du quotidien, mais simplement comme des individus faisant ce qu’ils peuvent pour traverser une période de crise sans perdre leur boussole et leur intégrité morale, Branagh parvient à éviter les facilités scénaristiques. Surtout, il parvient à ne pas réduire sa description d’une période conflictuelle particulièrement trouble à un simple conflit opposant des gentils et des méchants. Quitte à neutraliser son point de vue et verser dans le consensuel inodore.

C’est le revers de la médaille ou le défaut de la qualité susnommée, qui empêche Belfast de s’imposer comme un visionnage mémorable : Kenneth Branagh parvient à universaliser son propos d’assez belle manière certes, mais perd en saveur et en âme au passage. Dommage, car en se plaçant du côté des oppresseurs s’opposant aux persécutions, il avait de quoi proposer une œuvre dont la pertinence irait au-delà de simplement faire écho dans le vide à une préoccupation moderne. Mais l’instrumentalisation du fait religieux pour justifier des actes de violence communautaires sera juste illustrée par le cinéaste, à défaut d’être frontalement questionnée. C’est déjà pas mal, mais dommage quand même.

 

Belfast : photoCaitriona Balfe à la recherche du point de vue

 

DARKNESS ON THE EDGE OF TOWN

Pour le reste, Belfast aligne toutes les qualités classiques d’un film classique réalisé par un cinéaste empreint d’influences classiques. Découpage maîtrisé et efficient à défaut d’être signifiant, montage rythmé et prenant à défaut d’être marquant, le tout parsemé de quelques audaces formelles apportant un peu de variété et de cinégénie à défaut de proposer un véritable parti-pris esthétique au-delà d’un maniérisme Cartier-Bressonien distrayant. Simple, basique comme dirait l’autre, même si plusieurs scènes produisent leur petit effet à défaut de transporter.

 

Belfast : photo, Caitriona Balfe, Jude HillCartier-Bresson, je t’invoque

 

On s’arrêtera tout de même sur le casting et la direction d’acteurs. Rien de surprenant de la part de Kenneth Branagh, lui-même acteur et homme féru de théâtre, comme dans quasiment chacune de ses œuvres, il fait des comédiens et leurs performances sa meilleure arme pour s’élever légèrement au-dessus de la concurrence. On lui saura particulièrement reconnaissant de nous avoir proposé un enfant-acteur attachant malgré sa bouille trop parfaite. Pour le reste, Judi Dench et Ciarán Hinds sont brillants comme d’habitude, Jamie Dornan prouve qu’il est bien plus que le beau gosse quelconque de 50 nuances de Gray, et Caitriona Balfe s’impose comme le véritable trésor du film.

Petit clin d’oeil fortement appréciable également : la BO, reprenant les standards du natif de Belfast et légende absolue de la musique irlandaise Van Morrison (avant son naufrage dans le conspirationnisme dément), qui apporte un souffle à la Springsteen énorme. Un usage fort à propos de sa musique, dont les textes ancrent solidement Belfast dans son univers working-class, et dont les orchestrations amples accompagnent le sentiment bouleversé d’un Buddy en pleine construction de sa mythologie personnelle. Une pincée de sel bien appréciable pour donner un peu de saveur et d’énergie à une copie de bon élève trop sage.

 

Belfast : Affiche française

Rédacteurs :
Résumé

On craignait le pire de Kenneth Branagh, mais indéniablement, Belfast est un film réussi, qu’on aime presque à son corps défendant. Un appât à Oscars, oui, mais de bonne qualité, quand bien même il ne répond pas à cette question obsédante : à quoi sert Kenneth Branagh ?

Autres avis
  • Geoffrey Crété

    Que se passe t-il quand Kenneth Branagh essaie de se racheter une conduite arty après une semi-remorque de vilaines superproductions ? Une belle coquille vide, sans aucune délicatesse ni subtilité, qui ressemble à un exercice appliqué de faux bon élève.

  • Simon Riaux

    Kenneth Branagh a pour lui une constance rare. Quasiment jamais pris en défaut, le cinéaste transforme tout ce qu'il touche en caricature savonneuse, indigne d'une réclame pour conventions obsèques. Chapeau l'artiste.

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Benou 41

Un tres bon film, on retrouve le Brannagh de Dead again ou encore Peter’ s friends, un bel hommage aux films hollywoodiens qui l’ont façonnés dans son enfance au travers des ses acteurs beaux comme des acteurs d’Hollywood, un noir et blanc efficace, une bande son qui décoiffe, une histoire très bien équilibrée entre récit d’enfance, fenêtre ouverte sur la grande histoire, autobiographie, le tout porté par des acteurs excellentissimes. J’ajoute enfin l’intérêt historique de ce film qui nous montre les Troubles au travers de la lucarne protestante, rare, ce qui mérite donc d’être souligné.

Bidibi

Effectivement… une réussite. Un film nostalgique parfaitement interprété et magnifiquement mis en image. Mention à Caitríona Balfe qui est parfaite.

Geoffrey Crété

@Kleio

J’avoue, Kenneth est mon nemesis. J’ai créé un hate club secret depuis qu’il m’a refusé une interview sur un tapis rouge à Londres en 1991, et a refusé de faire un selfie avec moi en 1996, n’a pas signé mon DVD de Thor en 2017, et n’a pas pris la peine de lire mon scénario de biopic fantasmé que je lui ai envoyé pour Noël 2019. J’ai donc dédié ma vie à voir ses films, et écrire 3 lignes dessus sur Ecran Large, à chaque fois. J’ai confiance en ma manoeuvre pour exister grâce à lui.

Simon Riaux

@Kleio

Il nous a surtout fait des films intordables.

Et je m’en voudrais de laisser Geoffrey passer pour un vilain pas beau qui n’aime pas les films de Branagh. Il n’est pas seul dans ce noble combat.

Kleio

Pourquoi vous supprimez ?? LOL

Oui vous avez quelque chose contre Branagh et surtout Creté ça tout le monde l’a remarqué inutile d effacer ça n’en vaut pas la peine, je sais pas ça doit être un truc qu’il vous a fait une interview refusée ou un truc dans le genre

Castor

À quoi sert Kenneth Branagh ? Tout simplement à avoir fait les meilleurs adaptations de Shakespeare au cinoche. Hamlet c’est une énorme claque.

The insider38

@Sanchez non rien ne s’explique toccard va

Fafa75

Branagh fait son Roma ?

Sanchez

@theinsider38
Tout s’explique

The insider38

@keeds

Entièrement d’accord avec vous , quand branagh revient à ses origines , ça donne un film intelligent et profond, et quand on a vécu dans ce pays ( ce qui est mon cas ) cela prend tout son sens, grosse réussite pour moi.