Films

Entre les vagues : critique contre vents et marées

Par Mathieu Victor-Pujebet
16 mars 2022
MAJ : 4 octobre 2022
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Après son projet transmédia Heis (Chroniques) et son travail dans la série, la réalisatrice Anaïs Volpé signe son premier long-métrage, Entre les vagues, qui met face à face les actrices Déborah Lukumuena et Souheila Yacoub, dans un bel et incandescent hymne à la vie.

Photo Déborah Lukumuena, Souheila Yacoub

Tsunami électrique

Margot et Alma enchaînent les castings en rêvant désespérément de vivre sur les planches de théâtre ou devant les caméras. En attendant, les deux comédiennes de 27 ans profitent de ce qu’il leur reste d’insouciance pour vivre d’audace et d’enthousiasme, tout en s’imposant les petits boulots pour survivre. Entre les vagues suit ce duo interprété avec énergie et incandescence par Souheila Yacoub (Climax, Le Sel des larmes) et Déborah Lukumuena (Divines, Robuste).

La fougue et la vivacité des deux jeunes femmes contaminent le ton de la première partie du film, la rendant légère et moqueuse. L’alchimie des comédiennes, le naturel de leurs échanges et la générosité de leur jeu participent à la chaleur et à l’effervescence de ces deux personnages. Un bouillonnement capté avec sensibilité par la caméra d’Anaïs Volpé, avec à l’image Sean Price Williams (également chef opérateur de Mad Love in New York et de Good Time).

 

Photo Déborah Lukumuena, Souheila YacoubUn duo incandescent

 

La cinéaste et son directeur de la photographie ont ici utilisé la caméra Digital Bolex, qui permet de filmer en numérique, mais avec un rendu qui tend à celui du 16mm analogique. C’est grâce à ce singulier modèle que l’image d’Entre les vagues vibre, faisant corps avec l’agitation des personnages. De la même façon, cette ébullition est également captée par une caméra épaule brute et des échelles de plans souvent assez proches des visages des comédiens, pour en saisir les moindres variations et sursauts d’émotions.

Margot et Alma imposent donc au film leur rythme, leur humour, leur insolence et leur gaieté. La musique jazzy d’Elie Mittelmann – qui laissera plus sa place à David Gubitsch dans la seconde partie – prête au long-métrage un registre rythmé et entraînant, confession du programme du film qui exalte une irrésistible urgence de vie, quitte à laisser de côté ses impératifs scénaristiques.

 

Entre les vagues : photo, Déborah Lukumuena, Souheila YacoubTrès belle photographie de Sean Price Williams

 

entre les larmes

En effet, les problématiques auxquelles Margot et Alma sont confrontées ne sont pas le coeur de la première partie de ce récit, le scénario d’Anaïs Volpé préférant suivre avec fièvre les deux jeunes femmes en une nuit de fête enivrante. Entre les vagues s’ouvre alors sur tout un premier segment qui se permet de mettre en retrait ses enjeux moteurs, se laissant aller avec pureté à une balade pleine de fraîcheur, à l’écoute du tempo de ses personnages.

Mais il faut bien revenir à la réalité. Et alors que le soleil se lève, le récit d’Entre les vagues bifurque brutalement vers quelque chose de plus grave. Une révélation – intelligemment mise sous silence dans la promotion du film – va alors étouffer l’innocence des deux protagonistes et du long-métrage. S’ensuit alors une seconde partie plus amère où il s’agira de faire renaître la joie et l’incandescence des premiers instants, mais est-ce seulement possible ?

 

Entre les vagues : photo, Déborah Lukumuena, Sveva AlvitiEntre Robuste et Entre les vagues : un mois de mars Déborah Lukumuena ?

 

Si ce virage apporte une brutalité et un impact bienvenus, la pureté de l’écriture de la première partie s’étiole dans la seconde, à mesure qu’Anaïs Volpé s’efforce d’explorer quelque chose de plus écrit. Une évolution nécessaire vu le ton que prend le long-métrage à cette césure, mais dont découle quelques effets parfois trop insistants et mécaniques, tendant même à un certain pathos qui met à distance des personnages.

En accentuant parfois un peu trop les affects, la cinéaste assène donc une émotion qu’elle déployait pourtant avec une aisance toute naturelle dans sa première partie. Les plans rapprochés sensibles déjà évoqués en deviennent presque indiscrets. Malgré tout, l’écriture d’Entre les vagues n’en perd pas pour autant le fil, Margot et Alma pilotant le récit avec toujours la même hargne. 

 

Photo Déborah Lukumuena, Souheila YacoubLa vie est un long fleuve tranquille

 

L’amour à la mer

Mais la pureté de leur amitié va être parasitée par les différents chemins que la vie va leur imposer, impliquant soutien, confrontations, jalousie et culpabilité. Si Anaïs Volpé s’attelle parfois un peu trop superficiellement à montrer cette relation mise à mal, la diversité des affects auxquels sont confrontées Margot et Alma démontre la lucidité du film sur ses personnages et ses thématiques.

Entre les maladresses de Margot et le caractère d’Alma, Entre les vagues n’hésite pas à malmener ses personnages, luttant contre la mièvrerie de l’ode à l’inconditionnelle amitié. Si le long-métrage d’Anaïs Volpé parle d’un tel lien unissant ces deux femmes, il n’élude donc jamais la complexité d’entretenir cette fraternité. Cette relation n’est pas un dû et les deux protagonistes doivent lutter pour la faire exister, tandis qu’elles s’apprêtent toutes les deux à devenir trentenaires, et donc à ouvrir une nouvelle page de leur vie.

 

Entre les vagues : photo, Déborah Lukumuena, Souheila Yacoub, Angélique KidjoDe l’amour mais pas de mièvrerie

 

En insistant sur les doutes de Margot, mais aussi sur la résilience d’Alma, le film d’Anaïs Volpé apporte à ces questionnements une réponse à la fois sincère, humaine et lucide. Ce mélange d’acuité et d’honnêteté sur le sujet de l’amitié se conjugue à un traitement de la fiction tout aussi fin. Margot va mentir à Alma pour répondre à sa détresse, mais ce monde fictif ne sera jamais traité comme une solution magique aux problématiques de la jeune femme.

La rêverie n’est pas considérée comme un substitut au réel, mais comme un refuge passager qu’offre Margot, à défaut de pouvoir faire grand-chose d’autre pour aider son amie. Si Entre les vagues prend donc parfois le risque du tire-larme, ce n’est donc jamais par flemmardise et par gratuité, mais bien par légère maladresse, que l’on pardonnera volontiers face à l’acuité et à l’énergie du long-métrage.

 

Entre les vagues : Affiche officielle

Rédacteurs :
Résumé

Lorsqu'il n'appuie pas trop ses effets - au risque de parfois en tomber dans le pathos - mais qu'il embrasse complètement la fougue de ses personnages, Entre les vagues est un film électrique, envolé et frais.

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