Sans répit
Il lui avait offert l’un de ses plus beaux rôles à la fin de son Adoration. Fabrice Du Welz confie cette fois à Benoît Poelvoorde un personnage qu’on jurerait écrit pour lui, à savoir Marcel, un écrivain demeuré célèbre pour son premier roman. Celui-ci s’installe avec sa femme et sa fille dans une grande maison en rénovation léguée par son beau-père, un éditeur de renom. C’est alors que débarque en ville Gloria, jeune femme timide qui se lie d’amitié avec la gamine, s’attire la sympathie de la petite famille et se révèle vite être une grande admiratrice de son livre.
Le pitch, variation d’un modèle narratif (le bouleversement d’une cellule familiale ou communautaire par une perturbatrice ou un perturbateur) déjà transcendé par quelques grands cinéastes, annonce plutôt un pur thriller psychologique. Et Fabrice Du Welz, de concert avec ses co-scénaristes Aurélien Molas et Joséphine Hopkins, ne rechigne pas à l’exercice, loin de là. Très bien écrit, concis et dépourvu de la moindre fioriture inutile, Inexorable malmène avant tout nos nerfs avec une remarquable rigueur, ce qui en fait peut-être l’un des plus accessibles des longs-métrages européens du réalisateur.
On pouvait craindre qu’en quittant les environnements plus ruraux, voire naturels, qu’en abandonnant le souffle d’aventure et la contemplation lyrique qui culminait dans le magistral dernier plan d’Adoration, il se répande en concessions. Rien de tout ça. Certes plus ramassé, presque aux antipodes de son film précédent, Inexorable n’en oublie pas moins de traquer la cruelle beauté qui réside dans ce jeu de dupes, dans cette descente aux enfers éprouvante, et ce grâce à une maîtrise formelle une fois de plus impressionnante.
Le metteur en scène se paye à nouveau les services de Manuel Dacosse, l’un des directeurs de la photographie les plus précieux de l’industrie française du moment, puisqu’il a aussi par exemple participé aux trois longs-métrages de Hélène Cattet et Bruno Forzani, ainsi qu’au magnifique Evolution de Lucile Hadzihalilovic.
Ensemble, ils persistent à travailler la texture du 16mm, pour en tirer non plus un éclat sauvage, mais un clair-obscur à l’américaine de toute beauté qui, couplé à quelques audaces de mise en scène, reflète la part d’ombre des personnages. Comparé aux thrillers plats qui nous arrivent par paquets de 12 en SVoD, le résultat relève presque de l’expressionnisme. Du cinoche à l’ancienne, mais pas forcément nostalgique, tout entier dévoué à la cohérence de ses effets et aux tourments de ses protagonistes.
Le charme discret de la bourgeoisie
En pleine période de résurgence du thriller érotique made in USA, la faute à Eaux Profondes ou autres Voyeurs, et grâce à une efficacité rarement atteinte par ses représentants, Inexorable vient de fait chaparder la transgression que revendique le genre. Son scénario évoque forcément des oeuvres très théoriques (comme… Théorème), mais c’est en assumant un rythme bien plus soutenu et ses influences plus populaires qu’il devient piquant.
La gigantesque demeure dans laquelle se déroule la majeure partie du film, déjà striée de zones d’ombres par la photographie, se transforme vite en symbole d’une petite bourgeoisie culturelle en vase clos. En rénovation, elle renferme moult zones inaccessibles et bâches étendues sur les meubles, comme autant d’angles morts dans cette famille unie par un prestige littéraire un peu surfait, autant de couches de vernis vouées à se craqueler dès lors que Gloria vient s’immiscer en son sein.
Il s’en passe des trucs dans les couloirs
Dès qu’elle s’incruste dans ce petit cocon familial très bon chic bon genre (la scène de l’interview), elle distille un malaise palpable qui dérange jusqu’aux poncifs esthétiques qu’on attribue généralement à ce type de situation. Les traditionnelles scènes en voiture refusent de faire de l’habitacle un lieu de confort, grâce à l’éclairage et à un jeu de reflet, la musique est utilisée à contre-emploi… Son intrusion est totale, et va complètement chambouler l’existence de personnages bien plus fragiles qu’ils ne veulent le faire croire.
D’où l’importance du trio de comédiens et comédiennes, constitué de Alba Gaia Bellugi, Mélanie Doutey et Benoît Poelvoorde. Un trio qui s’intoxique lui-même au cours du film, grâce notamment à plusieurs dialogues lourds de sens, y compris avant l’arrivée de Gloria. Doutey s’empare avec dextérité d’un personnage de bourgeoise à la générosité aléatoire, tandis que Bellugi apporte toute la fausse innocence nécessaire à l’ingénue trouble qu’elle incarne.
Quant à Poelvoorde, il a le bon goût de ne jamais trop s’éloigner de son jeu habituel, mélange de charisme roublard et de maladresse somme toute très humaine. Le rôle est extrêmement complexe et exigeant, mais lui colle si bien à la peau qu’il inspire l’une de ses meilleures performances.
Le dernier rouage d’une mécanique particulièrement bien huilée et qui devrait – dans un monde idéal – introduire un large public à un cinéma d’une sincérité et d’une ambition esthétique assez rafraichissantes. On y croit.
Je viens de le voir. Franchement hyper classique dans son scénario assez balisé, mais que c’est bon de voir du thriller francophone bien ouvragé comme ça. La photo est belle et apporte vraiment du sens au film, la réal est inspirée, les acteurs au top… Mention spéciale à la petite fille ; c’est tellement rare de voir des enfants jouer autrement que s’ils étaient dans une publicité pour Center Parcs que c’est à noter!
4/5
Film décevant de la part de Du Welz qui réalise un thriller au suspense plat et sans tension. Niveau intrigue, une grosse impression de déjà-vu.
Pas honteux mais pas vraiment emballant non plus ce thriller un peu poussif, on a l’impression d’avoir déjà vu ailleurs ces personnages et cette histoire, et les quelques cadrages alambiqués, éclairages et musique agressifs peinent à relever un sujet éculé. Reste un casting qui s’en sort convenablement.
Ça donne envie tout ça ! Je vais aller le voir !
Exellente surprise . Je suis fan de Fabrice du welz, qui livre de nouveau un Exellent film. Le 16 mmm est utilisé à merveille. Le film est une vrai réussite,et Poelvorde livre une prestation sans faute. A voir absolument
J’ai adoré.
Tout est parfait, de la photo (sublimes paysages extérieurs, comme d’habitude avec Du Welz), aux décors (la maison est tout de suite inquiétante, avant même le début des différentes manipulations), en passant par un scénario certes attendu, mais alambiqué, une réalisation aux petits oignons (l’utilisation d’un travelling compensé pendant un passage apparemment anodin, fait vriller la scène dans un suspense étouffant), sans parler des comédiens, fragiles et effrayants à la fois.
C’est étonnant qu’après des films aussi exigeants que Calvaire, Alleluia ou Vinyan, Du Welz se lance dans un film plus grand public, mais qui risque de décontenancer le spectateur moyen, par exemple fan de Poelvoorde, et qui s’attend au moins à deux ou trois vannes bien senties (il n’y en a pas une seule, j’ai dû sourire trois fois durant tout le film). A noter que je n’ai pas vu ses incursions dans le cinéma grand public, que sont Colt 45 et Message from the King, je suis peut-être déjà passé à côté de son cinéma plus « accessible ».
C’est âpre, méchant, mais d’une beauté fulgurante. Heureusement qu’il y a encore des cinéastes pour tourner en pellicule, ça donne des images au grain réaliste, qui colle bien au sujet.
Poelvoorde est génial (mais est-il utile de le préciser ?), Mélanie Doutey est plus convaincante que dans Le temps des secrets, Alba Gaïa Bellugi est une véritable mante religieuse, et ce rôle devrait la faire éclater au grand jour, et enfin, la prestation de la jeune Janaina Halloy, une dizaine d’années à tout casser, est mémorable. Il y a une scène, que je ne dévoilerai pas, dans laquelle elle est tétanisante. J’imagine même qu’elle a été engagée pour le rôle en grande partie pour cette scène.
8/10
Fabrice du Welz, bon sang que j’aime ce réal.