MEC BêTe
Difficile exactement de savoir par quel bout prendre ce Nitram. C’est sans doute la raison pour laquelle le long-métrage a divisé autant lors de son passage par la Croisette en 2021 : d’un côté, il y avait ceux qui connaissaient le fait-divers derrière le portrait de ce jeune marginal ; et de l’autre côté, il y avait ceux qui n’ont découvert les tenants et aboutissants qu’au gré du récit (et notamment, de sa révélation finale). Autant dire que la perception des spectateurs en a forcément été impactée et donc son appréciation d’autant plus.
Car Nitram suit la trajectoire de l’étrange Nitram (un anagramme de Martin), jeune homme passionné depuis l’enfance par les feux d’artifice (quitte à s’en blesser), au QI très bas et vivant avec ses parents dans la Tasmanie des années 90. Alors que ses relations avec ses parents sont houleuses, le marginal finit par s’enticher d’une riche héritière un peu bornée, de trente ans plus âgée, avec laquelle il vit une idylle loin d’une société ne les comprenant pas. Sauf qu’après un accident, la solitude de Nitram se ravive et va le mener au pire : la fusillade de Port-Arthur, la plus mortelle de l’histoire de l’Australie.
Contrairement au Elephant de Gus Van Sant, qui revenait avant tout sur la tuerie de Columbine à travers les yeux d’une poignée de victimes, Nitram fait donc le choix d’entrer pleinement dans la tête de son tueur. Évidemment, ce point de vue choisit par Justin Kurzel et son scénariste Shaun Grant a été vu comme une trahison par certains, une malhonnêteté intellectuelle, voire pire, une preuve d’empathie avec ce tueur de masse. Pourtant, de manière très juste, cet angle narratif est une des idées les plus malignes du long-métrage.
En taisant habilement ses intentions finales (un réquisitoire contre le port d’armes et une critique acerbe de la politique australienne à ce sujet depuis ce drame de 1996), Nitram s’adonne à une plongée méthodique dans l’esprit tourmenté de Nitram. Mieux, le film livre une étude passionnante (et perturbante) des zones d’ombre d’un garçon oublié de la société devenu un Leviathan. Un exercice périlleux, dont le film parvient à éviter tous les écueils en ne mettant jamais en lumière son anti-héros, mais bien en questionnant constamment les raisons de sa dérive.
assassin’s crime
Depuis son premier film, Les Crimes de Snowtown, Justin Kurzel le confie lui-même, il s’intéresse « aux raisons pour lesquelles ces jeunes hommes cherchent des réponses dans une violence si extrême. Est-ce du fait d’un vide culturel, qui prive ces êtres d’une véritable tribu, est-ce un manque d’appartenance ? Quand il n’y a ni église, ni sens de ses racines, ni lien à la terre ou à son pays, quels repères leur restent-ils ? Quels sont les éléments qui viennent les pervertir et les pousser dans ce besoin insensible et insensé de tuer ? ».
Dans la continuation logique de sa carrière, l’Australien sonde donc ici la noirceur de son personnage pour mieux y trouver une certaine vérité et plus exactement, se remémorer une tragédie pour espérer qu’elle ne ressurgisse pas à l’avenir. Avec intelligence, Justin Kurzel se sert d’ailleurs admirablement de sa mise en scène pour mieux faire passer ses messages aux spectateurs. Très judicieusement, par exemple, il use du hors-champ lors de sa scène finale fatidique, évitant alors toute forme d’un sensationnalisme qui aurait enterré les ambitions risquées de son métrage.
Et au contraire, dans une scène glaçante et d’une simplicité déconcertante, il filmait quelques minutes plus tôt Nitram achetant des armes à un armurier sans jamais détourner le regard. Si la véritable tragédie est donc gardée à distance dans les derniers instants du film, c’est bel et bien un autre drame que Justin Kurzel raconte sans détour : cette facilité avec laquelle les armes d’une telle atrocité ont été confiées à un marginal, sans permis d’armes, et dont le spectateur a bel et bien compris l’instabilité et la dangerosité au fil du film.
Alors oui, si le rythme du film pourra en rebuter tout autant que la mise en scène froide de Justin Kurzel, c’est bien grâce à cette approche que le cinéaste décuple la tension à travers une narration méticuleuse et des cadres resserrés particulièrement rudes. En résulte un portrait saisissant, tour à tour glauque, anxiogène et oppressant, magnifié par la prestation magistrale de Caleb Landry Jones. Et au-delà du thriller psychologique, c’est sa critique d’une société en guerre avec elle-même qui fait de Nitram un sacré coup de poing.
Je suis plutôt aligné avec votre critique sur ce film. La tension monte progressivement durant le long-métrage. Glaçant.
Et dans Get out !
Nitran ou mitram oui mais pas ici
@Bob
True story, je voulais dire anagramme. C’est corrigé !
C’est pas ça un palindrome.
Tête-à-claque dans Barry Seal, malsain dans War on Everyone, un physique atypique loin des standards top model-acteurs… Caleb Landry Jones est vraiment un touche-à-tout, et talentueux qui plus est !
Dommage que Kurzel n’ait pas repris Arkapaw à la photo : j’avais adoré son boulot sur MacBeth. Mais compte tenu du sujet, il cherchait peut-être quelque chose de plus naturaliste.