Saani Kaayidham : critique scalp and revenge sur Amazon Prime

LA VENGEANCE EST À MOI

Sorti discrètement sur Amazon Prime au début du mois de mai, le film tamoul Saani Kaayidham est rapidement devenu un succès surprise sur le territoire indien. Racontant le parcours sanguinaire d’une ancienne policière accompagnée d’un facteur, le film a pour ambition d’être un rape and revenge brutal. Une expérience radicale, à la croisée des chemins entre J’ai rencontré le diable et The Nightingale.

Et pourtant, Saani Kaayidham est avant tout une production indépendante aux moyens limités. Le jeune cinéaste Arun Matheswaran signe ici son deuxième long-métrage. En optant pour une approche quasi naturaliste, il donne à son film une forme malaimable et âpre qui convient parfaitement à son propos.

Ponni and Clyde

Arun Matheswaran nous plonge dans la réalité lente et poussiéreuse de ses personnages. Les plans serrés se chargent d’étouffer le spectateur. Progressivement, le cadre vient légèrement déformer les visages suintants. Saani Kaayidham ne se perd pas en effets de style. Cependant, il n’utilise jamais son parti-pris ou son budget limité comme des excuses pour ne pas être visuellement saisissant.

Si la musique se fait rare, elle ponctue avec une efficacité diabolique les moments de tension. On notera d’ailleurs un travail méticuleux sur le design sonore qui décuple le malaise et renforce la puissance du hors champ.

Porté par un casting solide, Saani Kaayidham peut avant tout compter sur une performance hallucinante de l’actrice Keerthi Suresh. Elle incarne un personnage complexe, qui oscille entre empathie et monstruosité, entre folie et désespoir. Il s’agit non seulement de son meilleur rôle depuis le très acclamé Mahanati, mais surtout d’un des rôles féminins les plus marquants du cinéma de genre de ces dernières années.

Lady Vengeance

(NOT SO) FUNNY GAMES

Un des premiers points qui marque au visionnage du film, c’est sa brutalité extrême. Même si la violence est souvent hors champ, on ne nous épargne pas pour autant les effusions d’hémoglobine, les scènes de torture et autres corps mutilés. Dès sa première réalisation, Arun Matheswaran avait manifesté son envie de bousculer le spectateur. Il le fait ici avec une radicalité désarmante.

Pourtant, la vengeance n’a jamais rien de glamour dans son film. Elle n’est pas esthétisée. Le cinéaste ne prend aucun plaisir sadique ou complaisant à l’illustrer. Ponni et Sangaiyaah ne sont en rien les héros de pop culture, armés jusqu’aux dents, que le genre nous offre régulièrement. Ce sont des gens normaux à la vie banale, dont le sens moral a simplement été dévasté par les événements.

Impitoyable 2 : le retour

On pourrait tout de même se demander face à Saani Kaayidham où se trouve la limite du tolérable. Certaines séquences-chocs s’étirent jusqu’à en devenir insupportables. À l’image de la scène de viol en début de récit. Sans chercher le traumatisme graphique d’un Bulbbul, Arun Matheswaran a pour seule arme le hors champ et la durée. Comme si le temps s’arrêtait face à l’horreur de la situation.

C’est d’ailleurs là que se trouve la plus grande limite du film : sa gestion du temps. La deuxième heure enchaîne choc sur choc jusqu’à l’usure. Il s’agit évidemment d’un parti-pris visant à nous faire ressentir la déchéance psychologique profonde de nos personnages. Mais il est impossible de ne pas y voir une certaine redondance. D’autant plus que le genre impose un schéma narratif assez classique et prévisible.

La vengeance est un plat qui se mange sans attendre

LES HEURES SOMBRES

Comme on pouvait s’y attendre, la relecture indienne du rape and revenge est hautement politique. Rappelant en partie l’excellent NH10 de Navdeep Singh, Saani Kaayidham est un cri du cœur assez désarmant sur l’état de la société indienne. La banalisation des violences faites aux femmes est au centre du récit. Une violence qui s’étend de génération en génération. Et même si le film est d’une noirceur rare, son cinéaste distille tout de même quelques lueurs d’espoir.

Saani Kaayidham s’intéresse également à la fracture nationale qui oppose l’Inde des grandes villes modernes et celle des villages abandonnés. Ponni n’aurait été qu’une policière parmi tant d’autres en ville. Dans son coin désertique, elle est une anomalie dont le « métier d’homme » est vécu comme une humiliation pour son mari. Et par extension pour toutes les figures masculines craignant de perdre leur autorité.

Entrer dans une colère noire

Le film ne tombe jamais dans la facilité. S’il est moralement très ambigu, notamment sur la question de la justice personnelle, il n’a pas peur de mettre en scène la monstruosité de son héroïne. Non pas pour dire que seul le crime paie, mais plutôt pour filmer une société dysfonctionnelle qui pousse à la folie.

Si Saani Kaayidham évite si bien d’être moralisateur, c’est avant tout parce qu’il s’agit d’un immense film politique sur la violence sociale. Un récit qui s’attaque à l’impunité des élites envers les castes inférieures, la facilité pour les plus riches de transformer un procès en vaste farce grotesque. Dans ce monde hostile, un simple affront se paie par l’extermination d’une famille entière. Véritable manifeste révolutionnaire, Saani Kaayidham inverse le tableau et suit sans les juger des intouchables torturant les castes supérieures.

Saani Kaayidham est disponible sur Amazon Prime Video depuis le 5 mai 2022