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La Conspiration du Caire : critique du nom de la rose pourpre du Caire

Par Mathieu Victor-Pujebet
16 mai 2023
MAJ : 17 mai 2023
5 commentaires

Révélé à l’international par le noir et passionnant Le Caire confidentielTarik Saleh a récemment fait un petit détour par les États-Unis pour nous en mettre plein la tronche sur Amazon avec Le Contracteur, avant de revenir cette année avec La Conspiration du Caire. Prix du scénario au Festival de Cannes 2022, ce nouveau film nous raconte l’histoire d’Adam, un simple pêcheur qui va intégrer la prestigieuse université Al-Azhar, au Caire. Lors du décès du Grand Imam à la tête de cette institution, Adam va être pris au piège dans une lutte de pouvoir entre l’élite religieuse et les politiques du pays.

Affiche

La Loi du Caire

L’une des grandes forces du Caire confidentiel, sorti en 2017 en France, était l’efficacité de la mise en scène de Tarik Saleh, éminemment impactante sans jamais être démonstrative. Même lorsqu’il a délocalisé l’âpreté de son cinéma dans le décor de l’actionner américain avec Le Contracteur, le cinéaste suédois est parvenu à confirmer ses habiletés cinématographiques à travers un filmage précis, mais épuré.

Dans La Conspiration du Caire, Tarik Saleh transforme l’essai en situant son décor dans la Mosquée de Süleymanye (à défaut de la véritable université d’Al-Azhar). Encore plus que dans ses précédents films, le cinéaste se plie à la puissance graphique de son environnement et souligne sa majesté à grands coups d’élégants plans larges et/ou d’imposantes contre-plongées. Une humilité de mise en scène qui donne une ampleur visuelle presque naturelle au film, sans passer par de superficiels gimmicks plastiques, ce qui le rend d’autant plus impressionnant. 

 

Boy from Heaven : photoUne discrète claque visuelle

 

De la même façon, en ajoutant à ces quelques plans d’ensemble une caméra épaule nerveuse, le réalisateur insuffle une brutalité bienvenue à sa mise en scène et l’augmente d’une belle dimension organique. Ce filmage abrupt jure cependant avec une narration rythmée d’astucieuses ellipses, de fluides transitions musicales et de montages parallèles. Une structure limpide qui, associée à un filmage rêche, fait de La Conspiration du Caire un film à la fois stimulant et exigeant.

Par ailleurs, cette riche réalisation emballe un scénario traversé de meurtres, d’enquêtes et de manipulations, quelque part entre Le Nom de la rose d’Umberto Eco (référence citée par le réalisateur lui-même) et le cinéma américain paranoïaque des années 70. Le cinéma de Tarik Saleh n’est jamais que théorique. Il s’habille toujours des codes du cinéma de genre pour appâter son spectateur et créer une tension palpable et haletante.

Une écriture d’autant plus divertissante qu’à la manière d’un roman de John Le Carré, La Conspiration du Caire est peuplé de personnages qui cachent presque tous leurs motivations, et de protagonistes sous-estimés qui se révèlent plus doués et puissants que prévu. Le film est alors rythmé par de ludiques retournements de situations et par une galerie d’enjeux forts, devenant un vrai plaisir de thriller percutant. 

 

Boy from Heaven : photoConversation secrète

 

Le Caire, nid d’espions

Ce plaisir de la forme et du genre est d’autant plus prenant et excitant pour le spectateur qu’il est incarné avec brio par une galerie d’acteurs vraiment impressionnants. D’un côté, Fares Fares est de retour chez Tarik Saleh après Le Caire confidentiel pour un rôle passionnant d’ambiguïté. Le comédien donne à voir avec acuité le mélange de chaleur et de dangerosité de son personnage. De l’autre côté, Tawfeek Barhom interprète Adam avec une parfaite retenue, qui se mue progressivement en un passionnant bouillonnement de colère.

La versatilité de ces acteurs rend leur personnage vraiment attachant et permet un investissement émotionnel d’autant plus fort dans cette Conspiration du Caire. Un accompagnement affectif qui va de pair avec le voyage initiatique d’Adam qui passe d’un quotidien de pêcheur au fin fond de la campagne égyptienne à l’une des plus grandes et anciennes universités du monde.

 

Boy from Heaven : photo, Tawfeek BarhomAlice aux pays des conspirations

 

Camarade amusant, fête en plein centre-ville et découverte du monde urbain : Tarik Saleh filme avec tendresse l’ouverture d’Adam à l’univers citadin du Caire, qui jure avec le décor presque médiéval du tout début du film. Si cette découverte sensible d’un nouvel espace est d’abord joyeuse pour le protagoniste, la noirceur du thriller et la tension anxiogène des conspirations autour de la succession du grand Imam vont radicalement changer le ton du film.

Par ailleurs, Tarik Saleh illustre visuellement la prise au piège de son personnage à travers des jeux de symétrie asphyxiants et des focales courtes qui mettent en valeur l’immensité du décor d’Al-Azhar. Adam est comme écrasé par son environnement et ce nouveau monde qui se trouve plus angoissant que prévu. En accompagnant le point de vue et la quête initiatique de son protagoniste, Tarik Saleh déploie une atmosphère oppressante vraiment stimulante pour le spectateur.

 

Boy from Heaven : photo, Tawfeek BarhomEnfermé dehors

 

À cause d’un assassinat

Pour cause, à l’instar du Caire confidentiel et du Contracteur, La Conspiration du Caire parle d’un individu pris au piège dans les rouages des machinations d’un système qui l’exploite et le met en danger. En purs termes d’écriture, cela s’incarne à travers un protagoniste qui est toujours au coeur de l’action, sans pourtant jamais en être le moteur, comme s’il n’était plus maître de ses propres décisions.

Adam est passif à son propre récit. Il est baladé d’un enjeu à un autre, en ayant à peine le temps d’y émettre de la résistance. Il y a quelque chose de l’ordre du thriller américain des années 70 dans La Conspiration du Caire, où un personnage impuissant est enfermé dans des manipulations imbriquées, orchestrées par une force abstraite et difficilement identifiable. En résulte une paranoïa latente, voire un nihilisme pervers d’une grande noirceur.

 

Boy from Heaven : photoThe Haunting of Hill House

 

En quelques plans larges sur des foules de croyants ou sur les 300 000 étudiants d’Al-Azhar, Tarik Saleh rappelle visuellement la force de cette institution religieuse en Égypte. L’idée de son film n’est pas d’en attaquer les principes fondateurs, mais bien de rendre compte du processus de pervertissement par le pouvoir de la mission religieuse d’un tel établissement, et de celle de la protection de la population par la sûreté de l’état.

En témoigne la figure du héros qui, comme avec le flic ripou du Caire confidentiel ou l’organisation paramilitaire du Contracteur, est ici malmenée, puisque représentée par l’ambigu agent, aux méthodes peu recommandables, qui s’occupe de l’infiltration d’Al-Azhar. Un rouage de plus dans les sombres machinations des plus grandes institutions égyptiennes, qui va certes doucement se révolter pour sauver la vie d’Adam, mais qui restera malgré tout bien loin de la figure classique du policier irréprochable et flamboyant

 

Affiche

Rédacteurs :
Résumé

Avec la virtuosité contenue de sa mise en scène et l'impressionnante précision de son écriture, Tarik Saleh signe avec La Conspiration du Caire un thriller d'espionnage surpuissant, aussi riche que stimulant.

Autres avis
  • Antoine Desrues

    Après Le Caire confidentiel, Tarik Saleh transforme l'essai, et prouve qu'il maîtrise des récits tendus de thriller pour mieux y distiller une réflexion sur l’Égypte d'aujourd'hui. Un très beau film intime, attaché à ses personnages, et qui cache une ampleur insoupçonnée.

  • Alexandre Janowiak

    Le talentueux Tarik Saleh réalise son Habemus Imam avec La Conspiration du Caire. Un thriller tendu et passionnant plongeant dans les arcanes du pouvoir religieux égyptien entre traîtrises, jeux de dupes et guerre des mots, s'inquiétant autant d'un dangereux fanatisme que d'une corruption politique inébranlable.

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Commentaires
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Myst

Très bon film a voir !

Raoul

SUPERBE FILM, INTENSE DE BOUT EN BOUT

Sanchez

Encore une fois le jury de Cannes devait être beurré point donner le prix du scénario à ce thriller d’espionnage ultra confus .
(Spoiler) Genre le flic qui veut absolument sauver le jeune a la fin alors qu’il en a rien à foutre pendant tout le film . Après j’ai sûrement pas tout compris , ça m’a paru flou

MB

Ou est ce qu on peux le voir?

Rita

Je n’ai pas apprécié! ça commençait bien pourtant, et puis ça s’est enlisé dans des développements dont j’ai fini par ne plus comprendre le sens…..