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1899 : critique bien Dark sur Netflix

Par Lino Cassinat
18 novembre 2022
MAJ : 12 décembre 2022
30 commentaires

En 2017, doucement, dans l’ombre, la majestueuse Dark, première production allemande de Netflix, construisait son succès. Une première saison discrète, avant d’exploser les compteurs critiques avec ses saisons 2 et 3, apportant une gloire et une notoriété bien méritée au couple créateur Baran bo Odar et Jantje Friese, ainsi qu’un deal sur plusieurs années avec le géant du streaming. Voici donc 1899, nouvelle création du duo, avec un casting aussi international que fourni qui aura la lourde charge de nous guider dans cette histoire qui plaira immédiatement à celles et ceux qui ont aimé Dark… quand bien même elle s’avère légèrement en dessous – du moins pour cette saison 1.

CRITIQUE SANS SPOILER

photo

IN THE NAVY, IN THE NAVY

Il suffira de même pas un épisode, d’à peine 15 minutes même, pour que 1899 pose son ambiance, fasse sentir la complexité de son intrigue et surtout, accueille le fan de Dark en terrain immédiatement connu. Photographie délavée à la limite du noir et blanc, mystère jouant sur la perception de la réalité, personnages perdus portant leurs secrets comme des fardeaux : vous êtes bien dans le bateau de Baran bo Odar et Jantje Friese.

 

1899 : photoTiens donc, un enfant flippant

 

Vous êtes également bien dans une œuvre de genre horreur psychologique. Immédiatement de nombreuses références viennent à l’esprit. L’ouverture : très largement inspirée par celle de Silent Hill 2 – un personnage questionnant sa folie face à un miroir, récipiendaire d’une lettre mystérieuse d’un être cher disparu. L’environnement humide et métallique et les psychés abîmées renvoient tout à la fois à The Terror et Shutter Island . Enfin, quelques tableaux surréalistes à la David Lynch – la salle de passagers qui déguste le thé comme les résidents de l’hôtel de Twin Peaks jouent avec leurs balles rebondissantes – parsèment 1899, qui montre la maîtrise de ses gammes.

 

1899 : photoSurprise, ce n’est pas une comédie avec Christian Clavier

 

café vs réalité

Surtout, elle joue sa partition connue, mais trop peu interprétée avec beaucoup de goût et d’inspiration, et les mélange au décor particulier de 1899 et aux obsessions typiques de ses créateurs, de l’apparition d’un homme mystérieux en long manteau possesseur d’un étrange appareil d’une technologie inconnue aux allers-retours entre différentes chronologies. Mais ils sont tellement incessants et emmêlés que passé, futur, présent, futur dans le passé et présent de l’imparfait se télescopent dans un grand chaos angoissant.

D’ailleurs, à ce titre, bien que 1899 soit un peu plus sage et ne produise rien d’aussi bordélique que l’arbre généalogique de Dark à lui seul probablement responsable de 50% des ventes d’aspirine dans le monde, attendez-vous tout de même à de sacrés nœuds au cerveau. Le couple créateur ressort le même tour de magie qu’avant, à savoir saturer le cortex d’informations cruciales, sans lui donner le moyen de les recouper, d’en tirer des clés de compréhension. Et de perdre ainsi le spectateur dans un brouillard de pensée aussi épais que le brouillard atlantique, que tente de fendre vaillamment le mastodonte de métal flottant comme l’esprit tente de fendre à travers un océan de folie  : vaillamment, mais vainement.

 

1899 : photoIl fait sombre ici

 

LA CROISière ça use

Mais si 1899 n’est pas aussi touffue que Dark, elle est peut-être cependant plus circonvolue, peine un peu à dévoiler sa substantifique moelle ou retarde trop l’arrivée de quelques miettes de sens, remettant sans cesse la compréhension à plus tard, quand telle ou telle révélation sera faite. Intrigante, 1899 flirte doucement avec la frustration parfois, tant elle est avare en explications, produit des évènements improbables spectaculaires, mais dont l’explication vient toujours a posteriori… quand elle vient. 1899 demande une forme de lâcher prise, d’apprendre à aimer être perdu, mais ne le fait pas toujours parfaitement. Ce qui parfois peut conduire à quelques sentiments contradictoires.

C’est que, le cerveau aime être berné, mystifié, mais seulement pour les bonnes raisons, et en l’absence de ces dites raisons, la suspension volontaire d’incrédulité est parfois mise à mal. Le syndrome Lost guette un peu 1899, où parfois, des choses se produisent sans raison ni justification, et donc, sans logique. Exactement ce que cherche une série qui vise à créer un sentiment de confusion, objectif accompli donc, non ? Il faudra attendre les saisons suivantes pour avoir la réponse, mais pour le moment, ce jeu du chat et de la souris avec le scénario est à la fois la force et la faiblesse de 1899, qui laissera sur le côté la partie du public la plus réfractaire au manque de règles claires.

 

1899 : photoAllégorie de la concentration requise pour 1899

  

Promenade au-dessus de la mer de brume

C’est vrai qu’à n’obéir à rien, un scénario finit par dire tout, son contraire, et n’importe quoi. Et si 1899 n’en est certes pas là dans son déroulé, qui, à défaut d’être limpide, reste cohérent et rigoureux, ses personnages parlent pour le moins bizarrement et souffrent d’une gestion des langues vraiment bancale. Ce qui n’est pas sans poser problème dans une série qui parle huit langues différentes réparties en une douzaine de personnages qui se comprennent un peu par magie sans avoir recours à l’anglais. Un aspect tour de Babel qui colle au propos de la série et lui donne une identité forte, mais on doute que le machiniste polonais qui remue du charbon comprenne vraiment ce qu’une Chinoise lui dit.

Si 1899 devait d’ailleurs avoir un seul vrai point faible saillant, ce serait d’ailleurs sa dramatis personae. Soit trop nombreux pour cohabiter en harmonie avec une intrigue aussi dense, soit pas assez fouillés, trop de personnages se limitent à être à peine plus que des archétypes, restent à la surface de ce qu’ils pourraient être. Par corollaire, les intrigues secondaires, si elles ne sont pas envahissantes, ne s’avèrent pas déchirantes non plus. C’est sans doute l’ingrédient perdu en route entre Dark et 1899 : à personnages plus froids, émotions plus froides, et vous ne retrouverez pas les chaudes larmes versées à torrent face à Jonas et Hannah Kahnwald.

 

1899 : photoY’a du monde ici

 

TERROR 404

Et pourtant. Une fois le dernier épisode terminé, une envie évidente monte immédiatement : voir la saison 2, continuer à avancer dans ce récit qui n’est absolument pas terminé, loin de là. Il y a quelque chose qui emporte le spectateur dans 1899, quelque chose de précieux : sa folie. 1899 se permet de nombreuses excentricités, et donne régulièrement le vertige à la faveur d’images qui donnent le tournis, comme un ruban de Möbius ou un escalier de Penrose. Partant de prémices pourtant simples, 1899 adopte quasi immédiatement une trajectoire oblique, multiplie les pas de côtés dès son premier épisode et nous promène de petites poches de délire en petites poches de délire.

 

1899 : photoAttendez, ça c’est sage encore comparé à ce qui vous attend

 

1899 nous emmène également loin, très loin. Un peu trop parfois même, chatouille la frontière du craquage, s’amuse à tordre l’esprit du spectateur comme on s’amuserait à tordre une branche souple au maximum en s’arrêtant juste avant de la casser. Il se passe toujours quelque chose d’étonnant, ce qui confère à 1899 un rythme exubérant alors même que la mise en scène en elle-même est plutôt posée et sans chichis. 1899 est une série harassante dans le bon, dans le meilleur sens du terme, ce qui la rend aussi difficile que jouissive à suivre. Soudainement apparaît quelque chose que l’on n’avait pas vu depuis longtemps dans une œuvre d’horreur psychologique : de l’exigence et de l’audace.

1899 est disponible en intégralité sur Netflix

 

1899 : Affiche officielle

Rédacteurs :
Résumé

1899 ne réussit pas tout ce qu'elle entreprend, mais s'avère être une proposition forte dans un genre trop rare. L'envoûtement fonctionne et c'est avec plaisir que l'on erre hagard dans l'inquiétante étrangeté de 1899, dont on attend tout de même des futures saisons un peu moins de dispersion et des personnages plus poussés.

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Prometheus

Avis mitigé pour ma part. Je regarderai la suite.

Je recommande le making of, il est très intéressant !

Marc sur le Prometheus de 1899

@Miss M

Je ne suis pas abonné à NETFLIX mais je n’ai vu que les Teaser les critiques de 1899 . Il est possible que les épisodes sont long on a fait le même reproche à la série Les Anneaux du pouvoir ou House of Dragon. Il faut prendre le temps de rentrer dans une histoire c’est l’intérêt des série .
Quand j’ai vu la fin du dernier épisode quand MAURA sort de la simulation elle se trouve dans la réalité . C’est scénario de réalité et monde virtuel où simulation c’est à la fois effrayant ou fascinant. Dans les premiers épisode si on devine pas la fin de 1899 les showrunner on réussit à surprendre et c’est mon cas ! Et le tout dernier plan dans l’œil de MAURA on voit le Triangle elle est dans une nouvelle simulation ou dans une simulation qui peux l’envoyer dans la saison 2 dans le passé le future.

Miss M

Des longueurs interminables à chaque épisode. Des effluves de Dark bien trop présentes un peu partout. Des personnages à peine développés. Un ensemble qui sent le déjà (trop) vu.
Oui il y a une belle photographie mais bon sang… qui sont ces gens qui pensent que le tout un chacun vit dans une salle de projection !!? Il faut carrément mater ça dans le noir total en journée pour espérer voir ce qui se passe à (plus que) plusieurs moments. Pour du Netflix ce n’est pas désagréable à regarder, loin s’en faut. Mais question originalité et tenue en haleine on repassera.

Marc sur le Prometheus

@kelso

A la fin du dernier épisode As tu remarqué dans l’oeil de Maura le triangle elle est donc dans une autre simulation. Est elle sur le vaisseau ou une autre simulation dans la simulation ? Cette série de 1899 est incroyable

Kelso

Attention SPOIL !!!

@Ben83

Je viens de terminer le dernier épisode et là je me dit mais c’est exactement pareil que pour Life On Mars US, exactement le même final ou presque, j’espère qu’ils n’ont pas peur de se prendre un procès sur le dos. je m’attendais à un truc dans le futur pour le final mais là c’est du copié-collé ils ont même osé mettre une chanson de David Bowie pour terminer, à ce niveau c’est soit un gros hommage, soit du plagiat.
J’avais beaucoup aimé Life on Mars US, et j’ai beaucoup aimé 1899, j’espère qu’elle aura une saison 2 pour avoir les quelques détails manquants à l’intrigue mais une troisième serait de trop je pense.

Neeves

o*g! Hyper nul!
Je me suis ennuyé tt du long…un calvaire!
Une daube! Et la fin oh pitié par pitié pas de 2e saison !

Ben83

Tiens, quand Life on Mars version US lâchait un twist qui était un écart bienvenu par rapport à son modèle brittanique lors de son final, on criait au nanar intersidéral mais avec les créateurs de Dark, c’est une idée de génie…

Kelso

Excellente première saison (je dois encore regarder le dernier épisode ce soir). j’ai regardé la série en version Française donc je ne savais pas que chaque personnage parlais sa propre langue, mais le couple de français c’est une catastrophe, on ne comprend rien à ce qu’ils disent, les mots sont machés, ils marmonnent, il n’y a pas d’intonations, alors que tous les autres personnages en vf pas de soucis. le seul point noir de cette série pour moi.

Grobeu

Grosse daube surjouée

Gwadalolo

Légers spoilers peut-être ? A vous de voir.

Vu avec plaisir ces 8 épisodes, néanmoins je suis tout autant curieux qu’inquiet pour la suite. Un partage a peu près égal entre une certaine admiration pour l’audace des auteurs, comme vous l’écrivez dans la critique, et l’impression que le château de cartes scénaristique risque à tout instant de s’effondrer sous le poids de ses références … Je ne suis toujours pas persuadé que ce ne soit pas une tentative maladroite pour cacher le côté vain (pour ne pas dire vide et creux) de l’entreprise.
D’ailleurs ça leur pendait déjà au nez avec Dark, mais Dark est tellement radicale et obsédée par son message nihiliste, que c’est cette radicalité même qui la rend finalement intéressante (plus que ce nihilisme incessamment rabâché, comme un objet de culte adolescent).
Enfin ici ils s’emparent d’un autre mythe philosophique, sauf que celui-ci sent déjà beaucoup plus le réchauffé. A partir d’un certain stade on sent venir le final à des kilomètres, et on sent aussi qu’un certain twist a été rajouté pour que ça ne ressemble pas comme deux gouttes d’eau à qui-vous-savez. Et au delà de l’intrigue, des personnages (trop peu développés), ils s’enferment dans les mêmes logiques, les mêmes limitations, et au final n’ont pas grand chose d’intéressant ou original à en dire non plus (pour l’instant du moins).