À la vie, à la mort
Cinéaste d’une intimité perpétuellement éclaboussée d’un soleil aride, Luca Guadagnino sous-tend à travers son oeuvre des inclinaisons singulièrement voraces. Adepte de l’exercice du remake ou encore de l’adaptation, le cinéaste italien dévore et prend soin de longuement mastiquer les récits pour mieux les modeler à son image. Avec une attention au détail méticuleuse et une sensibilité profonde pour les retors humains, ce dernier multiplie alors les discours relatifs aux aléas du désir et autres questionnements identitaires propres à l’inéluctable passage du temps.
Par le prisme de ce nouveau métrage, Guadagnino réemploie ces mêmes thématiques en vue d’en explorer un versant plus obscur. Un parti-pris surprenant pour les adeptes du poétique Call Me by Your Name qui trouve malgré tout son fondement dans la cinéphilie du cinéaste, ainsi que sa réadaptation du Suspiria de Dario Argento en 2018. Cet adorateur de Friedkin et Carpenter est donc loin d’être étranger au genre horrifique, dont il écule par ailleurs clandestinement les codes au sein de sa filmographie.
Cette tendance à l’hybridation se retrouve ainsi au coeur de Bones and All. À la croisée de multiples identités, empruntant simultanément au film de genre, au road trip, à la romance ou encore au coming of age, la volonté première du récit s’attache davantage à retracer le parcours initiatique de deux individus contraint d’évoluer en marge de la société qu’à révulser le spectateur. La volonté du cinéaste est ainsi largement rendue intelligible : en brouillant les genres, ce dernier cherche à faire valoir un contraste séduisant entre la nature et le traitement de son sujet.
La violence des pulsions cannibales que se partagent Maren (superbement interprétée par la jeune Taylor Russell) et Lee (Timothée Chalamet, impeccable) se heurte alors à la tendresse évidente avec laquelle la caméra de Guadagnino accompagne ces derniers. Les deux personnages oscillent alors entre le besoin de consommer et de se consommer, en proie à cet appétit indomptable qu’ils embrassent et fuient par intermittence.
Call Me by Your Cannibal Holocaust
« Ceci est mon corps, ceci est mon sang »
L’appétence de chair humaine dont fait état le film peut s’appréhender selon plusieurs grilles de lectures. Allégorie queer renforcée par la figuration de personnages marginaux au sein d’un cadre spatio-temporel bien précis (soit, une Amérique provinciale en pleine crise du sida sous le régime peu conciliant de Ronald Reagan), figuration des conflits intergénérationnels, ou encore revisite du film de vampire, les interprétations sont légion.
À l’instar de la métaphore proposée dans le savoureux Grave de Julia Ducournau, il est également possible de juxtaposer le cannibalisme aux bouleversements induits par le passage à l’âge adulte et à la découverte de la sexualité. L’abandon soudain de Maren par son père et la nécessité subséquente de partir à la rencontre d’une mère qu’elle n’a jamais connue sont autant d’éléments pouvant encourager le spectateur à traduire la démarche du personnage comme une recherche identitaire en période transitoire.
Les multiples images que peuvent évoquer les tendances anthropophages de Maren comptent toutefois moins que les tribulations intimes des deux protagonistes. Grignotages de mamies à part, Bones and All est avant tout le récit de deux individus en quête d’un autre auquel s’identifier. Le personnage de Taylor Russel s’efforce ainsi de découvrir ses racines tandis que celui de Chalamet, qui fuit désespérément les siennes, voit dans son périple une issue à sa solitude.
Leur virée routière et le mouvement perpétuel que sous-tend Guadagnino semblent ainsi plus réminiscents de La Balade sauvage de Terrence Malick qu’une odyssée relative à Hannibal Lecter. Sans aller jusqu’à prétendre que le métrage soit totalement dépourvu de séquences cannibales, la véritable faim dépeinte par le cinéaste se rapporte davantage au besoin dévorant de contact intersubjectif qu’à l’envie de manger les doigts de sa voisine. De fait, s’il fallait porter l’allégorie à son paroxysme, la réalisation de la romance entre les deux personnages peut se concevoir comme l’aboutissement anthropophage auquel le récit prétend donner la part belle.
Digestion difficile
La négligence de Guadagnino à réellement adresser un récit organique condamne cependant son métrage à souffrir moult lacunes narratives, jusqu’à friser le superficiel. Les différents attributs propres aux mangeurs ne sont par exemple jamais explorés par le cinéaste, pas plus que les codes qui semblent les régir. Ces diverses problématiques sont pourtant amenées par le film à plus d’une reprise, mais ce dernier semble plutôt disposé à se complaire dans la figuration qu’à se soucier d’approfondir sa diégèse.
Pourquoi les mangeurs sont-ils en capacité de se reconnaître les uns les autres par l’odorat ? Ces derniers appartiennent-ils à une espèce humanoïde distincte, comme le sont les vampires ou encore les loups-garous ? Sont-ils une sous-espèce de l’Homme à la manière des mutants de l’univers Marvel ? La transmission de ces pulsions s’opérant manifestement de façon héréditaire, sont-elles plus simplement dues à une pathologie génétique ? Autant de questionnements auxquels Bones and All, tristement, ne se donnera pas la peine d’éclaircir.
Le Chala-mullet est peut-être l’unique question digne d’être posée
Certes, la sauvegarde du mystère n’est pas un défaut en soi, et l’est encore moins dans le cas du registre horrifique. Le métrage ne pouvant toutefois réellement prétendre à cette appellation, la nébulosité autour des mangeurs enraye le processus d’identification du spectateur aux personnages, et l’empêche de se projeter réellement dans leur histoire. Ce dernier regardera donc d’un oeil impassible la relation entre Maren et Lee grandir maladroitement, ressenti aux antipodes de l’investissement émotionnel que suscitaient par exemple Elio et Oliver de Call Me by Your Name.
Du reste, le spectateur ne se sentira pas beaucoup plus convaincu par les personnages secondaires, si unidimensionnels qu’ils frôlent l’insignifiance. Seul le personnage auquel Mark Rylance prête (savamment) ses traits, Sully, se démarque péniblement de ce constat fatigué, avant d’être promptement relégué au banal statut d’antagoniste obsessionnel.
L’anesthésie émotionnelle que fomente le métrage est d’autant plus regrettable que les deux acteurs principaux exécutent très sensiblement leurs partitions respectives. Les dimensions esthétiques et sonores témoignent également d’un objet soigneusement aboutit par le cinéaste (en témoigne une séquence « de table » ou toute l’action, hors-champ, parvient viscéralement au spectateur par le son).
Ainsi, Guadagnino a peut-être cherché à subvertir l’horreur de son sujet en y privilégiant un accent romantique, mais, ce faisant, semble être passé à côté de quelque chose. Loin d’être l’expérience crue et organique promise, Bones and All se consomme donc plutôt comme un plat joliment dressé, mais trop fade en bouche.
« Grignotage de mamies mis à part », « le Chala-mulet est peut-être l unique question digne d être posée »…
Hahahahaha…magnifique.
J’adorerais que tous les gens qui commentent dirigent un film un jour, juste histoire de voir comment ils feraient un film irréprochable.
Complètement d’accord avec le résumé critique . C’est beau, on se fait doucement chier sans que ce soit désagréable et on oublie fissa tant on reste éloigné d’une quelconque émotion.
Moi j’ai l’impression que c’est chiant à mourir !!