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Asteroid City : critique du grand retour de Wes Anderson

Par Déborah Lechner
22 juin 2023
MAJ : 15 août 2023
16 commentaires

Le si singulier Wes Anderson est de retour en salles avec Asteroid City, un film déroutant et imprévisible qui renoue cependant avec la belle mélancolie du dandy texan qui manquait cruellement à The French Dispatch. Ce nouveau long-métrage avec notamment Jason Schwartzman, Scarlett Johansson et Tom Hanks n’est pas le plus accessible de sa filmographie, mais s’impose sans difficulté comme un des plus profonds et humains. 

Critique

carte D’IDENTITé

Depuis Moonrise Kingdom, chaque nouveau long-métrage signé Wes Anderson paraît plus « Wes Andersonesque » que le précédent, ce qui a permis au cinéaste d’atteindre une forme de ravissement avec The Grand Budapest Hotel, avant de tomber dans l’austérité avec The French Dispatch. Dans ce dixième long-métrage jusqu’au-boutiste, pour ne pas dire décourageant, le cinéaste a compilé toutes ses obsessions pour un rendu étourdissant, mais qui négligeait ce qui a toujours insufflé de la vie à ses modèles réduits en carton-pâte et de l’authenticité à ses personnages les plus artificiels : sa grande sensibilité.

The French Dispatch semblait donc prédire que l’univers bigarré de Wes Anderson allait se replier sur lui-même, comme si la symétrie et les couleurs pastel camouflaient la difficulté de se renouveler après avoir fait le tour de son art. Et à première vue, Asteroid City semblait bien parti pour poursuivre l’auto-caricature, entre ses allures de théâtre filmé, sa patine rétro, son jeu pince-sans-rire, sa multitude de personnages impossibles à caractériser, ses dialogues décousus et son intrigue cryptique compliquée à démêler.

 

Asteroid City : Photo Bryan CranstonPremière strate de la mise en abime

 

Comme attendu, Asteroid City est bel et bien une autre mosaïque de tous les motifs du cinéma d’Anderson, notamment visuels : travellings latéraux, compositions de plans maniaques, mise en valeur des maquettes, technique de stop-motion, changements des ratios d’images, inserts en noirs et blanc et costumes sophistiqués. Pour compléter le best of, le film revient également à des archétypes de personnages (adultes immatures et enfants surdoués), ainsi qu’à des habitudes de narration avec le narrateur de Bryan Cranston, une mise en abime et un découpage du scénario en trois actes qui poussent le détail jusqu’aux parenthèses dans les sous-titres français en guise de didascalies.

Fidèle à ses chimères, Wes Anderson propose ainsi un nouvel univers des plus cinégéniques, raffinés et exigeants, et réaffirme de fait un style ultra codifié et outrancier, mais pas irrécusable pour autant.

 

Asteroid City : Photo Scarlett JohanssonDernière strate de la mise en abime

 

ET L’HOMME CRÉA

En isolant les personnages, en les internant dans une ville miniature paumée au milieu du désert et placée en quarantaine militaire, ceux-ci se retrouvent symboliquement prisonniers des obsessions plastiques du cinéaste jusqu’à ce qu’ils en sortent par la force. Une façon de remettre en question son oeuvre et de bousculer ses certitudes, comme quand le film rejoue subtilement une scène entre Jones Hall et sa femme, qui n’était pas censée exister ou être gardée au montage.

Asteroid City, qu’on aurait cependant du mal à considérer comme une ville, n’est traversée que par une route unique. Les rails du train semblent l’encercler sans point de départ ni d’arrivée, le pont n’a jamais fini d’être construit et l’observatoire est littéralement placé au-dessus d’un immense trou millénaire. C’est un endroit vain, aussi dépeuplé qu’absurde, et l’intrigue n’est qu’un prétexte pour le remplir et l’animer. Mais dans quel but, sinon pour mieux confronter ses visiteurs à leur vanité et vie creuse ?

Dans cette triple mise en abime, le personnage de Scarlett Johansson est celui qui s’enlise le plus, l’actrice (formidable au demeurant) jouant une actrice de théâtre qui joue une actrice de cinéma qui se prépare à un nouveau rôle est coincée quelque part entre Marilyn Monroe et Audrey Hepburn. De quoi s’y perdre, et c’est bien tout le but.

 

Asteroid City : photoWelcome to nowhere

 

Les films de Wes Anderson nécessitent qu’on gratte leur vernis, qu’on torde leurs lignes parallèles et dérange leur ordre trop établi pour atteindre les noeuds des protagonistes, ceux-là mêmes, dans le cas d’Augie/Jones et Midge/Mercedes, qui redoutent de ne plus rien ressentir, de se noyer dans leur propre fiction sans pouvoir distinguer le réel et le concret.

Tous les deux se sont éloignés de l’essentiel pour se consacrer à leur travail (les images d’un côté et la performance de l’autre), mais comblent progressivement leur solitude et le vide autour d’eux, d’abord en se parlant d’un bout à l’autre d’une grande table, puis à travers les fenêtres de deux bungalows. Sans s’en rendre compte, ils créent cette fois quelque chose d’invisible, mais d’essentiel : le lien.

 

Asteroid City : photoLes plus beaux moments du film sont aussi les plus simples

 

Cette impasse et cet isolement qui paralysent et cet investissement qui rapproche pourraient là encore renvoyer aux aspirations de l’artiste, à son besoin irrépressible de créer à partir de rien, comme une boulimie artistique et professionnelle. Quitte à tourner à vide et prendre le risque de désintéresser le public par endroits, à l’image des terrains inoccupés que personne n’achète, comme des sièges de spectateurs inoccupés.

Asteroid City évoque donc en sous-texte les doutes et incertitudes liées à la création, qu’il s’agisse d’écrire des histoires (Edward Norton), de concevoir des décors (Adrian Brody) ou de transmettre des émotions (Scarlett Johansson). Le film se place des deux côtés du rideau, tandis que les personnages sont les fragments d’un seul ensemble, d’une même oeuvre qui s’écrit sous nos yeux, et contemple le vide face à la scène.

 

Asteroid City : Photo Scarlett JohanssonLe cadre dans le cadre, l’histoire dans l’histoire

 

l’inconnu

Dans Asteroid City, l’intrigue principale est contrariée dès le départ, quand le présentateur explique que cette pièce conçue spécialement pour l’émission n’a jamais été montée. Nous assistons donc à un spectacle sans fin. Mais le plus déroutant, ce sont les sous-intrigues qui elles aussi ne débouchent nulle part, que ce soit une relation amoureuse naissante ou la visite d’un extraterrestre. Les actes s’enchaînent de façon imprévisible, sans réelle cohérence ou finalité, ce qui n’empêche pas Jones Hall de chercher un sens à tout ça et de s’inquiéter de ne toujours pas comprendre la pièce. Ce à quoi un des personnages de l’envers du décor lui répond que ce n’est pas grave, que l’important est de continuer à raconter, à poursuivre la pièce même sans savoir où elle va.

Autrement dit, une métaphore très explicite de la vie elle-même. L’horizon, généralement synonyme d’avenir, est ici dérangé par des essais nucléaires et l’ombre d’une nouvelle guerre sur fond de course à l’espace. À cette appréhension concrète s’ajoutent les questionnements existentiels des personnages sur la mort, la vie après la mort et notre place dans l’univers.

 

Asteroid City : photoLe spectre d’une nouvelle inconnue

 

Comme une suite de wagons qui forment un train, ce questionnement sur ce qui se trouve au-dessus de nos têtes renvoie également les personnages à leur rapport tordu aux autres et à l’inconnu dont l’alien n’est qu’une incarnation.

Tomber amoureux, devenir ami, se révolter et se réconcilier : ce sont tous les fils rouges de l’œuvre d’Anderson et tout ce que les protagonistes n’auraient pas pris le temps de faire dans d’autres conditions. Et parce qu’il y a toujours quelque chose d’optimiste et de réconfortant dans les films de Wes Anderson, Asteroid City se termine sur la nécessité de tout simplement reprendre la route, de sortir de l’isolement, et de s’attaquer à un autre projet, quand bien même le précédent n’est pas parfaitement achevé. De quoi attendre avec enthousiasme son prochain moyen-métrage, La merveilleuse histoire d’Henry Sugar qui donnera probablement une nouvelle impulsion à sa filmographie.

 

Asteroid City : Affiche

Rédacteurs :
Résumé

Avec Asteroid City, les amoureux du cinéma de Wes Anderson n'en seront que plus transis, tandis que ceux qui ont moins d'affinités avec son style resteront plus à distance, mais auront au moins de magnifiques images pour faire passer le temps. 

Autres avis
  • Alexandre Janowiak

    Si Wes Anderson est toujours (et incontestablement) l'un des plus grands esthètes hollywoodiens modernes, son Asteroid City subit une structure narrative meta artificielle et tristement alambiquée gachant sa jolie mélancolie cosmique.

  • Antoine Desrues

    Le casting cinq étoiles de Wes Anderson s'amuse (et le communique) dans l'artificialité de ses décors somptueux. Reste qu'Asteroid City souffre d'un trop-plein de personnages, d'approches et de sous-intrigues, au point de déliter son sujet et son cœur mélancolique.

  • Geoffrey Crété

    La note d'intention d'Asteroid City (la mise en abyme, l'auto-portrait) est belle, comme le film. Dommage qu'elle écrase tout, à commencer par les personnages et l'émotion. Et sans ces "détails", le temps est long.

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Neji

Mise a part une mise en scène somptueuse, un esthétisme bien à lui.
C’est d’un ennui, trop de perso, trop de propositions d’histoire ou s’accrocher, parfois pas vraiment drôle ou risible.
J’avais tellement aimé le précédent French Dispatch était tellement original, la partie avec le peintre, celle avec le kidnapping.
La ça part dans tous les sens parfois c’est une chiantitude à suivre .
L’impression que l’astéroïde c’est nous qui arrivons dans son délire et on passe la moitié du temps a essayé de capté un truc, la magie n’opère pas.
Déception

Titou

le premier film que je vois de Wes Anderson, et je me suis bien amusé, pour moi c’est le digne successeur de WA décrivant son Amérique rétro et sucrée, bien à lui et souvent hermétique, mais ce qui le sauve c’est l’humour fantasque qui sort par toutes les coutures.

avolo

Je crois bien ne rien avoir compris, la narration est fatigante, alourdit réellement le film et m’a posé un problème de compréhension. Quel est le message de ce film ? Ne cherchons pas. Des personnages qui ne servent à rien. Des caricatures même pas drôles. Des super acteurs qui n’ont aucun vrai rôle… C’est ça le cinéma américain actuel ? J’espérais passer un bon moment, je me suis vraiment ennuyée.

Eusebio

Ah ben alors c’est marrant parce que toutes les qualités décrites en préambule, je les attribue volontiers à The French Dispatch (qui m’a fait décoller, j’ai pas décroché une seconde). Et tous les défauts attribués au précédent, je les associe à Asteroid City. Pour moi, c’est vraiment celui-là qui est « jusqu’au boutiste, décourageant », et sans grande sensibilité. Un manège qui tourne à vide, des personnages aussi paumés que nous, une mise en abîme niveau CP (une actrice qui joue une actrice qui travaille son texte, du jamais-vu) et un terrain de jeu Playmobil avec une faiblarde utilisation de l’espace. Quelques bonnes idées de mise en scène (l’apparition dans le cratère, un régal), mais ça ne sauve malheureusement pas le film…

Chris11

Pas aimé. Et le premier du réalisateur où je me suis clairement ennuyé, pour rester poli.
Les acteurs, l’ambiance, la mise en scène, les tons pastels, tout est là. Mais ça ne marche pas, et ça manque cruellement d’un peu de folie, d’absurde cartoonesque comme dans La vie aquatique ou The Grand Budapest Hotel. J’avais bien aimé The French Dispatch malgré une première baisse constatée de la magie.
Et non, les passages en noir et blanc tout au long du film n’apportent rien.

Gaow

J’adore quasiment tout ce que Wes Anderson a Faut, Mais déjà son dernier film (the French dispatch) avait un je ne sais quoi qui n’y était plus et avec ce dernier film, c’est clair qu’il n’y a plus de magie. On s’emmerde et le film est oublié sitôt sorti de la salle, quel gâchis

Jaep

Jason S est l’un des acteurs comique les plus surcoté de sa generation… Il ne m’a jamais fait sourire.
On se moque de son cousin Nicolas C , mais ce dernier possède un indéniable talent Une sorte de tempo comique qui lui fait bouffer la scène au détriments des autres acteurs, et celà meme s’il joues dans des navets.
Les rares bons films de Jason sont soit ceux de son pôte Anderson, soit ceux de sa famille…

Dario 2 Palma

Le cinéma art du mouvement manque terriblement à cette oeuvre figée, désincarnée , verbeuse et creuse qui accumule les personnages et les cadres sans vie. Wes Anderson se révèle incapable d’insuffler de la légèreté et de la fantaisie à cet ASTEROID CITY autiste, asphyxiant et soporiphique.

captp

Deborah, l’étoile d’écran large qui montre le chemin vers la lumière aux brebis égarées avec leurs 3 ou 2.
Merci <3

Ano

Même au sein de la rédaction c’est divisé, c’est ouf