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Cash : critique du Scorsese français de Netflix

Par Eden David-McCrann
6 juillet 2023
MAJ : 22 mai 2024
6 commentaires

Après avoir gagné ses galons dans la publicité et la réalisation de clips musicaux, Jérémie Rozan a fait ses premiers pas dans la fiction avec la série Netflix La Révolution. Trois ans plus tard, il fait son retour avec son premier long-métrage, intitulé Cash. Celui qui a mis en scène des spots pour Luis Vuitton et Givenchy se sert ici de cette expérience pour raconter l’histoire d’un vol organisé au sein d’une usine de distribution de parfums. 

critique

Cashédrale 

Dévoilé il y a peu par une bande-annonce surprenante, ce projet inattendu s’inscrit dans un genre très courant aux États-Unis ou en Angleterre, mais assez rare en France : la comédie policière de gangsters et de braquage. Plutôt que de se positionner en pâle copie de ces équivalents anglophones le film a cependant la bonne idée d’assumer pleinement son cadre hexagonal en faisant de l’industrie du parfum de luxe la cible des vols, et en situant son récit à Chartres.

Le héros insiste régulièrement sur l’ennui profond dans lequel sont plongés les habitants de la ville, où il ne se passe rien et où les opportunités se font rares. Une idée reçue que le réalisateur Jérémie Rozan et son directeur de la photographie Mathieu Plainfossé déconstruisent habilement grâce à une mise en scène pleine d’énergie et de bonnes idées. Si ce contraste parvient à convaincre, c’est justement parce qu’il réussit le plus important : les séquences de vol en elles-mêmes, où on ressent plus qu’ailleurs dans le film l’influence décisive du style de Martin Scorsese, version Casino ou Le Loup de Wall Street.

 

Cash : photoBraquage à la française

Un découpage excitant – travellings assez virtuoses, ralentis et accélérés, plans subjectifs, arrêts sur image, brèves reconstitutions de spots publicitaires – et le montage effréné de Virgine Bruant – succession rapide de coupes, rythme musical – font en effet de ces scènes d’escroquerie dans l’entrepôt les meilleurs moments du film. De plus, les images sont toujours accompagnées par une excellente bande-son, très hétéroclite : la musique originale de David Sztanke se joint au reggaeton de Yellowman, au hip-hop marseillais de Jul et de Bouga, à la rumba des Gipsy Kings ou encore à la soul de Booker T. and the M.G.’s. Une influence scorsesienne également présente via la voix off de Daniel Sauveur, le héros campé par Raphaël Quenard, qui rappelle les monologues constants d’Henry Hill dans Les Affranchis

Et Cash est justement porté à bout de bras par le charisme de son acteur principal. Sa performance et le scénario font de Sauveur un personnage complet et intéressant, grâce à ses multiples facettes. Jérémie Rozan parvient ainsi à rendre plutôt attachant un escroc totalement antipathique. On sent en effet une vraie tendresse à l’égard du personnage, malgré ses ambitions financières et sa bêtise parfois confondante. Mais l’omniprésence de Sauveur, dont on adopte toujours le point de vue, fait finalement souffrir le film.

 

Cash : photoRaphaël Quenard est le meilleur aspect du film

 

Rends l’argent

En effet, même si c’était une bonne idée d’exploiter son timbre si particulier, la voix off de Quenard est peut-être le plus gros défaut du film. Vraiment redondante, elle ne fait que nous redonner des informations déjà visibles ou superflues. Se dégage l’impression que Rozan n’a pas assez confiance en sa mise en scène, ou ne croit pas aux capacités de compréhension du spectateur. C’est donc ici plus une béquille qu’un réel outil narratif. Et c’est bien dommage, car les séquences de vol auraient assurément été encore meilleures sans. De plus, l’omniprésence de sa voix relègue encore plus les autres personnages au second plan. 

Tous les complices introduits rapidement ne possèdent en général pas assez de caractéristiques particulières pour être vraiment marquants. La plupart d’entre eux n’ont justement le droit qu’à une saynète ou à une réplique ; si ces pastilles sont toujours amusantes, elles restent superficielles et ne mènent à rien. Par exemple, la mère, l’oncle et le meilleur ami de Sauveur, qui sont pourtant ceux pour qui il décide de voler, disparaissent rapidement du récit ou ne sont jamais développés outre mesure. Tout occupé qu’il est à nous impressionner par ses effets de style, le film perd de vue les motivations de ces personnages.

 

Cash : photo Des seconds couteaux hauts en couleur, mais qui manquent de profondeur

Le plus frustrant dans cette galerie d’anonymes, c’est le rôle accordé à l’incroyable Agathe Rousselle, révélée par Titane. Reléguée au rang de love interest, elle n’a ici pas grand-chose à se mettre sous la dent. Son histoire d’amour improbable avec Sauveur manque cruellement d’intérêt : après de premiers émois assez peu crédibles, cette intrigue est vite oubliée, et le film ne sait clairement pas quoi faire du personnage. Ainsi, elle est totalement absente lors du troisième acte.

Le seul autre à posséder un véritable arc narratif, c’est Patrick Breuil, joué par Antoine Gouy. Les questions qui le taraudent – son héritage, le poids de ses responsabilités, sa volonté de se défaire de l’œuvre de son père – sont pertinentes, surtout puisque tout l’oppose à Sauveur, qui a lui grandi sans père. Mais finalement, ces thématiques sont mises de côté pour laisser place à une banale intrigue de boulevard : c’est le fait de se faire tromper par sa femme qui motivera toutes ses décisions. 

 

Cash : photoDommage, le potentiel d’Agathe Rousselle n’est pas exploité 

 

Babylone, Centre-Val de Loire

Même si le retournement de situation final est plutôt inattendu et bien trouvé, le commentaire politique reste dans l’ensemble assez caricatural. Le film ne parvient jamais tout à fait à trouver l’équilibre entre film social et comédie insolite, et n’atteint finalement jamais l’excellence dans ces deux genres. Ainsi, même si le film est très divertissant et bien mis en scène, on se retrouve à la fin avec cette étrange impression de ne pas bien savoir ce que Jérémie Rozan a voulu nous raconter.

Tout l’enjeu du film pour les ouvriers de Chartres, c’est de se défaire de l’emprise sociale et économique de Breuil & Fils. Mais finalement, quand un happy end récompense ses efforts, le héros décide de fonder une entreprise tout à fait similaire. Le monopole sur l’industrie de la distribution de parfums serait donc louable, à condition de l’avoir obtenu par escroquerie et non par héritage ? Pour un film qui s’ouvre par un dialogue sur les canons qui abattent le capitalisme et les murs de Babylone, cette morale méritocrate est assez curieuse.

Cash est disponible depuis ce 6 juillet 2023 sur Netflix en France

 

Cash : photo

Rédacteurs :
Résumé

Avec Cash, le réalisateur Jérémie Rozan signe un premier film très divertissant, soutenu par une mise en scène énergique et soignée. En revanche, la performance charismatique de Raphaël Quenard ne parvient pas à élever des personnages secondaires superficiels et des intrigues trop clichées.

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slt

Et aucune allusion sur la musique de John Carpenter? Cela doit être mes oreilles alors…

https://www.youtube.com/watch?v=6u6laxQXWjQ

New York 1997 / Escape from New York

https://www.youtube.com/watch?v=cFc3ewOIemc

aguste flastair

Ce film est une arnaque. Une succession de clichés. Les personnages sont inexistants. l’acteur principal n’a aucun intérêt. Je ne comprends pas ce qui permet de faire référence à Scorcese ici.. Quelle rigolade ! Le scénario est incompréhensible, les personnages sont bâclés. Le seul intérêt : les décors mais ils sont filmés avec une truelle. Là où Ocean 11 avait de la classe, ici c’est vulgaire. Dommage.

Gros biscuit

Si, il l’est

https://www.ecranlarge.com/films/1483091-sound-of-freedom

Mais je suppose que ta question n’est pas anodine vu le bord politique du site. D’après plusieurs medias (gauche évidemment) il est taxé de complotiste, qanon etc

Et les qanons / complotistes qui crient au complot des élites de tout bord (politique, journaliste etc) d’étouffer ces scandaleux enlèvements d’enfants…

emma.22

Cela rappelle quand même vachement le film de 2008 portant le même titre.

petitbiscuit

Ssinon je viens de voir qu’il y a un film de Jim Cazaviel qui vient de sortir, j’étais pas au courant et de plus en plus de monde en parle: Sound Freedom.

C’est quoi le problème avec ce film? Il n’est même pas référencé chez Ecran Large.

cinémascope

« du Scorsese français »
rien que ça !
rêvez pas