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On dirait la planète Mars : critique de la contre-conquête spatiale

Par Mathieu Jaborska
2 août 2023
MAJ : 24 novembre 2023
9 commentaires

Récompensé du prix du Jury au festival de science-fiction des Utopiales 2022, On dirait la planète Mars nous propose pourtant de visiter la planète rouge… tout en gardant les pieds sur terre. Et c’est tout l’intérêt de la touchante comédie réalisée par Stéphane Lafleur, interprétée par les géniaux Steve Laplante et Larissa Corriveau.

critique

Le dernier viking

En 1975, la NASA, au terme d’un développement onéreux et dans le prolongement des résultats prometteurs des missions Mariner, lançait la sonde Viking. Objectif : poser un robot sur Mars qui prendrait des photos, sonderait la topographie de la planète et tenterait bien sûr de détecter une forme de vie. C’était un défi technique énorme, l’exploration interplanétaire étant encore à ses balbutiements, et bien entendu une manche clé de la course à l’espace contre l’Union soviétique, remportée haut la main par l’Oncle Sam.

Aux Utopiales, c’est exceptionnellement Roland Lehoucq, président du festival, mais aussi astrophysicien et vulgarisateur de métier, qui est venu présenter Viking – depuis renommé On dirait la planète Mars – explicitant la comparaison avec la mission du même nom. Car l’une des inspirations du cinéaste Stéphan Lafleur est bien à chercher du côté de la NASA. C’est en visionnant un documentaire sur la conception des programmes Voyager, lancés quelques années après, qu’il a appris que les techniciens de l’agence américaine construisaient une copie conforme de certains appareils sur Terre afin de reproduire d’éventuels problèmes extraterrestres et tâcher de les résoudre concrètement, en direct.

 

On dirait la planète Mars : photoSeul sur Mars

 

Fasciné par la Mars Society, organisation ayant pour but de promouvoir la colonisation martienne, par le biais du photographe Vincent Fournier, il a alors imaginé un équivalent… pour une mission habitée. Et si la NASA décidait d’enfin envoyer des astronautes fouler le sol martien, et qu’elle reproduisait en parallèle la station dans un désert pour pallier ses éventuelles dysfonctions ? Étant donné le temps nécessaire à un tel aller-retour, les dysfonctions en question seraient plus sociales et psychologiques que technologiques.

D’où le pitch incongru, mais hyper malin du film, qui invente une société canadienne, Viking, chargée de sélectionner des profils similaires à ceux des astronautes propulsés dans l’espace et de les enfermer ensemble simultanément à la mission, pour observer leurs comportements. Une épopée spatiale low cost, où tous les protagonistes doivent jouer les rôles qu’ils convoitent, en somme. Une épopée dans laquelle s’embarque David, un anonyme passionné de conquête spatiale.

 

On dirait la planète Mars : photo, Steve LaplanteDavid Goodenough

 

Les figures de l’ombre

C’est justement en restant dans l’ombre d’une aventure dont on ne percevra que des comptes-rendus que le réalisateur et son co-scénariste Eric K. Boulianne tirent leur épingle du jeu des (nombreux) films sur la conquête spatiale. Ils relèguent la science-fiction et ses grandes figures hors champ, remplaçant les paysages spatiaux par des décors minimalistes perdus dans un désert pas si inhabité, d’une beauté autrement plus terre-à-terre, dépeinte par la mise en scène subtile de Lafleur et la photographie de Sara Mishara.

Bien évidemment, c’est dans ce décalage entre l’étoffe fantasmée des héros invisibles et les maladresses de nos monsieurs et mesdames tout le monde que le scénario puise en grande partie son humour pince-sans-rire. Difficile d’émuler le stress et les relations d’une équipe d’astronautes surentrainés avec une bande de quidams ordinaires qui vont devoir passer outre leurs propres problèmes dans une boite de conserve paumée au milieu de nulle part.

 

On dirait la planète Mars : photoSeuls sur Mars

 

Cela lui impose toutefois de reposer très largement sur ses comédiens et plus précisément sur le duo principal formé par Larissa Corriveau et Steve Laplante. Heureusement, ils sont excellents. La première, apparue dans Polytechnique, mais surtout connue pour son rôle dans Repertoire des villes disparues, apporte la touche d’irrévérence qui permet au récit d’évoluer en permanence, malgré le huis clos. Le second était déjà excellent en quarantenaire dépassé dans le très drôle Babysitter de Monia Chokri. Il pousse ici ce personnage dans d’autres retranchements, tiraillé entre ses sentiments et sa dévotion à sa mission.

Car grâce à l’humour puis, in fine, au drame, cette contre-histoire de l’exploration de Mars évacue les artifices techniques pour se concentrer sur le facteur humain de la conquête spatiale. Très vite, il faut se rendre à l’évidence : si cette histoire est si absurde, c’est justement parce qu’on ne peut pas soumettre les affects aux lois des mathématiques. On dirait la planète Mars s’attaque ainsi avec sagacité au paradoxe de la conquête des étoiles : la soif d’exploration humaine est à la fois son moteur… et sa principale limite.

 

Viking : photo« Sus ! »

 

Actor studio

Ironiquement, il en arrive plus ou moins à la même conclusion qu’un documentaire projeté l’année précédente aux Utopiales, Spaceship Earth de Matt Wolf, qui relatait l’histoire assez dingue de Biosphère 2, le projet de plusieurs volontaires s’enfermant plusieurs années dans un écosystème en vase clos. Là aussi, l’expérience partait gentiment à vau-l’eau, la faute aux limites matérielles de l’entreprise et surtout aux subtilités de la personnalité des participants. Au point de les pousser à s’arranger un peu avec la réalité pour sauver les apparences…

Ainsi, en filigrane, se dessine un parallèle avec le métier d’acteur, lui-même tiraillé entre la noblesse de personnages qui resteront – qu’ils soient de vraies figures ou pas – fictionnels et l’identité de ses pratiquants, laquelle pourrait bien affecter leur performance. Les différentes approches de la comédie sont depuis des lustres au coeur de débats très sérieux entre plusieurs écoles, mais On dirait la planète Mars parvient à s’immiscer au milieu sans se départir de ses doux sarcasmes et de la banalité touchante de ses héros du quotidien, comme pour nous inviter, pauvres hères qui n’auront jamais la chance ou l’argent de voir les étoiles de plus près, à s’imaginer astronautes de temps à autre.

 

On dirait la planète Mars : photoUn petit stylo pour l’Homme…

 

À l’instar de la machine à fantasmes hollywoodienne, qui aurait elle le budget pour mettre en scène l’expédition martienne, les missions de la NASA sont des sources d’inspiration douces-amères pour les gens normaux qui se rêvent en tête d’affiche.

Et bien que parfois considérée comme une succursale de ses voisins américains, dépourvue des moyens nécessaires à la consécration de l’héroïsme total des blockbusters qui colonisent les multiplexes, l’industrie du cinéma canadienne a au moins pour elle des protagonistes auxquels les spectateurs peuvent s’identifier, condamnés à faire la part des choses entre leur admiration pour l’extraordinaire et leur vie ordinaire.

 

On dirait la planète Mars : Affiche

Rédacteurs :
Résumé

Grâce à son concept malin, On dirait la planète Mars reste dans l'ombre de la conquête spatiale, et y explore ses composantes humaines, aussi drôles que touchantes.

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Commentaires
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JPB

En tant que Québécois et regardant, de ce fait, beaucoup d’films québécois, c’est un des meilleurs films québécois qu’j’ai vus depuis…

Ano

Très bonne surprise, avec un concept génial qui se tient sur toute la durée du film.

Drexel

On dirait la série Moonbase 8 (avec John C. Reilly)…

JohnBarry

Merci messieurs pour cette réponse collective d’une précision horaire remarquable 🙂

(grillé par Geoffrey)

Geoffrey Crété

PS : vous voyez, on prend tellement cette question au sérieux qu’on a répondu à deux, en même temps, sans faire attention

Geoffrey Crété

@JohnBarry

Aucune provocation, votre question est logique et importante. On en parle sans problème, et le fonctionnement des partenariats est affiché sur le site, ici :

https://www.ecranlarge.com/partenariats

Pour faire simple : notre avis n’est pas à vendre.
1) on aime le film
2) on a envie d’être partenaires pour sa sortie
Ce n’est jamais dans l’autre sens. Sinon, je peux vous assurer qu’on aurait bien plus d’argent et qu’on serait partenaires de 15 films par mois.

Donc : peut-on se fier à l’avis de Mathieu ?
Oui et non, dans le sens où pour nous, notre job n’est pas de dire aux gens quoi voir, penser, aimer. On partage nos avis, on propose des pistes de réflexion, on parle avec nos émotions et notre subjectivité, et on recommande toujours aux gens de se faire leur propre avis, pour débattre.

En revanche, l’avis de Mathieu ici est tout aussi sincère que lorsqu’il aime un film dont on n’est pas partenaires.

Alexandre  Janowiak

@John Barry

Question tout à fait légitime si nos partenariats étaient fixés-établis-signés avant de voir les films en question. Mais nous fonctionnons justement dans le sens inverse, proposant un possible partenariat (ce qui est plus communément appelé contenu sponsorisé) si nous avons aimé le film en question.

Le déroulé des étapes est détaillé en quatre points (synthétiques) ici : https://www.ecranlarge.com/partenariats

Comme indiqué dans la critique, nous soutenons le film depuis novembre 2022 (comme le prouve cette article : https://www.ecranlarge.com/films/news/1456209-ultraman-viking-les-cinq-plus-belles-decouvertes-des-utopiales-2022 ). Autant dire qu’on n’a pas attendu d’avoir un partenariat avec ledit film pour en dire du bien.

En espérant vous avoir éclairé

Prisonnier

Sponsorisé ou pas j’adore l’affiche et le pitch est cool. Je lui donnerais bien sa chance. Au film hein. Pas au rédacteur

JohnBarry

@的时候水电费水电费水电费水电费是的 Mathieu Jaborska et la rédaction

Question sérieuse (et en aucun provocatrice ou « trollesque ») : je sais bien que la critique est subjective mais peut-on se fier à l’avis positif d’un rédacteur, alors que ce même rédacteur a lui-même rédigé un contenu sponsorisé sur ce film quelques jours auparavant ?