KaurismÄki mode d’emploi
Aki Kaurismäki a toujours usé du cinéma pour étudier les relations humaines. Dans Les ombres au paradis, il étudiait la relation entre un éboueur et une vendeuse de supermarché. Dans J’ai engagé un tueur, Jean-Pierre Léaud était un homme licencié de sa société qui rencontrait l’amour au bord de la mort. Depuis près de 40 ans, le cinéaste finlandais propose un cinéma social et amoureux, dont la tragi-comédie Les feuilles mortes est le petit précis.
Le chouchou de la presse internationale s’est toujours employé à mettre ses personnages dans des situations précaires et absurdes pour tenter d’en tirer une analyse comportementale. Le cinéaste se mue en scientifique et fait de son plateau un laboratoire. Les feuilles mortes ne déroge pas à la règle et, au contraire, synthétise l’œuvre d’un réalisateur à la patte identifiable entre mille. Obsession du cadre, mélancolie maladive, amour salvateur : Kaurismäki nous emmène en terrain connu.
Dans Les feuilles mortes, les personnages sont des objets d’étude, des êtres dont on dissèque le comportement. Ansa et Holappa sont deux âmes solitaires au cœur d’un Helsinki dans lequel tout espoir est interdit. L’une a cessé de croire en l’amour et pense que les porcs valent mieux que les hommes, l’autre n’y croit pas non plus et noie son chagrin dans l’alcool.
Les feuilles mortes, ce sont eux : ces âmes errantes qui suivent le sens du vent sans pouvoir lutter, trébuchant sur le chemin d’une histoire qui pourrait bien se transformer en amour. Au cœur d’une ville qui semble leur vouloir du mal, les deux personnages n’ont plus la volonté de se battre. Kaurismäki a transformé Helsinki en désert de mélancolie dans lequel les rêves ne sont plus permis.
Cristalliser la tristesse
Et comme souvent, les protagonistes de Kaurismäki se créent eux-mêmes des barrières, en plus de celles imposées par la société contemporaine. Ansa et Holappa refoulent leur dépression et refusent de la traiter. Les deux enchaînent les petits boulots et les salaires ridicules. Ils se lèvent pour aller au travail sans savoir pourquoi – certainement pas pour leur salaire misérable. Pourtant, malgré ce triste portrait de notre époque, Kaurismäki préfère le comique au dramatique, faisant des péripéties des personnages un enchainement de gags absurdes et hilarants.
« — Je suis déprimé parce que je bois. – Mais pourquoi tu bois alors ? – Parce que je suis déprimé. » C’est sur ce principe de cercle vicieux que le cinéaste finlandais base son long-métrage, entraînant ses personnages dans une boucle de tristesse. Kaurismäki enlève la couleur de son cadre et privilégie un gris morose et sale. Il y ajoute une radio annonçant d’horribles nouvelles venues d’Ukraine (la Finlande partage plus de 1 000 kilomètres de frontières avec la Russie).
Pour rejeter ce cocktail de déprime, il fallait un coup de foudre. Dans un karaoké d’Helsinki, l’homme croise le chemin d’Ansa et développe immédiatement des sentiments pour l’ancienne vendeuse de supermarché. Ancienne, parce qu’elle a été licenciée pour avoir voulu donner à un mendiant des produits qui seraient de toute façon partis à la poubelle.
Contre cette déshumanisation la plus totale, il n’y a que l’amour. Un amour laconique, qui privilégie le pouvoir du regard et des petites attentions à celui des mots. Mais Kaurismäki isole ses protagonistes, qui malgré leur bonne volonté se retrouvent tour à tour seuls dans un cadre qui pourrait contenir deux corps. Une chaise occupée, l’autre vide. Des personnages qui se cherchent sans jamais se croiser, alors que le spectateur observe, impuissant, les deux points de vue.
Et même lorsque les personnages se rencontrent, ils n’occupent pas totalement l’espace : l’asymétrie des plans traduit la maladresse d’Ansa et Holappa, bien meilleurs en tristesse qu’en amour. Dans Les feuilles mortes, les protagonistes se battent contre un adversaire invisible : la caméra de Kaurismäki. Un tunnel de malchance et de chaos. Pour en sortir, une seule solution : la rébellion.
Quand ça va pas, y’aura toujours le cinéma
les noces rebelles
Dans son récit optimiste (voire utopiste), le cinéaste fait de l’amour un rempart contre la mort et l’ennui. L’amour de l’autre et de l’art : le cinéma et le karaoké sont les seuls lieux où les rêves sont possibles. C’est ici que le quotidien cesse de harceler, que l’espoir prend le pas sur le désespoir. Le réalisateur en profite pour multiplier les clins d’œil.
Parce qu’au milieu des regards et des petites attentions qu’il capte avec une caméra jamais intrusive, Aki Kaurismäki nous expose un panel d’influences cinématographiques. La petite salle du quartier passe Le Mépris de Godard, Rocco et ses frères de Visconti… et le très douteux The Dead Don’t Die, dont l’après-séance est parsemée de blagues cinéphiles hilarantes. Avec sa programmation éclectique traversant les époques, ce cinéma devient un refuge, un espace hors du temps.
La rébellion commence au cinéma. Après leur premier rendez-vous, Ansa et Holappa multiplient les gestes inhabituels pour survivre et laisser l’amour l’emporter. L’une achète une seconde assiette et une minuscule bouteille de champagne, l’autre vole des fleurs et tente d’arrêter l’alcool. L’appartement d’Ansa, unique espace coloré du long-métrage, réchauffe le cœur et souligne la possibilité d’un avenir à deux.
Dans Les feuilles mortes, la présence d’Aki Kaurismäki se fait ressentir à chaque moment. Le réalisateur est presque déifié et crée des situations toujours plus grotesques pour ses personnages qui, même lorsqu’ils s’apprêtent à se prendre en main, voient un mur scénaristique les frapper et manquer de peu de les tuer. Mais contre la fatalité du destin, le cinéaste nous rappelle que l’amour est une bonne raison de croire en un meilleur lendemain.
[SPOILER]
J’ai été charmé par les deux premiers tiers du film qui, un peu à la manière de Punch-Drunk Love, est une comédie musicale sans numéros musicaux (à part la scène du karaoké bien sûr). Malheureusement, j’ai trouvé que la fin gâchait tout en abandonnant le réalisme pour devenir une ré-interprétation sans subtilité ni poésie de La Belle au bois dormant. Pareil pour ce dialogue final qui nous révèle que le chien s’appelle Chaplin, comme si le réal nous prenait soudain par la main pour dire « T’as compris ? En fait c’est un hommage au cinéma. » C’est comme expliquer une bonne blague après l’avoir dite, la blague est toujours drôle mais l’effet en est gâché.
J’adorerai rencontrer cet auteur car il est unique. Ses prises de vues à la Edward Hopper, cette solitude des êtres si bien filmée, ses cadrages dignes des grands peintres et cette direction artistique, tellement puissant !
Ses acteurs, ou plutôt ces gueules qui gardent les silences, les poses figées, ce mutisme souvent et cette capacité à n’être rien d’autre qu’un renoncement à toute forme d’espoir, à tout dialogue, à la vie elle même. Alors il n’y a pas d’effets spéciaux, pas d’acteurs connus, sûrement pas le budget des grandes productions mais c’est justement dans ce dénuement nécessaire que Kaurismaki nous saisit et nous émeut avec ses laissés pour compte. Son cinéma est sans artifice, en prise avec les vrais conflits intérieurs, la dureté de leur vie. Certains n’ont pas aimé le film d’après les commentaires mais c’est normal, ce cinéma est très particulier et sa beauté n’a pas l’ambition de séduire les habitués aux films commerciaux tapageurs. Celui-ci est en finesse, en vérité, en émotions et croyez-moi on y rit aussi beaucoup ! Vraiment du beau, du grand cinéma, une grande signature, monsieur Kaurismaki !
Déprimant et plus…
Mais…bien joué.
Sinistre!
Je sors du cinéma : franchement c’est une belle surprise. Des couleurs sublimes, une histoire fascinante, un arrière-plan de galère sociale (et plus loin de guerre), une histoire d’amour je-t-aime-moi-non-plus. Evidemment ça n’est pas un chef d’oeuvre qui va changer des vies, mais j’aime qu’on nous propose un cinéma de qualité où tout est travaillé, dosé, juste, où les paroles et les images disent juste ce qu’il faut.
Un film pas désagréable mais désespérément quelconque, déjà fait ailleurs et en mieux. Étonnant de voir toutes ces éloges et le prix d’y jury pour ça. On dirait un film d’étudiant, mais un étudiant boomer. Dommage car j’en attendait beaucoup.
Kaurismaki c’est l’oncle de la famille , un peu pété, un peu seul
toujours déprimé mais avec une once d’humour désespéré
15 min après la fin de ce film on aura tout oublié…pas grave l’oncle K reviendra
& recommencera encore & encore …
Je vais enfin au cinéma
@morcar
T’es sérieux ? La VF ?
Très bonne surprise ce film. Je découvre le réalisateur avec cette sortie et je vais à l’avenir découvrir le reste de sa filmo car j’ai beaucoup aimé.
Merci pour votre article qui m’a permis de ne pas passer à côté de ce petit bijou ! Vu hier dans un ciné d’art et d’essai : un régal.