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Ça tourne à Séoul ! – Cobweb : critique dans la toile

Par Mathieu Jaborska
8 novembre 2023
MAJ : 11 novembre 2023
3 commentaires

En 2018, le cinéaste coréen Kim Jee-woon essuyait, selon ses propres termes « l’échec le plus cuisant de sa carrière », avec son adaptation de Jin-Roh. Peut-être le choix de revenir à ses premières amours comiques et de s’attaquer directement à l’industrie du cinéma est-il une manière de tourner la page. En tout cas, il lui a valu une sélection au Festival de Cannes et désormais une sortie en salles en France. Ça tourne à Séoul !, ex-Dans la Toile, ex-Cobweb, fascinera les inconditionnels du réalisateur de J’ai Rencontré le diable et de son célèbre acteur Song Kang-ho.

: critique dans la toile

Kim possible

Ça tourne à Séoul ! arrive à point nommé dans un circuit de distribution mondial qui a désormais largement incorporé le cinéma coréen dit de genre. Aujourd’hui, les bacs de DVD et les multiplexes accueillent régulièrement thrillers vénères et parfois même des blockbusters locaux. En racontant l’industrie coréenne atypique des années 1970 par le biais de la comédie, Kim Jee-woon dévoile à son public (qu’il sait en partie occidental) un cinéma qu’il méconnait, celui de son pays avant son exportation et même le sien avant son premier gros succès international.

En effet, le cinéaste fait partie du trio qui a révélé le cinéma coréen au monde en l’espace de quelques mois. En l’an de grâce 2003, Bong Joon-ho sortait son magistral Memories of Murder, Park Chan-wook triomphait à Cannes avec Old Boy et lui avait l’honneur de présenter pour la première fois un film produit dans la péninsule sur les écrans américains, l’excellent 2 Soeurs. Un triple coup d’éclat qui est devenu pour beaucoup l’an 0 de cette salve injustement surnommée « nouvelle vague » (la vraie ayant plutôt déferlé à la fin des années 1980 et au début des années 1990).

 

Ça tourne à Séoul ! - Cobweb : photoLa nuit coréenne

 

Or, avant 2 Soeurs, il avait déjà réalisé deux très bonnes comédies, The Quiet Family (depuis sorti en vidéo chez nous) et Foul King (visible dans la ressortie du moment). En revenant à l’humour pur, bien que moins glauque, il attire l’attention sur la production coréenne pré-2003 et donc sur l’histoire trouble du 7e art dans son pays, particulièrement complexe au sein des années 1970. À cette époque, le régime autoritaire exerce une censure brutale et faire de l’art exige d’accepter des compromis… ou l’intrusion du chaos.

En d’autres termes, il nous renvoie aux tumultes artistiques qui précèdent la machine bien huilée de l’industrie coréenne. Et sa thèse, qui lui est venue en plein confinement, n’a rien de bien étonnant venant du metteur en scène de A Bittersweet Life : dans ce gigantesque bordel technique, politique et diplomatique qu’est un plateau de tournage, il faut foncer envers et contre tout. En rappelant les difficultés rencontrées par les auteurs de l’époque, il souligne que lui et ses homologues doivent leur succès à une persévérance plus qu’utopique, la même pouvant, selon lui, triompher du marasme dans lequel nous a plongés la pandémie, autre évènement social et politique majeur qui a bouleversé la manière de faire des films.

 

Cobweb : photoUn joli noir et blanc pour les scènes filmées

 

That 70’s show

Cobweb (titre sous lequel il a été projeté à Cannes) semble donc né d’une volonté de revenir, après l’échec critique et financier d’Illang, à ses véritables motivations en tant que réalisateur, celles auxquelles il s’accrochait avant que 2 soeurs n’en fassent une superstar des amateurs de trouille et de violence. Il se concentre sur Kim Ki-Yeol (Song Kang-Ho, excellent comme d’habitude), réalisateur raillé par la profession, à qui il vient une lubie : réécrire une grande partie du scénario de son dernier film et tout retourner en deux jours à peine. Cette fois, c’est sûr : il tient son chef-d’oeuvre.

Un postulat qui rassure d’emblée : afin de partager ses réflexions sur son art – décidément une manie des réalisateurs reconnus en ce moment –, Kim Jee-woon n’a pas l’intention de jouer les pisse-froid. L’élément perturbateur étant de facto une contrainte de temps et la gestion d’une troupe haute en couleur, le rythme ne faiblit pas. On passe d’atermoiements amoureux à arrangements politiques, en passant par divers intoxications et kidnapping, perdus au milieu d’une foule de personnages.

 

Dans la toile : PhotoDans les coulisses de feu les intros d’Ecran Large

 

Ce tourbillon de pellicule et d’improvisations est forcément attachant, bien qu’un poil convenu sur les bords. Si le metteur en scène et co-scénariste tient à insérer dans son récit les véritables problématiques auxquelles faisaient face les cinéastes de l’époque, il surprend assez rarement, déroulant ses sous-intrigues pendant deux (longues) heures sans déroger à son programme, qu’on devine très vite. Les diverses péripéties qui émaillent le tournage ne sont finalement pas à la hauteur de l’ingéniosité indéniable de sa mise en scène et de ses décors, transformant le plateau en sorte de kaléidoscope labyrinthique.

L’originalité vient surtout donc du contexte historique et de la place accordée au réalisateur dans une industrie coréenne que le grand public occidental ne connait que via Old Boy et affilié. En dehors de ce contexte, l’exercice de la mise en abyme démiurge est très classique, d’autant que bien des metteurs en scène s’y sont essayés ces dernières années. Et force est de constater qu’il fait pâle figure à côté de certains essais récents, comme l’inévitable Ne Coupez Pas !, dont la description d’un tournage chaotique était bien plus gratinée, surprenante et touchante. Au fur et à mesure de Ça tourne à Séoul ! – Cobweb, la sincérité réelle de Kim Jee-woon est diluée dans une narration vissée sur ses rails de travelling.

 

Cobweb : Photo Song Kang-hoTous ces gens ont des problèmes

 

Ce n’est qu’à la toute fin, alors que son personnage principal laisse apparaître sa véritable faille et que le film dans le film se révèle dans toute son ambiguïté, qu’il parvient à vraiment distinguer sa vision du processus créatif, expliquant en un seul plan les raisons du succès du cinéma de genre dans son pays et dans sa filmographie. C’est le sujet le plus fascinant de cette comédie gentillette, qui aurait vraiment pu résumer la singularité d’une industrie tout entière s’il ne l’abordait pas dans les 10 dernières minutes.

 

Ça tourne à Séoul ! Cobweb : Affiche officielle

Rédacteurs :
Résumé

Kim Jee-woon affirme sa vision de la mise en scène dans un film mineur, mais attachant.

Autres avis
  • Alexandre Janowiak

    Kim Jee-woon s'amuse comme un fou avec Ça tourne à Séoul !, et c'est réjouissant. Un double film drôle, passionné et multipliant les situations rocambolesques, déclarant son amour aux artistes, à leur engagement intime et fervent pour donner vie à leurs créations.

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Nicowtine

Un scénario sans queue ni tête qui aurai pu être efficace sur son tempo comique si le film ne durait pas plus de 2h (ressenties 3 et demi)

Dr. No1

Jin-Roh était raté mais il faut revenir sur ce cinéaste brillant qui a toujours oscillé entre comédies et polars. D’ailleurs sa série pour Apple, sortie avant ce film, était très réussie.

zetagundam

« Kim Jee-woon essuyait, selon ses propres termes « l’échec le plus cuisant de sa carrière », avec son adaptation de Jin-Roh »

Tu m’étonnes !
En plus de n’être qu’une pâle copie du chef-d’œuvre d’animation de Hiroyuki Okiura il a fait le pire choix possible en modifiant la fin. A croire qu’il n’a rien compris à l’œuvre d’origine