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Mars Express : critique d’une vraie pépite SF

Par Antoine Desrues
22 novembre 2023
MAJ : 28 janvier 2024
44 commentaires

Et si c’était lui, la véritable surprise du dernier Festival de Cannes ? Présenté au Cinéma de la Plage, Mars Express a pris tout le monde de court. Derrière son allure de premier long aux références cyberpunk explicites, le film de Jérémie Périn affirme une spécificité typiquement française (notamment dans son casting vocal, regroupant Léa DruckerMathieu Amalric et Daniel Njo Lobé). De quoi démarquer cette proposition exaltante, d’une maîtrise spectaculaire.  

critique d'une pépite SF

Science-friction

Si la présence réduite du cinéma de science-fiction en France est aussi frustrante, c’est parce que l’Hexagone porte en lui l’un des héritages les plus puissants du genre à travers le monde. De Jules Verne à Métal Hurlant en passant par Méliès, ces fondations d’un imaginaire futuriste ont infusé d’autres pays (les États-Unis et le Japon entre autres), au point où ceux-ci en sont désormais les rares légataires.

Rien que pour cette raison, on aurait envie d’accueillir Mars Express à bras ouverts avant même d’avoir vu une seule image de film. Mais ce ne serait pas rendre justice au premier long-métrage de Jérémie Périn (la série Lastman), qui démarre avec ferveur sur une scène de meurtre tétanisante, suivie d’une course-poursuite. Dans les deux cas, le découpage millimétré impressionne autant que la dynamique de la scénographie, qui alterne entre une précipitation-choc des mouvements et de purs instants suspendus dans le temps, comme dans le meilleur de l’animation japonaise.

 

Mars Express : photoSNCF du turfu

 

Ce yo-yo rythmique semble d’ailleurs essentiel pour percevoir l’étrangeté du projet, ou du moins sa manière de conjuguer sa nature hybride avec le mal-être de ses personnages. Il ne faut pas longtemps au film pour convoquer Blade Runner, Isaac Asimov et le Ghost in the Shell de Mamoru Oshii, tout en faisant tiquer lorsqu’on entend le prénom de son héroïne : Aline (géniale Léa Drucker). L’identité franco-française de l’entreprise nous est renvoyée en plein visage, comme pour appuyer sa rareté dans ce melting-pot d’influences.

Dès lors se trace un parallèle fascinant entre cette “reconquête” stylistique et des protagonistes qui se cherchent désespérément une place dans ce monde tiraillé, avec d’un côté une Terre transformée en “clapier à chômeurs”, et de l’autre le confort artificiel de Mars, devenu une cité cyberpunk lisse et épurée. Dans ce contexte de colonisation de la planète rouge en 2200, la détective privée évoquée plus tôt enquête avec son partenaire androïde Carlos (Daniel Njo Lobé, bouleversant d’humanité) sur la disparition d’une étudiante en cybernétique.

 

Mars Express : photoUn fantôme sous la carapace

 

Métal chaud bouillant

Mars Express évolue constamment à ce carrefour des genres et des inspirations, et plus particulièrement du côté du film noir. Jérémie Périn et son co-scénariste Laurent Sarfati connaissent leurs classiques, et en exploitent les codes à merveille pour croquer une galerie de personnages amorphes, désabusés au cœur de ce futur réifiant.

Par ses scènes d’action à la violence sèche, le long-métrage n’en oublie jamais l’essentiel, à savoir ce maintien d’une corporalité si fragile et évanescente face à la permanence de la robotique. Paradoxalement, Mars Express est un film où règne un parfum de mort, bien que celui-ci soit masqué par des technologies qui ressuscitent les défunts (ou du moins leur esprit) dans du métal.

 

Mars Express : photo« Bonjour, je suis C-3PO, relations humains/cyborgs »

 

Sa démarche esthétique en devient d’autant plus brillante qu’elle se repose en grande partie sur des hologrammes. Qu’ils recomposent la tête de Carlos au-dessus de son buste ou aident à reconstituer une scène de crime, ils permettent de jouer avec les calques et l’animation dans des effets de surimpression qui effacent progressivement la matière et les identités dans ses décors enveloppants. Alors que l’affaire mène les enquêteurs vers un complot à l’échelle gargantuesque, ils retracent surtout un ordre social des plus néo-libéraux, où tout et tout le monde devient marchandise et par extension, déchet.

L’abandon de soi et des autres s’implante dans ce devenir machine de l’humanité, et offre régulièrement des visions d’une incroyable poésie (ce plan où la tête holographique de Carlos laisse transparaître sur son visage la famille qui s’est recomposée sans lui). Mars Express pourrait alors se contenter de ressasser avec intelligence les questionnements philosophiques essentiels du genre sur la porosité entre l’humain et ses créations robotiques.

Pour autant, son ambition, ponctuée par un humour noir joyeusement piquant, se raccroche toujours à une dimension contemporaine. L’obsolescence programmée et la défaillance de la technologie pirate progressivement son récit cyberpunk, quand les robots ne sont pas victimes de discrimination instrumentalisée par des fake news (“condamnez-vous ces violences ?”, entend-on dans une parodie savoureuse des chaînes d’info).

 

Mars Express : photoCarlos, merveilleux personnage

 

Un cocktail qu’on boirait tous les jours

Si on est d’abord bluffé par l’efficacité d’un scénario qui ne s’arrête jamais, les touches de worldbuilding organiques dans cette progression s’accordent à sa plongée dans les entrailles de son univers. Supporté par la direction artistique admirable de Mikael Robert (Le Sommet des dieux), le film mute en véritable thriller parano des seventies, au point d’en reproduire certains des effets de style, des plans au téléobjectif à la manipulation de la netteté par une demi-bonnette (oui, en animation !).

Au travers de cette découverte d’un monde caché derrière ce vernis propret, Mars Express est à la recherche d’une faille, motif qui s’impose au fur et à mesure via des entrebâillements de portes et autres flux de données matérialisés par un fil. À force de se répandre dans l’écran, ces stigmates laissent entrevoir un univers scarifié, où il faut apprendre à voir au-delà de ses références.

On finit d’ailleurs par en oublier la générosité de cette farandole, jamais gratuite ou bourrative, alors qu’elle convoque tour à tour Cronenberg, Minority Report, RoboCop ou encore Terminator 2. C’est dire à quel point sa mise en scène, aussi élégante que sa narration rythmée, refaçonne une science-fiction identifiée pour mieux la faire sienne, et nous rappeler au passage que la France a bien son rôle à jouer en la matière.

 

Mars Express : affiche

Rédacteurs :
Résumé

Mars Express est bien plus que le jukebox SF qu’il semble être en surface. Or, c’est bien cette surface que Jérémie Périn nous incite à creuser au travers de sa technique flamboyante et de l’efficacité folle de son récit. En résulte un grand film, à la fois vertigineux et profondément moderne.

Autres avis
  • Geoffrey Crété

    Détectives, androïdes et utopie martienne qui tourne mal : c'est tout ce qu'on veut dans un tel film de SF. Et le meilleur c'est qu'ils vont plus loin encore, avec un récit qui ouvre de beaux et fascinants horizons.

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Ghost Leopard

Le seuil des 200 000 entrées est déjà atteint, ce qui était l’objectif espéré.

Ghost Leopard

Mars Express est TOUJOURS en salle! 🙂

Les deux mois en salles étant désormais dépassés, c’est vraiment grâce au bouche à oreille.

C’est HISTORIQUE pour le cinéma d’animation français. Mes plus sincères félicitations à toute leur équipe ! Un succès amplement mérité ! (^_^)

Ghost Leopard

Et UGC aussi !

Ghost Leopard

Mars Express est toujours en salle dans les cinémas Pathé.
Il est reprogrammé pour une semaine de plus.

Cest génial ! Sincèrement, je suis vraiment content pour l’équipe du film et plus généralement pour le cinéma d’animation français ! (^_^)

Marc en RAGE

@Deckard2049

Totalement d’accord avec toi MARS EXPRESS est surprenant sublime. Malheureusement il est passé dans 1 cinéma sur 3 c’est incompréhensible.
J’ai demandé dans un Ciné pourquoi il ne passe pas MARS EXPRESS !?
On m’a répondu  » Nous faisons des choix nous sortons tout les films susceptibles de plaire au plus grand nombre de spectateurs …  » j’ai répondu  » vous êtes passé à côté d’un Chefs d’œuvre MARS EXPRESS ! « 

Deckard2049

Si je ne devais retenir qu’un film en 2023 c’est celui la. Vu le jour de noël, j’ai bien failli le rater car au premier abord il n’a pas retenu mon attention (le graphisme en cel-shading n’est pas mon fort et Renaissance m’avait largement déçu) mais heureusement qu’en cette fin d’année il n’y avait rien de potable au cinéma. Je suis resté scotché du début a la fin. Quel pied ! Scénar, ambiance, animation, musique, univers, références,… tout y est. Rien a jeter, tout a consommer, encore et encore. Je regrette vraiment que ce film n’ait pas été mis plus en avant en comparaison de la bouse spatial de Mr Snyder (3 petit articles ici contre 45 pour l’étron lumiNescent). Mais ou va le monde !

Ghost Leopard

Mesdames, Messieurs,
Mars Express va passer le cap du 31 décembre tout en continuant d’être à l’affiche en salle !
C’est top. 🙂

Ghost Leopard

Deuxième fois que je vois Mars Express.
La bonne nouvelle… il passe encore dans les Pathé de centre-ville… Donc, les réseaux misent encore sur le film ! Le film va dépasser le mois en salles !

Ghost Leopard

@Marc
Merci beaucoup, Marc, pour le feedback, il faut rester positif. 🙂

Je me suis un peu trop excité pour rien en commentaire d’un autre article EL qui parlait des bides français de l’année.

Malheureusement, Mars Express vient bien malencontreusement illustrer mon propos.

Si on suivait la même logique simpliste que celle que mon antagoniste avait appliquée en commentaire de cet autre article, on en tirerait la conclusion hâtive et totalement fausse que la production de Mars Express aurait coûté au moins 5 millions d’euros à lui tout seul au contribuable français puisque les recettes en salle n’ont pas atteint le million d’euros. Or, c’est archifaux.

D’abord, c’est impossible de couvrir la totalité du budget d’un film francais sur le marché domestique si le film reste à l’affiche seulement 3 semaines dans les multiplexes, si le nombre de copies est inférieur à 300 et si une campagne chère et intensive de communication n’a pas été déployée.

En réalité, on ne peut espérer que couvrir en moyenne environ 25% du budget avec la sortie salle.
Si le film n’est pas américain, 80% de l’amortissement du budget va s’étaler sur au moins 4 à 5 ans avec environ 40% dans la première année suivant la livraison du film.
On ne peut donc pas comparer le coût de production total d’un film avec les seules recettes salle domestiques.

Ensuite, il ne faut pas oublier que, pour environ 30% du financement, l’argent provient généralement d’un diffuseur qui va obtenir en contrepartie un droit de diffusion.
Il y a donc une partie du coût du film qui n’a pas vocation à générer une recette supplémentaire puisque cela a déjà été prévendu au diffuseur.
C’est probablement le cas ici de France Télévisions. Par conséquent, les recettes correspondant à ce droit de diffusion seront comptabilisées chez le diffuseur mais ne feront pas l’objet d’un reversement au producteur délégué puisque cela avait déjà été convenu comme tel lors du financement initial.
Voilà pourquoi on ne peut pas comparer le coût de fabrication avec les seules recettes provenant des salles, de la vente de DVDs et de la svod.
En général, on ne trouve pas non plus en source ouverte facilement le prix auquel une plateforme de streaming va négocier le droit de diffuser un film.
Donc, comparer le coût de fabrication avec seulement une partie des recettes, c’est forcément déboucher sur une conclusion erronée.
Après, le risque supplémentaire avec le cinéma d’animation, c’est que le coût de production par minute est plus élevé que celui en prise de vue réelle, ce qui explique que Mars Express ne dure que 1h25.
Le budget est d’ailleurs de 6,7 millions, c’est à dire plus que la moyenne de 5 qu’on pourrait avoir en prise de vue réelle. Or, les recettes salle se font au même tarif quelque soit le budget du film.
Il est donc plus difficile de couvrir son budget avec uniquement les recettes salle pour un film d’animation ado-adulte.
Mais bon, c’est intéressant de comprendre ce modèle économique, atypique par rapport aux autres secteurs d’activité.
Voilà.

Ghost Leopard

Selon Screendaily, le film aurait été vendu à l’international par mk2 Films aux distributeurs suivants (*) :
– Capelight : Germany, Austria
– Piece of Magic : Benelux
– Flamingo : Spain
– Gutek : Poland
– Film Verleigh : Switzerland
– Arthouse Traffic : Ukraine
– GKids : North America
– Madman : Australia, New Zealand
– Leda : Latin America
– Sita Digital : China
– Falcon : Indonesia
– Pictureworks : India, airlines

(*) Par contre, je n’ai pas vu l’Italie dans les films concernés.