Films

Winter Break : critique d’un conte de Noël du Nouvel Hollywood

Par Ewen Linet
15 décembre 2023
MAJ : 24 mars 2024
3 commentaires
En 2018, Alexander Payne s’était essayé à la science-fiction avec la comédie pas vraiment à la hauteur Downsizing. Malgré ce revers, le cinéaste revient avec Winter Break, dont il a confié le scénario à David Hemingson (une petite rareté puisque hormis Nebraska, Payne avait toujours participé au scénario de ses films jusqu’ici). Dans cette comédie dramatique qui fait la part belle à sa patte singulière, le réalisateur retrouve ainsi Paul Giamatti (Sideways). Gardant l’oeil ouvert sur l’histoire du cinéma, Alexander Payne cherche à raviver l’atmosphère de la Nouvelle-Angleterre des années 70 à travers une fable de Noël empruntant à Hal Ashby, Peter Bogdanovich voire à l’écrivain J.D. Salinger.
critique d'un film de 1970

BACK TO THE WINTER BREAK

Winter Break fascine par sa reconstitution, réveillant le Nouvel Hollywood dans cette Nouvelle-Angleterre qui captive dès la scène d’ouverture, où l’aura d’auteur d’Alexander Payne rayonne. Les premières images impressionnent par les logos usés, le grain visuel et sonore caractéristique, ainsi que les couleurs atténuées et ternies. Plongeant dans l’époque, le film adopte tout l’attirail du naturalisme, des lumières à la gradation unique (ou presque) jusqu’aux objectifs anciens, ouvrants les portes de la Barton Academy à la fin de l’année 1970. 

Après une chorale qui séduit par son procédé du son sur film d’époque (superbement reproduit en numérique), le rythme envoûtant de la guitare et de la voix suave de Damien Jurado accompagnent l’introduction de l’enceinte scolaire enneigée. À l’origine de Winter Break, comme l’a expliqué Payne, il y a Merlusse, le conte de Noël de Marcel Pagnol de 1935. Il est transposé ici sans le surveillant balafré, mais avec un professeur d’histoire aigri, beau parleur à l’oeil de verre, incarné par le formidable Paul Giamatti. Contraint de veiller sur les élèves restants pendant les fêtes, dont un jeune en particulier, il donne le ton amer (et risiblement magique) du film d’Alexander Payne.

 

Winter Break : photo, Paul GiamattiL’aigri ultime

 

Plus encore, Winter Break puise son inspiration dans La Barbe à papa de Peter Bogdanovich, œuvre culte de 1973 au cœur du Nouvel Hollywood, marquant le renouveau du road movie. Celui-ci donnait brillamment l’illusion d’un métrage tourné durant les années 30. Outre la reconstitution, toute la beauté résidait dans le détournement tragi-comique de l’imagerie de la Grande Dépression et de la grandeur des escrocs feu Ryan O’Neal et de sa fille Tatum O’Neal. De la même manière, Winter Break s’engage dans la création d’une chimère cinématographique, s’approchant au plus près de la fabrication des films du dernier âge d’or d’Hollywood et de la Nouvelle Vague (dont il emprunte le format 1,66:1).

L’illusion est totale, portée par le travail dingue du chef décorateur Ryan Warren Smith. Chaque élément, du visuel à la narration, contribue à tisser l’histoire poignante de parvenus en proie à une profonde tristesse et à la solitude. Des résonnances avec de nombreux cinéastes du Nouvel Hollywood se dessinent, particulièrement avec Hal Ashby. Le spectre de La Dernière Corvée de 1974 plane, et de manière plus narrative, Retour de 1978 n’est jamais très loin, la guerre du Vietnam ayant emporté le fils de la cheffe cuisinière, incarné par la charismatique Da’Vine Joy Randolph.

 

Winter Break : photo, Dominic Sessa, Dominic SessaCall me maybe

 

Cercle des seventies disparues

Cependant, en s’appuyant sur des métrages hautement révolutionnaires, Alexander Payne révèle un Nouvel Hollywood éveillé, mais clairsemé, privant le film d’un souffle véritablement subversif. De fait, le film demeure captif de ses influences et de l’ombre du dernier âge d’or d’Hollywood sans en explorer pleinement son essence. Sa démarche trop prudente se dissimule derrière une fable grisonnante. Winter Break peine ainsi à se forger sa propre identité, se réfugiant dans un archétype convenu d’une amitié naissante entre un professeur et son élève (évoquant en miroir Will Hunting de Gus Van Sant).

Heureusement, Winter Break est bien plus qu’un drame comique passéiste et fétichiste d’une époque révolue. Ce cantique de Noël, s’accrochant aussi à des récits encore plus anciens, est rattrapé par l’authenticité de la plume de David Hemingson, un habitué du petit écran. Ici, le scénariste s’attaque au défi d’écrire le deuxième film sans la contribution à l’écriture de Payne. Et malgré des allusions discrètes au roman culte L’Attrape-cœurs signé Salinger (sans atteindre son intensité et son audace) et l’absence d’impertinence dans les thèmes abordés, le scénario s’illustre à travers de superbes dialogues.

 

Winter Break : photo, Paul Giamatti, Dominic SessaConstitution du moodboard

 

De facto, les interprètes, ici très authentiques, font corps avec les intentions du film et incarnent avec finesse (et humour) des personnages atypiques, échappant habilement au pastiche. La connexion étroite entre Paul Giamatti et Alexander Payne confère une singularité indéniable à cette histoire. Le scénario est imprégné des souvenirs (souvent pittoresques) de David Hemingson dans son lycée privé du Connecticut et Paul Giamatti, également très familier de cet univers, s’en donne à cœur joie en jouant d’un scénario taillé sur mesure.

Cependant, la vraie révélation du film, échappant complètement à son aspect passéiste, est le jeune Dominic Sessa. Il impressionne dans son premier rôle au cinéma et s’impose avec délicatesse face au charisme et l’expérience de Paul Giamatti. Il injecte une modernité et une force universelles, devenant un véritable outsider dans Winter Break et, plus largement, dans la filmographie d’Alexander Payne. 

 

Winter Break : photo, Da'Vine Joy Randolph, Paul Giamatti, Dominic SessaLe vrai grelot de Noël

 

David Hemingson façonne alors peu à peu un improbable trio dans Winter Break avec l’ajout astucieux de Mary, une cheffe cuisinière inspirée de sa propre mère. Largement remarquée en 2019 dans Dolemite Is My Name, Da’Vine Joy Randolph apporte une humanité et une ambivalence remarquable, bien que son personnage peine (parfois) à trouver sa place.

Ainsi, le trio s’intègre admirablement dans la reconstitution des années 70, insufflant du cœur au film à travers des dialogues qui libèrent les protagonistes de leur solitude avec une touche d’humour rare. Derrière son esthétique distinctive, Winter Break se démarque donc surtout par la vitalité éclatante de ses performances, d’autant mieux capturées par les plans-séquences spontanés et instinctifs d’Alexander Payne.

 

Winter Break : Affiche officielle

Rédacteurs :
Résumé

Malgré une mise en scène académique, Winter Break réveille l'espace d'un instant le dernier âge d'or du cinéma américain. Alexander Payne réussit son exercice de style dans une remarquable reconstitution d'un hiver de 1970 en Nouvelle-Angleterre.

Autres avis
  • Geoffrey Crété

    Si quelqu'un avait essayé de faire un prototype du Alexander Payne movie, ça aurait sûrement donné Winter Break. C'est dire à quel point c'est gentiment mignonnet, formaté, dispensable et oubliable.

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Ozymandias

Un peu entre vos deux avis perso, mais j’ai trouvé ça très oubliable clairement… Dommage !

Pierre_Oh

Un peu convenu, mais le duo fonction à merveille et le film s’avère vraiment sympa.

Flash

J’avais pas mal aimé « Sideways » avec déjà Giamatti.
Ça peut se tenter.