La Bête enfouie
Dans un siècle en proie à la “surcharge informationnelle” (la fatigue et l’angoisse liées à un trop-plein de stimulation par l’actualité), le cinéma de Bertrand Bonello est justement chargé, voire surchargé d’images. C’est peut-être même cette saturation qui rend son œuvre aussi prégnante, et autant en phase avec son époque. Dans ce fatras où plus rien n’a de sens, les jeunes terroristes de Nocturama cherchaient par leurs actes une tribune, l’expression d’un désespoir par la création de symboles de violence.
Il y a là une forme de tragédie : l’impossibilité d’un retour aux sources, alors que les personnages s’enivrent dans la seconde moitié du film dans les rayons de la Samaritaine, capsule du consumérisme où tous les types de produits s’entremêlent. Plus que jamais, Bonello fait de l’hétérogénéité de sa mise en scène une marque de fabrique. Dès sa première séquence, qui isole Léa Seydoux au cœur d’un décor tout en fond vert, La Bête se montre en quête d’images ; des images qui ne cherchent en aucun cas une forme de fluidité. Ce qui intéresse le cinéaste, c’est le pas de côté, la mutation et le glitch.
Qu’est-ce qu’on choisit de projeter sur cette mosaïque ? Pour Gabrielle (Seydoux), il s’agit d’un amour contrarié avec Louis (George MacKay, vu dans 1917) qu’elle n’a jamais su interpréter. Et pour cause, puisque cette histoire est celle, répétée, de ses vies antérieures. En 2044, futur où l’Intelligence Artificielle débarrasse l’humain de ses émotions, elle accepte de revisiter ce lourd passé pour “nettoyer son ADN”, entre le Paris du début du XXe siècle et le Los Angeles des années 2010.
Comme dans la nouvelle d’Henry James qui l’inspire, La Bête se repose sur une menace évanescente, la peur d’une catastrophe imminente poussant les personnages à une vie confortable, sans risques. On en revient au fond vert inaugural où Seydoux, dirigée dans le récit par Bonello, doit s’imaginer le monstre qui s’apprête à la tuer. Il faut bien s’obliger de vivre et de ressentir, même quand on sait que le couperet s’apprête à tomber sans pouvoir le matérialiser.
Bonello blanc et blanc bonnelo
Encore une fois, le cinéaste est à son meilleur lorsqu’il prend le pouls de cette inquiétude généralisée, qu’il a le mérite de conserver abstraite. C’est dans l’air et entre les images, source d’anxiété dont le seul remède n’est plus qu’une nostalgie rassurante symbolisée par ces boîtes de nuit aux playlists passéistes.
On sent que Bertrand Bonello implante ses propres inquiétudes dystopiques dans cette science-fiction froide, et c’est là que le long-métrage tiraille. D’un côté, le réalisateur évite le piège de la prise de hauteur méprisante sur son sujet, et s’inclut dans ce “mal de l’époque” par le prisme de ses référents envahissants (à commencer par David Lynch, dont le spectre plane sur tout le film). De l’autre, le trop-plein de La Bête ne peut pas esquiver le melting-pot d’influences indigestes, quitte à ce que sa modernité en pâtisse. Sa vision d’un futur contrôlé par l’IA est trop superficielle et caricaturale pour convaincre, quand bien même elle sert avant tout de point d’ancrage métaphorique.
Si le formalisme de Bonello nous passionne depuis longtemps, il vient de passer un cap dans la théorisation de son cinéma, qu’on peut percevoir comme une continuation logique de sa filmographie ou comme un point de non-retour. À l’instar de Léa Seydoux, filmée à la manière d’une toile blanche malléable qui absorbe les images et leurs fantômes, La Bête envoûte à maintes reprises. Ne serait-ce que pour cette séquence aquatique dans un atelier de poupées (jouant du contexte des inondations de Paris en 1910), la mise en scène subjugue autant qu’elle déroute.
Néanmoins, cette juxtaposition référentielle atteint une limite encapsulée par la complaisance de sa longueur (quasiment 2h30). Malgré le temps qu’il s’alloue pour donner corps à ses multiples couches, le film ne parvient jamais vraiment à dépasser sa dimension cérébrale. Un comble pour une œuvre qui traite des retrouvailles de ses protagonistes avec leurs émotions.
C’est même le paradoxe : La Bête pourrait être totalement labyrinthique, et accepter de lâcher prise face à son effet de zapping pour refléter au mieux cette saturation des sens. Pourtant, Bonello ne peut pas s’empêcher d’aller contre le vent, de donner une direction et une connexion à ses plans et ses scènes par la présence de motifs un peu faciles. À moins que ce ne soit tout le propos du long-métrage sur l’éternelle résistance de la mémoire et de l’ordre face au chaos du débordement médiatique.
Le film semble se battre contre lui-même, jusqu’à pousser sa soif expérimentale autour de cette même idée dans un dernier acte aux inspirations horrifiques. Les images se défient, se chevauchent, se transforment et se réécrivent, même si la tragédie attendue frappe, encore et toujours. On peut rester perplexe devant ce fatalisme, ou au contraire embrasser toute son étrangeté, à la fois contradictoire et stimulante. On a décidé de faire les deux en même temps.
@Kyle Reese, c’est vrai que l’affiche du film est particulièrement vide.
@Coucouhibou, tes explications me praissent être de l’ordre de ces trucs qu’on cherche à interpréter là où il n’y a rien à analyser. Un gros plan sur le visage de Seydoux devant un fond vert, en quoi ça illustre le combat de l’individu pour conserver son identité ?
@C INQUIETANT, c’est surtout devenu lassant ce discours répété inlassablement par les détracteurs de Seydoux. Toujours le même refrain, avec ce fantasme comme quoi tous les réalisateurs de la planète, y compris des gars comme David Cronenberg, Wes Anderson ou Yórgos Lánthimos, seraient aux bottes de papy Seydoux. Ben bien sûr…
En parlant de l’actrice, j’attends Death stranding 2 le Goty 2025
C’est inquiétant, film après film, Seydoux fait sur Seydoux, vide de jeu, vide d’incarnation, vide de sentiment … c’est tellement vrai qu’en 50 films, il n’y en absolument aucun, aucun où elle est tête d’affiche, un film qui ferait venir les spectateurs sur son jeu. Nada …
La France ce beau pays où être bien né vous assure une « carrière » en dehors de tout mérite, de tout travail, de toute réalité.
@Alexandre Janowiak
Pour info, on écrit un finale…
@Kyle Reese Pour être honnête, elle est plutôt raccord avec le film, qui cherche à raconter l’individu qui se bat pour conserver son identité dans un univers futuriste où il doit être effacé derrière sa fonction au sein du système. D’ailleurs le vert en fond a une grosse importance symbolique et nous ramène à l’artificialité qui dévore le cinéma et contre laquelle Bonello s’insurge tout en sachant que c’est perdu d’avance.
Bon ok je sais c’est Seydoux, c..est une star, une ère vie de marque, c’est la femme de 007 … mais … ils ne peuvent pas faire un effort pour produire une belle affiche. Parce que là c’est juste le minimum syndical quoi.