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Le Successeur : critique d’un film dont il faut protéger le secret

Par Geoffrey Crété
25 février 2024
MAJ : 4 mars 2024
5 commentaires

Où pouvait aller Xavier Legrand après le choc Jusqu’à la garde en 2017, adapté de son propre court-métrage Avant que de tout perdre ? Sept ans plus tard (et après un passage sur la série Tout va bien), le réalisateur et scénariste est de retour avec Le Successeur, mystérieux film mené par Marc-André Grondin dans le rôle d’un illustre créateur de mode qui retourne dans son Québec natal pour gérer la mort de son père. Et surtout son héritage insoupçonné. C’est très vague ? C’est fait exprès, parce que le film repose sur cette énigme. D’où une critique un peu spéciale, sans puis avec spoilers.

photo critique film thriller xavier legrand

au sujet des spoilers dans les critiques

Comment parler d’un film sans parler du film ? C’est la grande question de la critique de cinéma, particulièrement dans la galaxie internet gangrénée par la hantise des spoilers. Comment réellement analyser une œuvre si tout est potentiellement un spoiler (la présence ou l’absence d’un acteur, d’une scène post-générique…) et que même la donnée temps devient un délire (on ne compte plus le nombre de fois où quelqu’un est venu nous attaquer parce qu’on révélait un détail d’un film datant d’il y a 10 ou 20 ans, dans un article qui lui est dédié) ?

Comment parler scénario et mise en scène au-delà des quelques vagues phrases qui appartiennent moins à la critique de cinéma qu’à Twitter, ou les affiches estampillées de citations sensationnelles ?

 

 

Le rapport avec Le Successeur, de Xavier Legrand ? C’est justement le parfait prototype du film qui repose entièrement sur ses mystères. Avant la sortie, les portes ont été maintenues fermées pour être ouvertes (littéralement) une fois dans la salle de cinéma, et c’est un choix d’autant plus fort que la bande-annonce misait sur peu de choses : de retour au Québec pour gérer l’enterrement de son père, une star de la Haute-Couture « découvre rapidement qu’il a hérité de bien plus que du cœur fragile de son père« . Vous découvrirez de quoi il est question en même temps que lui, et vous serez au moins aussi surpris.

C’est pour cette raison qu’il y aura ici deux critiques en une : la critique sans spoilers, puis avec spoilers, parce que parler du Successeur sans aborder son scénario, ce n’est pas suffisant. Et si quelqu’un vient râler dans les commentaires en prétextant être une victime malencontreuse des spoilers, on vous envoie nos avocats armés de pieds de biche.

 

Le Successeur : photo, Marc-André GrondinLe tonnerre Grondin

 

la critique sans spoilers

Le Successeur commence avec une célébration, mais elle a immédiatement un arrière-goût d’angoisse. Après les visages fermés et les corps rigides des mannequins sur la musique entêtante de SebastiAn (encore une belle BO après celle de Tropic en 2023), le héros clôture son défilé en spirale avec une parade qui tourne précisément en rond, sous les yeux d’un public qui pourrait aussi bien avoir assisté à un enterrement de luxe.

C’est justement la mort qui viendra frapper à la porte de l’artiste. Le tout nouveau prince de la Haute-Couture doit revenir dans sa lointaine contrée pour gérer la disparition du roi, son père. Le choc des cultures est évident pour cet homme qui avait coupé les ponts pour gravir l’échelle sociale, allant jusqu’à changer de prénom et de continent pour tirer un trait sur son passé. Le temps d’un séjour, il se retrouve donc face à ce qu’il avait fui : lui-même, dans la maison vide de son père, pour un nettoyage qui va mettre à jour quelques petits secrets.

 

Le Successeur : photoFous ta cagoule

 

Le trouble est là dès son arrivée, mais d’où vient-il ? De la voisine un peu trop sympathique ? De l’ami du père un peu trop insistant ? De cette ancienne camarade un peu trop gênante ? De cette angoisse profonde d’Ellias qui revient à la surface ? Durant la première partie du film, rien n’est certain et tout est possible, et Xavier Legrand joue avec malice de cette inquiétante étrangeté. Comme dans Jusqu’à la garde, il transforme les choses les plus anodines (un lotissement, une maison, une porte, et plus simplement un humain a priori inoffensif) en potentielles sources d’angoisse.

Puis vient le moment où le cinéaste doit arrêter de bluffer et montrer son jeu. Ou plutôt asséner son coup. Le choc est brutal et forcément jouissif, surtout avec l’approche sadique qui donne une longueur d’avance à Ellias – et condamne le public à s’imaginer tout et n’importe quoi durant de très longues minutes. Le film bascule avec l’existence du personnage, aspiré malgré lui dans un autre récit qui va lui échapper.

L’idée est diabolique, et en misant sur une surprise plutôt qu’une montée en puissance, le réalisateur et scénariste réussit un joli coup. Le problème, c’est qu’il reste tout un film à terminer. Avec une approche glaciale et quelques touches d’humour noir qui rendent le cauchemar encore plus âpre, Xavier Legrand suit la longue, lente et inexorable descente aux enfers de son personnage. Mais comment se relever d’un tel choc à mi-chemin ? La question est posée, et Le Successeur y répond… en titubant avec son personnage jusqu’à la fin.

 

Le Successeur : photo, Marc-André GrondinLes murs ont-il des oreilles ?

 

LA CRITIQUE AVEC SPOILERS

C’est l’histoire d’une succession de mauvais choix, qui sont de moins en moins accidentels. Dès qu’il ouvre la porte infernale et décide de la refermer à double tour, Ellias scelle son destin. Une bonne personne n’aurait-elle pas simplement aidé cette femme séquestrée ? Est-ce la peur qui a parlé, ou un lien du sang qui le pousse à adopter une posture de prédateur ? Et si des années avant, Ellias avait justement fui cet instinct plus ou moins inconsciemment ?

A ce stade, le film pose une terrifiante question : et si c’était moi ? Et si j’étais capable de la pire des décisions en pensant avoir les meilleures intentions ? L’idée est machiavélique puisque ce personnage a tout du héros aimable : apparemment talentueux mais plutôt modeste, relativement attachant mais manifestement fragile.

Lui qui avait fui son père pour de mystérieuses raisons se retrouve finalement enchaîné par ce terrible héritage, manifestation ultime des peurs les plus profondes quant à la filiation et l’hérédité : récupérer une chose dont on ne peut pas se débarrasser, une responsabilité qu’on ne peut pas fuir, et une vérité qui sera un fardeau (en l’occurrence, un cadavre) à porter. Ellias avait tout fait pour y échapper mais la réalité l’a rattrapé pour le remettre sur les rails de son destin. C’est le terrible caractère inexorable d’une tragédie : ce n’était qu’une question de temps.

 

Le Successeur : photoDesperate Housewives saison 8

 

En « héritant » d’une femme séquestrée, il hérite d’un pouvoir de vie ou de mort. Au bout de la ligne, c’est une culpabilité en puissance : en ne l’aidant pas, il l’a achevée, et il est désormais le seul à savoir que c’était la fille d’un ami de son père. A mesure que la monstruosité du paternel se révèle, Ellias croule sous le poids des secrets et s’enterre avec, creusant sa propre tombe en même temps que celle de la femme.

Xavier Legrand prend un malin plaisir à suivre de près les errances et erreurs de son personnage, dont la maladresse parfois cocasse (les escaliers) entretient le malaise. La mécanique du thriller est simple, mais le réalisateur étire le temps jusqu’à l’extrême pour insister sur le vertige de l’attente. En résistant à certaines ellipses faciles pour observer froidement la perdition de son héros en chute libre, il entretient la peur, des deux côtés de l’écran.

Mais plus le film avance et moins le temps joue en sa faveur, avec une tension qui se répète jusqu’à sembler monotone. Dans la dernière ligne droite, Le Successeur se replie sur lui-même pour asséner l’ultime coup, avec la conclusion tragique attendue. Tout a commencé avec la mort, et avec la mort ça s’achèvera, avec une dernière image glaçante. Mais contrairement au crescendo terrifiant de Jusqu’à la garde, Le Successeur fonctionne par vagues. Dommage que la plus haute arrive à mi-chemin.

 

Le Successeur : Affiche française

Rédacteurs :
Résumé

Le Successeur fonctionne surtout sur le mystère, et le choc. Une idée savoureuse et cruelle, qui condamne malheureusement la deuxième partie du film à perdre une (grande) partie de sa force.

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Renata

C est plutot une question.que devkent le heros appres avoir oriente le pere de la jeune fille vers la decouverte de la verite?

Cidjay

Merci pour la critique, dont j’ai lu la partie spoiler pour savoir si ce film pourrait m’intéresser. Malheureusement, les films à retournements (ou révélations, c’est selon) c’est difficile de les faire tenir si ta révélation tombe en plein milieu, mieux vaut attendre la fin.
Mais le film à l’air sympa quand même, je le regarderai à l’occas.

Sanchez

Un film à voir absolument au cinéma. Il y a des restes de jusqu’à la garde , avec des moments d’une tension extrême sans aucune musique extradiegetique. Il y a de la musique mais seulement dans le premier acte, ensuite c’est de la terreur sourde. Une terreur mêlé à de l’émotion comme dans son premier film. Hélas la réaction du perso face au premier twist est incohérente avec tout ce qu’on a vu de lui auparavant. Difficile du coup d’adhérer totalement au film et ça nuit à la révélation finale qui est pourtant très bien trouvée. Il n’en reste pas moins un film superbement réalisé et mèné par un marc André Grondin qui a tout sauf niaiser !

MacKinoch

Très bonne critique en deux temps ! Ce film ne laisse pas indifférent c’est certain. La mise en scène est vraiment top, de l’intro envoûtante au hors champ final.
Bien qu’il ne soit pas parfait, et peut être moins puissant que Jusqu’à la garde, il ne manque pas de faire réagir, de faire discuter. Parce que ce film vous interroge forcement : l’hérédité, la prédation, le poids du passé, la violence intrinsèque aux hommes…

Louise

C est un film formidable, porté avec brio par Marc André grondin et Yves Jacques. Rien que pour ça il faut le voir.