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Tiger Stripes : critique d’un Grave dans la jungle

Par Alexandre Janowiak
13 mars 2024
MAJ : 14 mars 2024
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La Palme d’or 2023 a été remise à la cinéaste Justine Triet pour Anatomie d’une chute dans une édition où les femmes ont été particulièrement mise à l’honneur. À quelques pas du tapis rouge, à la Semaine de la critique, c’est une autre réalisatrice, Amanda Nell Eu, qui a reçu le Grand Prix pour son premier film Tiger Stripes. Un petit récit d’émancipation malaisien dans les pas du Grave de Julia Ducournau (autre récente palmée) qui n’a pas volé sa récompense.

croquer la vie à pleines dents

En 2016, une jeune réalisatrice française dévoilait son premier film à Cannes lors de la Semaine de la critique et créait la sensation. Cette cinéaste, c’était Julia Ducournau, le film c’était Grave et depuis, on sait que la Française a explosé plus encore. En 2021, elle a remporté la Palme d’or pour son deuxième film, Titane, créant la sensation avec un film radical, déconstruisant très largement la body-horror et le cinéma de genre français. Quelques années plus tard, difficile de ne pas avoir envie de souhaiter un destin aussi prestigieux à Amanda Nell Eu devant Tiger Stripes.

Ce premier film suit Zaffan (Zafreen Zairizal), 12 ans . La jeune fille vit dans un petit village en Malaisie. En pleine puberté, elle réalise que son corps se transforme à une vitesse inquiétante… jusqu’à ce que ses amies commencent se détournent d’elles alors que l’école semble sous l’emprise de forces mystérieuses.

 

Tiger Stripes : photoUne sororité mise à mal

 

Grave était un film d’apprentissage qui explorait la quête de son soi tout en s’attaquant aux impératifs d’une féminité dictée par une société patriarcale. Mais plus encore, il était également une fable cannibale, un conte initiatique, un film d’horreur voire un teen movie. Et il est passionnant et rassurant de voir que ce genre de film peut aussi exister du côté de la Malaisie. Amanda Nell Eu traite en effet ici de la puberté féminine et notamment du regard porté par les autres au moment de ce bouleversement. Rien de spécialement novateur sur le papier, sauf que la cinéaste l’aborde inévitablement sur le terrain du genre.

En lorgnant initialement sur les terres de la body horror (des ongles arrachés, des cheveux capricieux, des rougeurs très irritantes…), le film offre un spectacle monstrueux assez engageant. En vivant ses premières règles comme un cauchemar, la jeune héroïne bascule dans un autre territoire qui va la mener à des pulsions inattendues. Un moyen pour la cinéaste de se plonger dans la mythologie malaisienne. Car s’il ne va jamais aussi loin que Grave au niveau horrifique, empruntant au cinéma d’horreur malais et au fameux House de Nobuhiko Ôbayashi, Tiger Stripes préfère s’enfoncer peu à peu dans le fantastique.

 

Tiger Stripes : Photo Zafreen Zairizal L’heure du réveil a sonné

 

zaffan’s body

En résulte, une proposition électrisante largement aidée par la beauté esthétique de l’ensemble (ces jeux de lumière, ces nombreuses séquences nocturnes…) et notamment des transformations physiques de l’adolescente (faisant écho à un tigre chassé et épié plus tôt, littéralement). Tout en dépeignant la violente transition d’un corps de jeune fille à celui de jeune femme, elle offre ainsi une ballade mêlant fantômes, créatures et esprits et un vrai film magique sur l’émancipation féminine.

Évidemment, comme il s’agit d’un premier film, Tiger Stripes est loin d’être parfait. Le rythme est souvent un peu bancal pour un film aussi court (1h35) et il manque clairement de subtilité malgré ses belles idées. Cela dit, en suivant le désir inarrêtable de son héroïne déterminée à ne jamais nier sa véritable identité, Amanda Nell Eu érige un petit totem féministe galvanisant (car quoi de plus effrayant qu’une jeune femme qui n’obéit pas aux ordres patriarcaux pour certains ?).

 

Tiger Stripes : Photo Zafreen ZairizalRepos sanguinaire

 

Avec une énergie débordante, en grande partie déployée par la jeune Zafreen Zairizal, Tiger Stripes vient mettre un joli uppercut aux prérequis de la société malaisienne. Loin de céder aux caprices d’une société venant pointer du doigt les marginalités des uns et des autres (et surtout des femmes), le film vient les abattre pour mieux réaffirmer l’importance de la liberté de l’expression de son corps, la beauté et la rage de son soi.

« J’ai à cœur de célébrer le monstre, parce que c’était comme ça que je me percevais en grandissant », dit Amanda Nell Eu dans le dossier de presse du film. Quand on vous dit qu’on a pensé à Julia Ducournau…

 

Tiger Stripes : Affiche officielle

Rédacteurs :
Résumé

Tiger Stripes manque de subtilité mais offre un beau récit d'apprentissage et d'émancipation féminine jonglant entre le drame, la body horror et le conte fantastique.

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Ghost Leopard

Vu lors d’un festival l’an dernier.
Les trois actrices principales sont vraiment très douées. Elle ont beaucoup de potentiel.
Il y a des bons passages dans le film, d’autres nettement moins convaincants. Je trouve qu’il y a peut-être un problème de rythme.
Dans l’ensemble, film intéressant.