Portrait d’une Amérique en feu
Passer de l’autre côté du miroir. La référence à Lewis Carroll pourrait sembler surfaite si elle n’avait pas lieu dans les toilettes souterraines d’un bar de Washington. C’est même ce qui démarque tout de suite The Sweet East : cette transition, le film ne la prend pas au sérieux. La jeune Lillian, alors en voyage scolaire étouffant depuis la Caroline du Sud, découvre un passage secret, signe d’un immense réseau pédophile au service des démocrates, né des délires de la QAnon. Un tireur débarque avec l’envie de révéler au monde le complot (référence explicite à l’épisode tristement comique du Pizzagate de 2016), ce qui donne l’opportunité à l’adolescente ennuyée de fuir son quotidien morose.
Jusque-là, Sean Price Williams s’était fait remarquer en tant que directeur de la photographie, surtout auprès d’un certain renouveau du cinéma new-yorkais, d’Alex Ross Perry (Listen up Philip, Queen of Earth) aux frères Safdie (Mad Love in New York, Good Time). Pour son passage à la réalisation, on reconnaît son goût pour un 16mm stylisé, dont l’aspect cotonneux du grain se mêle à une lumière éthérée.
On peut y voir une nostalgie délavée, ou même une filiation arty avec l’héritage du Nouvel Hollywood. Pourtant, The Sweet East ne se limite jamais à une seule étiquette. Là réside son grand pouvoir de fascination : à chaque fois qu’il semble s’offrir au spectateur, il change d’ambiance et d’esthétique pour mieux rebattre ses cartes. Il est incapable de rester en place, à l’image de son héroïne, rapidement lassée.
Il y a quelque chose de malade dans cette approche, comme si elle était atteinte d’un trouble de l’attention. A moins que ce ne soit au fond le sens de cette photographie irréelle de conte de fées : dans un monde gangréné de fake news et de post-vérité, tout n’est plus que zapping, agencement d’infos et d’images sans queue ni tête qui se cherchent une connexion.
« Vous vous demandez sans doute comment j’ai atterri chez un prof de fac néo-nazi »
à l’est d’Eden
De la même manière, l’odyssée de Lillian prend forme au travers d’une multitude de rencontres, où chaque rupture franche fait attendre avec jubilation le prochain chapitre. La voilà à naviguer entre une bande de punks autarcique, un professeur d’université néo-nazi, des réalisateurs bobos autosatisfaits ou encore une fratrie islamiste fan de musique techno. Son réalisateur s’amuse de cet élan de cadavre exquis, et du regard ahuri de sa protagoniste, qui réussit toujours malgré elle à pénétrer dans ces univers.
Talia Ryder, révélation hypnotisante
Il serait d’ailleurs criminel de ne pas saluer la performance envoûtante de Talia Ryder (aperçue depuis dans Dumb Money), véritable révélation dont la moue boudeuse et le regard blasé semblent encapsuler toute la désillusion d’une génération. Son insolence, parfaitement symbolisée par son langage corporel, devient le contrepoint salvateur face à une galerie de personnages névrosés, enfermés dans leur logique obtuse.
C’est dans ces moments de décalage, lorsque la caméra s’attarde sur ces émulsions impossibles, que The Sweet East est le plus drôle. D’une housse de couette recouverte de croix gammées à la note d’intention à rallonge d’une artiste lors d’un casting, Sean Price Williams sait tirer sur l’élastique avec brio, et exploiter au mieux le talent comique de Simon Rex (déjà génial dans Red Rocket), d’Ayo Edebiri (The Bear, Bottoms) ou encore de Jacob Elordi (Euphoria, Priscilla).
Entre les cuts vifs d’un espace à un autre et ces instants suspendus, le film se façonne sur un contretemps, et sur une direction insaisissable qui sort des sentiers du road movie. Il n’est plus question de linéarité, et il n’est plus question de la conquête de l’Ouest. On tourne en rond dans l’Est, avec toute la régression que cela suppose. De New-York au Vermont, Lillian vivote dans une Amérique du présent fantomatique, constamment hantée par un passé qui refuse de lâcher prise.
Les couches s’entremêlent et se superposent dans le chaos le plus total, tandis que le trajet de la jeune femme accompagne la déliquescence de toute une nation, de sa culture foutraque, et de ses communautés isolées et irréconciliables. The Sweet East avance vers des décors de plus en plus nocturnes et abstraits parce qu’il se dirige vers le néant. Même le retour au bercail a quelque chose de décevant et d’inachevé, interrogeant le sens de ce voyage initiatique. Derrière la tendresse et la loufoquerie de son réalisateur se cache une œuvre profondément désenchantée, où les héroïnes de contes cherchent avec désespoir la morale introuvable de leur histoire.
Vu en festival.
L’actrice principale est charmante, dégage un vrai charisme. Le rythme du film est un peu lent parfois mais, à mon goût, le film vaut d’être vu.
Super inégal, mais malgré tout il propose quelques passages super, notamment tout le segment avec Simon Rex.
Pas de génie là-dedans mais de la fraicheur et une belle liberté de ton. Séance bien sympa !
Ça ne vaudra jamais eurotrip. Jamais 🙂
La BA donne envie, ca à l’air bien foutraque !!!!