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La malédiction : l’origine – critique hérétique

Par Mathieu Jaborska
10 avril 2024
MAJ : 4 mai 2024
14 commentaires

Ce 10 avril, une énième franchise est exhumée par un studio américain, en l’occurrence Phantom Four, la compagnie de David S. Goyer, avec la complicité de la Fox. Près de 20 ans après un remake qui avait plutôt bien marché, il ne manquait plus à La Malédiction de Richard Donner qu’un prequel. C’est chose faite grâce au sixième volet (oui !) de la saga, La malédiction : l’origine de Arkasha Stevenson, avec Nell Tiger Free. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il arrive à point nommé…

Attention, spoilers !

The second omen

Il y a des coïncidences qui n’en sont pas vraiment. Le cas de La malédiction : l’origine pourrait bien rentrer dans les annales hollywoodiennes, qu’importe son succès au box-office ou auprès de la critique (par ailleurs déjà assuré). Le film raconte les mésaventures de Margaret Daino, une jeune novice venue à Rome des États-Unis afin d’intégrer une communauté de soeurs et prononcer ses voeux, inspirée par un prêtre mentor. Elle se lie d’amitié avec Luz, une autre aspirante religieuse plus décomplexée. Mais très vite, elle se demande si le couvent n’abrite pas de sombres rituels.

Le pitch semble déjà familier, mais chaque rebondissement, chaque personnage, chaque idée narrative vient renforcer cette impression : The First Omen (titre original, ironique) raconte quasi exactement la même chose qu’un autre film d’horreur sorti très récemment, au personnage secondaire près, à la nuance de scénario près. Inutile de le mentionner ici au risque de spoiler (même si quiconque connait un minimum l’actualité du genre saura de quoi il en retourne), mais la séance tourne à la partie de jeu des 7 différences, niveau de difficulté maximum. Du moins jusqu’à la fin, qui diverge, grosse licence oblige.

 

La malédiction : l'origine : photo, Nell Tiger Free Recel de scénario

 

Une similarité qui pourrait paraître louche… d’autant que le fameux film concurrent a connu une longue gestation et quelques problèmes en cours de route. Toutefois, les choix narratifs opérés dans ce prequel découlent logiquement du premier volet et les ressorts les plus ressemblants renvoient soit à des codes classiques du cinéma d’horreur, soit carrément à des scènes précises de l’original. Dans l’autre sens, on aurait pu avoir de sérieux doutes. En l’état, ce double programme semble tout à fait accidentel. Quoique…

 

La malédiction : l'origine : photo Ça vous dit quelque chose ?

 

Mon corps, ma croix

Cette histoire rappelle surtout à quel point le genre reflète son époque. Comme le souligne Vulture, et bien que le réalisateur de l’autre long-métrage ait indiqué sans trop se mouiller vouloir laisser son public s’emparer du sujet, difficile de ne pas faire un lien avec d’une part la résurgence de l’imagerie catholique dans le cinéma d’horreur, d’autre part la remise en question du droit à l’avortement dans le débat public américain. Remise en question qui a culminé le 24 juin 2022 – soit à peine plus d’un mois après l’annonce officielle de ce prequel et de sa réécriture imminente ! –, quand la Cour suprême des États-Unis a annulé le décret fédéral Roe vs Wade, garantissant ce droit.

D’ailleurs, les scénaristes Tim Smith, Arkasha Stevenson (la réalisatrice) et Keith Thomas (l’excellent The Vigil) assument bien plus la dimension politique de leur récit. En le situant au début des années 1970 à Rome, ils mettent en son coeur la vague violente de revendications sociales qui traversent l’Europe à cette époque et s’inscrivent dans les « années de plomb » italiennes.

 

La malédiction : l'origine : photo, Nell Tiger Free Une image assez granuleuse…

 

La période, étonnamment bien reconstituée dans certains plans larges, est tout sauf un simple décor ou une nécessité chronologique (le premier volet date de 1976). L’intrigue décrit un monde tiraillé entre les perspectives radicales : d’un côté l’emprise de l’Église, une autorité plus politique que morale, de l’autre la violence un poil caricaturale qui embrase les rues. Notre héroïne innocente se retrouve ballottée entre les deux et voit se manifester ses « symptômes » les plus violents au moment où elles s’écrasent l’une sur l’autre. C’est l’élément qui débute la deuxième partie du film, relatant une émancipation presque impossible culminant dans un climax explicite.

Cet aspect autorise même quelques audaces pour le moins inattendues dans un film de studio de ce calibre, qui lui ont par ailleurs probablement valu son interdiction aux moins de 16 ans en France, comme une séquence d’accouchement dévoilant ce que le cinéma grand public rechigne à montrer habituellement, et plus encore… Quoi de plus logique au sein d’une saga clairement dérivée de L’Exorciste, lequel mettait justement les Américains face à leurs tabous médicaux et spirituels ?

 

La malédiction : l'origine : photo …et quelques sacrés décors

 

Le nombre de la bête

La différence entre les deux films tient donc aux approches adoptées par leurs auteurs respectifs. Contrairement à son collègue et afin de mieux formuler ses thématiques sociales, Arkasha Stevenson préfère à la nunsploitation grand-guignolesque une esthétique plus classique, parfois aux limites du lovecraftien dans ses meilleurs moments. Voilà qui lui donne un cachet indéniable. Ne serait-ce qu’en termes de frousse, la cinéaste déploie une mise en scène assez élégante parsemée de bonnes idées… et bien entendu d’effets de manches contractuels.

Revers de la médaille : malgré un catalogue de seconds couteaux honorables (Ralph Ineson, Bill Nighy et même quelques minutes de Charles Dance) elle ne peut pas se réfugier derrière ses airs de série B bourrin et se retrouve forcée de traiter des enjeux absurdes avec le plus grand sérieux. Les scénaristes s’échinent à faire passer chaque évidence pour un twist révolutionnaire, d’autant plus téléphonés quand on a l’autre film en tête. Les effets secondaires d’un gros cahier des charges, imposant même un épilogue ridicule, histoire de caser l’obligatoire connexion avec le petit classique de Donner.

 

La malédiction : l'origine : photo, Bill Nighy Comment ne pas lui faire confiance ?

 

Pourtant, c’est bien cette filiation qui lui confère son plus gros atout et sa dissemblance la plus notable avec son concurrent : la présence de la créature. Entraperçue dans quelques visions de flippe, celle-ci a tout de l’antagoniste final. Mais en dépit de sa nature démoniaque, elle finira elle aussi asservie, puis victime de l’ordre religieux, bien plus cruel et monstrueux que les forces maléfiques qu’il prétend à la fois embrasser et combattre. Le mal à l’exercice ici n’est pas d’ordre surnaturel, mais bien la mainmise d’une caste au pouvoir, usant à sa guise du corps des femmes, tout au long de leur vie.

Plus soigné et plus malin que la moyenne des rejetons opportunistes de franchises, La Malédiction : l’origine risque pourtant d’être occulté par son prédécesseur officieux… ou par ce qui le lie à lui. Passé les frissons plus ou moins respectables, reste la certitude que le cinéma d’horreur américain, aussi cynique et imparfait soit-il, peut encore être virulent après tout.

 

La malédiction : l'origine : Affiche

Rédacteurs :
Résumé

La deuxième partie d'un diptyque involontaire fascinant, très imparfaite, mais parsemée de fulgurances inattendues pour une production du type.

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Pas facile de s'appeler Damien à la récré

Un film dit d’horreur ni angoissant ni mystérieux, c’est problématique. Peut-être une ambiance classique gothique aurait mieux fonctionné.

Rorov94m

Dans le 1 le prêtre dit que la mère de Damien est un chacal et le 2 (surtout ce dernier) montre par le biais d’une analyse médicale que le sale gosse a des molécules de chacal dans le sang….
Tout est cohérent donc, quand on voit la fin du préquel avec la scène des flammes et du rideau peint….
Sans spoiler: ils ont fait encore mieux en intégrant le 4eme et dernier volet dans ce préquel… Téléfilm de luxe de la Fox des 90′ comme la chaîne en faisait souvent à l’époque: OMEN 4, ROBIN DES BOIS…

Cinilin

@Siligan

Effectivement, c’est LA grosse incohérence du film. Alors, ça tente bien de « l’expliquer » via une pirouette, mais ça ne fonctionne pas, vu que le principal soucis se situe au niveau du personnage du père Brennan, présent dans le préquel… dans le film original, c’est lui qui dit explicitement à Thorn que la mère biologique de Damien est un chacal (en plus de la découverte des ossements dans le cimetière), alors que dans le préquel, il est pourtant bien au courant du contraire (et donc, de la « pirouette »). C’est assez déstabilisant, et ça annihile quasiment ce nouveau film. C’est dommage, car outre ce problème, ce nouveau Malédiction est globalement bon.

D’ailleurs, à ce titre, c’est très étonnant qu’aucune critique n’en fait mention, comme si personne n’avait fait ses devoirs avant, même ici, parce que à ce niveau, c’est quand même un GROS problème.

[)@r|{

Vu jeudi soir.

Ce film à l’atmosphère glauque peut être compris comme une illustration symbolique du rapport entre le sexe et la religion. C’est de cette manière que j’ai vu les origines de la malédiction.

Alors, quand des nonnes, des curaillons et satan accomplissent, pour « le bien » de l’église, des « actions » qui ne sont pas très catholique. Eh oui ! L’expression : « Avoir la queue du diable dans sa poche » [au sens littéral du terme, bien sûr] prend tout son sens !

Vu sous cet angle là, « †he Firs† (|)men » perturbe et dérange. Donc, je conseille vivement ce film et bonne séance à tous…

Ciao a tutti !

Siligan

J’ai plutôt bien aimé dans l’ensemble, mais un détail à la con me chagrine.

SPOILERS

Dans l’original, il est très explicitement précisé que la mère de Damien est une hyène. On voit même son squelette. J’ai toujours trouvé que c’était l’une des idées fortes du film et l’une des plus glauques.

Du coup ce n’est pas le cas ? Est-ce expliqué dans le film ? Si quelqu’un peut m’éclairer…

Dams 59

C’est genre de films,sont souvent une autocritique de la société…
C’est pour ça,je m’aime bien ce genre de film …
Maintenant la malédiction 2024 , n’ai pas le premier entend-nous bien …
Déjà le remake été un peu pourri,c’est personnel…

Tu

Je penses que c est un réchauffé des anciens films et que ça ne changera pas grand choses future daube en perspective

Anachronaute

Je pense que Nico a raison : Immaculée doit être « l’autre film ».

Rorov94m

Quel « autre »film?

Tom’s

C’est l’actrice de The Servant de Shyamalan qui joue le rôle principale?envie de le voir, ce petit vaurien de Damien, The Omen l’original de Richard Donner ( 2ans avant Superman) est un grand film d’épouvante Us, pas loin derrière le film de Friedkin, le remake avec Liv shreiber est inutile .