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Le Deuxième acte : critique d’un Quentin Dupieux dans l’air du temps… mais à la ramasse

Par Antoine Desrues
14 mai 2024
MAJ : 20 mai 2024

Quelques mois à peine après le sympathique Daaaaaali!, le prolifique Quentin Dupieux est d’ores et déjà de retour avec son nouveau projet, Le Deuxième acte, qui a l’honneur d’être l’ouverture du Festival de Cannes 2024. On comprend ce choix au vu du casting prestigieux du long-métrage (Léa Seydoux, Louis Garrel, Vincent Lindon, Raphaël Quenard, Manuel Guillot), mais moins pour ce qu’il raconte.

Attention spoilers !

Le Deuxième acte : critique d’un Quentin Dupieux dans l’air du temps... mais à la ramasse

Actes sans action

Comme souvent avec Quentin Dupieux, on vous déconseille de lire cette critique si vous souhaitez découvrir par vous-mêmes les tenants et aboutissants du Deuxième acte, que la bande-annonce a pris soin de ne pas dévoiler. Il faut même dire que l’exercice, couplé à son ouverture du Festival de Cannes, semble jouir de ce mystère, pour mieux asséner son effet de surprise.

Forcément, il faut bien entrer dans le détail pour décortiquer l’objet, d’autant que Dupieux a lui-même annoncé via un communiqué qu’il ne commenterait pas le long-métrage auprès de la presse : “Ce film, très bavard, dit avec des mots bien choisis tout ce que j’ai envie de dire et contient déjà de façon extrêmement limpide sa propre analyse”.

 

Le Deuxième acte : photo, Raphaël Quenard, Manuel Guillot, Vincent Lindon Qui a peur de la cancel culture ?

 

Mais est-ce vraiment le cas ? Oui, sur le papier, Le Deuxième acte est un film bavard, une suite de conversations qui s’amuse de son tour de force principal : la longueur de ses rails de travelling pour accompagner la marche des personnages. Pour autant, cette limpidité supposée de la forme est déjà heurtée par l’écriture. Alors qu’ils jouent les scènes d’un long-métrage indépendant médiocre, David (Louis Garrel), Guillaume (Vincent Lindon), Florence (Léa Seydoux) et Willy (Raphaël Quenard) ne cessent de sortir de leur rôle, et de révéler leur véritable personnalité.

Ce jeu de poupées gigogne surréaliste, habituel chez Dupieux et qui se complexifie au fur et à mesure est à la fois son ressort comique et sa manière de noyer le poisson. Quoi qu’il fasse dire à ses protagonistes, on ne sait pas ce qui relève de la sincérité ou du jeu. Pratique, voire malhonnête, quand on choisit de tacler dans un grand fourre-tout pas bien dégrossi une certaine idée de l’air du temps : la cancel culture, l’importance toute relative du cinéma face aux crises mondiales, ou encore, dans son ultime twist décevant, l’arrivée inquiétante de l’intelligence artificielle dans la création artistique.

 

Le Deuxième acte : photo, Louis Garrel Louis Garrel, nouveau visage bienvenu dans l’écurie de Dupieux

 

beaucoup de bruit pour rien

Pour un réalisateur qui n’a jamais cessé de marteler la légèreté de ses films, il est indéniable que Le Deuxième acte arbore une inquiétude, constamment désamorcée par sa posture un peu facile. En gros, ce n’est que du cinéma, donc ce n’est pas bien grave. En faisant jouer à ses comédiens des parodies d’eux-mêmes explicites (on y parle des tics de Vincent Lindon, ou même de ses engagements politiques et alarmistes qu’il gueule en plein tournage), il égratigne gentiment des figures publiques pour ne jamais aborder les vrais sujets.

Paradoxalement, à force de répéter que le milieu du septième art se donne une trop grande importance politique et sociale, Dupieux semble légitimer ses pires travers. Certes, un tournage est toujours compliqué, et peut amener à froisser des egos, mais cette source de vannes met tout dans un même panier, de la petite pique à l’agression physique en passant par la remarque homophobe.

Tout serait affaire d’un contexte qui nous échappe, de l’idée préconçue d’un événement que le réalisateur retourne sur elle-même par ses twists en pagaille. Concrètement, c’est loin d’être très fin, puisque Guillaume, qui enchaîne les insultes homophobes, incarne en réalité un acteur homophobe dans la narration alors qu’il est… homosexuel à la ville. Super.

 

Le Deuxième acte : photo, Léa Seydoux, Vincent Lindon On a plus fait la tête de Lindon que celle de Seydoux

 

En manque d’ouverture

Sans jamais le dire, le film sous-entend (encore) une certaine défiance envers la parole accusatrice, notamment dans la presse, sous prétexte que tout le monde a son propre linge sale. Si David évoque un court instant la responsabilité des acteurs à être des figures exemplaires, il est rapidement raillé par ses camarades. Bien sûr, il va de soi de tourner en ridicule une certaine bourgeoisie culturelle enfermée dans sa tour d’ivoire (scène pour le coup hilarante où Florence appelle sa mère chirurgienne pour se plaindre de son boulot). Néanmoins, Le Deuxième acte esquive la place du cinéma dans l’émergence de certains mouvements sociaux (#MeToo), en tant que fer de lance identifié par tout le monde, et qui a permis à certaines voix de s’élever.

Oui, l’industrie du spectacle a une responsabilité, justement parce qu’elle s’adresse à tous de façon démocratique. Il est juste déconcertant que cette responsabilité soit toujours reléguée à l’arrière-plan, voire qu’elle soit perçue comme un trouble-fête inapproprié au milieu des strass et des paillettes (notamment à Cannes).

 

Le Deuxième acte : photo, Léa Seydoux, Raphaël Quenard Néanmoins, Dupieux reste un super directeur d’acteurs

 

Après le choix de Jeanne du Barry de Maïwenn en 2023 (lire notre avis sur la question), avoir Le Deuxième acte comme ouverture de Cannes en 2024 montre à quel point le Festival semble aussi refuser  sa responsabilité politique, malgré les origines antifascistes de l’événement, l’édition de 1968 piratée par Godard ou plus généralement la nature même des films sélectionnés, souvent portés par un caractère social.

En soi, le nouveau Quentin Dupieux est un exemple parfait de cette lâcheté, qui se voudrait un précipité de l’époque, mais qui se transforme en pantalonnade confortable et inconsciente. Ironiquement, Cannes a choisi de diffuser le lendemain Moi aussi, le court-métrage de Judith Godrèche sur les violences sexuelles. À la vue du Deuxième acte, difficile de ne pas penser aux mots bouleversants de l’actrice lors de son discours aux César : “Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas, ou à peine. Où êtes-vous ? Que dites-vous ? Un chuchotement. Un demi-mot.” Les voilà, les termes qui définissent le mieux le film.

 

Le Deuxième acte : Affiche officielle

Rédacteurs :
Résumé

Sous ses airs de comédie légère et anecdotique, Le Deuxième acte voudrait prendre le pouls de l’époque, sans jamais mettre les pieds dans le plat. Un manque de positionnement lourd de sens pour cette ouverture cannoise.

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Gag

Pas du tout aimé, d’ une nullité et d’un ennui ce film, trop long pour voir et entendre des gens qui s’engueulent et qui marchent beaucoup, ????!!!

Grotesk

Les positions du film sur metoo et compagnie dont vous parlez sont inexistantes: comme souvent les bonnes œuvres d’art révèlent le public (en l’occurrence vous, le critique) d’avantage que leur auteur! Loin de jouer dans la catégorie réac, ce film jongle malicieusement avec ces thèmes (ainsi qu’avec bien d’autres choses) dans un rapport très ludique et ça fait un bien fou. Vous n’êtes simplement pas joueur, comme beaucoup d’autres critiques sérieux qui n’adhèrent pas à Dupieux. Z’avez tout à fait raison d’ailleurs, d’exprimer votre avis. Pour moi le seul souci c’est que Bunuel et Blier ont joué au même jeu avant, presque au plan près.

Chris11

« On dirait un débat politique mais qui va que dans un sens.
Ça parle peu du film en lui même, de l’expérience cinématographique. »
Ce n’est pas nouveau.

Pas le plus malaisant des Dupieux mais le plus inutile. Les pseudos caricatures (système, IA, monde du cinéma) ne sont ni drôles, ni pertinentes. Film faussement provoc, faussement anti-système, faussement novateur, on dirait du Dupieux low cost pour le rendre plus accessible aux masses (ou plus « parlant ») qu’un Mandibules ou Fumer fait tousser, autrement plus dans sa veine ; ce passage sur l’IA… mon dieu, on dirait un truc de collégien, il n’y a rien, aucune inventivité ni créativité, c’est basico-basique, le minimum syndical (et des gens ont ri dans la salle??!!)
Lindon fait du Lindon, au point où il en est, s’auto parodier n’est que ce qu’il lui reste, Seydoux et Quenard ça passe, quand à Garrel, il couche avec qui ou est le fils/neveu de qui pour continuer à jouer ? Il n’existe pas un seul film où il ne joue pas comme une patate. Le seul point malaisant de ce film, un comble pour un Dupieux.

Dom la douce

Votre critique est épuisante…
Ce film est DÉLICIEUX de fraîcheur et merveilleusement interprété!!!

Star fixe

Arrêtez un peu avec votre posture woke les branleurs d’EL. Tout le monde s’en cogne et vous essayez stupidement de prendre le train en marche d’une idéologie pseudo progressiste. La preuve, il n’y a jamais eu autant d’actes anti LGBT++++++ Parlez mieux cinéma au lieu de gonfler tout le monde.

Rosaliemonde.

Un très bon film décalé, nous avons adorés, les acteurs au top, Raphaël hilarant. Bravo au réalisateur et aux acteurs. Morte de rire, des répliques hilarantes, bravo au réalisateur un moment de franche rigolade ça fait du bien.

Dod

La critique est très bizarre.

On dirait un débat politique mais qui va que dans un sens.
Ça parle peu du film en lui même, de l’expérience cinématographique.

Railllllllllllll

Sujets important saupoudrés tout le long du film , mais jamais traité, les acteurs sont excellents bravos. Dupieux devrait essayer un autre job !!!

Oho

Je résume : Ouin ouin le film n’est pas aussi progressiste que moi

Fantomas

J’ai ri autant qu' »Au Poste » et « Daaaali » : c’est à dire avec éclat et abdominos qui ont mal ! Tant pis pour les triste sires, c’est méchant, mordant, méta, génialement idiot, et je plains les coincés de ne pas passer un aussi bon moment que moi….(les plus coincés sont ceux les militants bolchéviques qui ont un projet politico-sociétal, évidemment ils détestent qu’on se moque d’eux dans une fiction branque et aux dialogues bien salés).
Léa Seydoux dont les parents jusqu’à sa fille qui lui disent que son métier c’est une blague est la meilleure du film !