LE VILLAGE DES DAMNÉS
Inquiétant, et ce dès le début avec son générique inspiré des Oiseaux, le nouveau long métrage de Shyamalan a de quoi en dérouter plus d’un. Fantastique au premier abord, le film échappe très vite aux règles du genre pour nous perdre dans des sentiers déjà effleurés par le passé. Dès lors, Le Village devient une uvre singulière et novatrice, grâce notamment à son approche intimiste et romantique. Pourtant, le postulat de départ ne laissait pas entendre un tel renouvellement dans la carrière du réalisateur.
Axé sur une petite communauté en autarcie, le film semblait davantage se concentrer sur les étranges phénomènes qui peuplent les bois d’alentour que sur quelque idylle. Sans s’en écarter pour autant, Shyamalan construit sa péripétie amoureuse autour du mythe, et place avant tout ses protagonistes au rang de victimes dépassées par les évènements mystiques des lieux. D’animaux dépecés et parsemés dans l’enceinte du village, en passant par d’étranges symboles peints aux portes des maisons, il éparpille les indices et affiche un goût prononcé pour les rites. Comme dans ses films précédents, le réalisateur joue avec les couleurs et leurs codifications, et terrorise de surcroît personnages et spectateurs en usant magistralement du hors champ.
Ainsi, c’est dans sa capacité à nous livrer une uvre encore plus en retenue qu’à son habitude que le cinéaste surprend. Tantôt inquiétant, tantôt bouleversant, le film échappe avec habileté aux stéréotypes postmodernes hollywoodiens, preuve une nouvelle fois que le succès n’est pas toujours une affaire de gros effets. Avec grâce et savoir-faire, Shyamalan distille au fil de son uvre de remarquables séquences contemplatives ou naturalistes, et multiplie les gros plans (lampes à huile, chaise à bascule, forêt) dans une mise en scène déjà anti-spectaculaire. En y ajoutant de lents travellings latéraux, de somptueux ralentis au romantisme outré, et de non moins magnifiques gros plans de visages à l’impact émotionnel immédiat, Shyamalan touche du doigt le nirvana cinématographique par sa simple approche maniériste.
Au-delà de tout émerveillement formel et plastique, le cinéaste nous offre par la même occasion l’une de ses meilleures directions d’acteurs. De Joaquin Phoenix à Adrien Brody, en passant par Sigourney Weaver et William Hurt, chacun apporte son lot de sincérité et de mystère. Et si Adrien Brody étonne dans son rôle d’handicapé mental, la surprise vient avant tout de la jeune et talentueuse Bryce Dallas Howard (fille de Ron), ici atteinte de cécité. À la fois pathétique et mystérieuse, douce et intrépide, son personnage de Ivy est à l’image de la partition de James Newton Howard une pastorale minimaliste suave et feutrée, fascinante et envoûtante.
Avec un retournement final qui ne convaincra pas les plus réfractaires à Signes, M. Night Shyamalan nous offre une uvre brillante et onirique sous la forme d’un conte initiatique (une relecture pertinente du Petit Chaperon rouge), où chaque élément de l’intrigue, chaque thématique apporte son lot de réflexions sur les États-Unis tels qu’ils peuvent être perçus au lendemain du 11 Septembre.