Critique : Maria pleine de grâce

Par Stéphane Argentin
3 décembre 2004
MAJ : 14 octobre 2018
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Déjà nanti d’une solide réputation après son passage dans différents festivals (prix du Public à Sundance, Meilleur Premier Film et Meilleure Actrice à Berlin), Maria pleine de grâce a reçu une solide ovation à l’issue de la projection, laissant augurer que le film ne repartira pas bredouille de Deauville.

Premier film du réalisateur Joshua Marston et de l’actrice principale, Catalina Sandino Moreno, Maria pleine de grâce conforte la maturité narrative et technique de tout un pan du cinéma américain indépendant, capable à bien des égards de surpasser les films de studio. Avec Maria pleine de grâce, le jeune cinéaste observe un quotidien bien réel et particulièrement effrayant : celui de ces « mules », des hommes et des femmes qui, dans l’espoir de s’extirper d’une vie aux abois, tentent le tout pour le tout et acceptent, contre une forte somme d’argent, de transporter des sachets de drogue avalés au préalable pour les loger à l’intérieur même de leur estomac.

Ne s’inspirant d’aucun fait divers en particulier, l’histoire de Maria pleine de grâce arrive tous les jours, au nez et à la barbe de tous. Ne cherchant nullement à s’intéresser à toutes les ramifications de ce commerce tentaculaire comme ce fut le cas pour Traffic de Steven Soderbergh, Joshua Marston s’est focalisé sur une seule et unique personne : Maria. À travers elle, le réalisateur-scénariste tente de répondre à deux questions : pourquoi et comment ? Le pourquoi, c’est ce quotidien des ouvriers d’Amérique du Sud (mais aussi de quantité d’autres pays du monde), surexploités, sous-payés et vivant dans des (bidon)villes en bordure des grandes métropoles. Maria travaille à un rythme effréné dans une plantation de fleurs ; elle doit demander l’autorisation d’aller aux toilettes (sans être sûre de l’obtenir), et voit la majorité de son salaire dérisoire partir dans les besoins journaliers de sa famille. En s’attardant de la sorte sur ce quotidien sordide et désabusé, sans pour autant insister sur l’aspect « exploitation humaine », le film nous place progressivement dans la peau de Maria. Un personnage qui ne trouve de refuge que dans ses virées entre ami(e)s et auprès de son petit ami. Leur scène intime d’ouverture situe d’ailleurs d’emblée la détermination de Maria, prête à surmonter des obstacles que même son copain n’ose affronter.

Lorsque tous ses repères volent en éclat (travail, famille, petit ami), Maria saute alors le pas. Inconfortablement installé dans la peau du personnage, le spectateur va alors assister à la seconde partie du film : le comment. Une partie placée sous le signe du stress, de l’angoisse et du malaise. Un malaise qui, par certains aspects, rappellera celui ressenti à la vision de Requiem for a dream. Aux côtés d’une Maria qui doute encore, et jusqu’à la toute dernière minute, du bien-fondé de sa décision, on assiste à sa préparation dans ce long et ô combien dangereux voyage (« entraînement », puis absorption à vous en donner de véritables hauts-le-cœur de la cinquantaine de sachets d’héroïne, à grands coups de médicaments et de soupe). Le point d’orgue de cette partie du récit est atteint lors de la longue séquence à bord de l’avion qui emmène Maria vers les États-Unis. Lieu de l’action aidant, cette scène atteint des summums de claustrophobie et d’anxiété alors que lesdits sachets situés dans l’estomac de Maria lui jouent des tours.

Si Maria a fait preuve d’opiniâtreté jusque-là, la suite de son périple, située à New York, va encore bien davantage mettre à mal sa détermination et sa détresse. Avec cette dernière partie du film, Joshua Marston développe avec tout autant de rigueur et d’efficacité une ultime thématique : l’émigration. Que faire une fois cette première expérience achevée (tout du moins pour ceux qui réussissent à passer à travers toutes les mailles du filet) ? Réitérer ce coup de poker (et amasser encore plus d’argent), rentrer dans son pays auprès de sa famille et de ses amis (et retourner à sa vie antérieure), ou bien tenter sa chance au pays de l’oncle Sam ? Une décision cornélienne par essence qui ne sera prise que dans les toutes dernières secondes du film, non sans une certaine amertume.

Les différentes thématiques, problématiques et situations abordées dans Maria pleine de grâce laissent d’ailleurs en permanence un arrière-goût amer au fond de la gorge. Une sensation due à un seul mot d’ordre : la véracité. Aucune des situations présentées dans le film n’est outrancièrement dramatisée dans le seul et unique but de s’apitoyer sur le sort de Maria. Pour parvenir à conserver cette authenticité face aux épreuves traversées, à la limite du documentaire, Joshua Marston a privilégié essentiellement l’emploi de la steadycam, en gros plans sur les visages, pour capter au plus près les moindres réactions du personnage, et sans aucun artifice visuel (couleurs naturelles sans aucun filtre, contrairement au Traffic de Soderbergh). De l’autre côté de la caméra, la révélation du film (et de Berlin, en attendant la suite des festivités) : Catalina Sandino Moreno, qui par son jeu tout en nuances, sans le moindre excès, prolonge à merveille cette approche visuelle. Grâce à cette première performance réellement étonnante, on vit, on tremble et on prend peur en même temps que le personnage entraîné dans cette immense machinerie incontrôlable qu’est le trafic de drogue. Une approche résolument humaine à laquelle n’est certainement pas étranger le diplôme en sociologie obtenu par Joshua Marston à l’université de Berkeley.

Première mise en scène et premier rôle : un ange passe dans ce long métrage touché par une grâce à l’image de sa magnifique affiche internationale, qui fait écho à la seule et unique scène religieuse du film détournée au profit de son thème, la drogue. Maria pleine de grâce : une œuvre rare, poignante et authentique. Indispensable !

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