Critique : Moi, Peter Sellers

Par Alain Charlot
17 novembre 2004
MAJ : 15 octobre 2018
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Ce n’est pas un principe à retenir, mais pour comprendre le film de Stephen Hopkins, il suffit d’unir les titres américains et français qui, loin de se contredire, offrent une étrange complémentarité : Life and death of Peter Sellers et Moi, Peter Sellers traduisent en gros l’état d’esprit du comique britannique mégalo et mortifère. Sa vie durant, Sellers s’est livré à son paradoxe favori : se rendre aimable et méprisable, entre égocentrisme poussé jusqu’à l’extrême et rejet de soi. Le personnage que jouait Peter Sellers à longueur de temps n’était ni l’inspecteur Clouseau ni le nazi scientifique au bras articulé de docteur Folamour, mais un homme rongé par un œdipe puissant et qui, tout en admettant volontiers l’idée d’incarner le plus grand comique au monde, pouvait également déclarer : « Me voir à l’écran est l’une des expériences les plus ennuyeuses que l’on puisse faire. »

Biographie atypique, Moi, Peter Sellers est d’abord le récit d’une vie ratée. On se rend d’ailleurs compte, en jetant un œil sur sa filmo (ce que Hopkins se garde bien d’essayer), que l’acteur n’a pas eu de carrière magnifique, qu’il y a The Party et les Panthères roses, Lolita et Dr Folamour, et deux, trois perles anglaises. Sellers n’est pas mort sur Bienvenue Mister Chance, pamphlet surestimé, mais sur une crotte, énième variation de la série des Fu-Manchu. Ce que Moi, Peter Sellers montre à la perfection, c’est ce suicide culturel constant, ce laisser-aller maquillé en cynisme : Sellers face à son illusoire besoin d’argent. Côté psyché, le film de Hopkins n’avance pas d’explications, il suggère tout au plus le poids d’une mère encombrante, que Sellers tue, grimé en Folamour. Cet assassinat métaphorique et libérateur marque la première incursion du cinéaste dans le cortex bordélique de la star. La seconde aura lieu en pleine crise cardiaque, avec, dans le cadre, des images trafiquées de 2001. Pour le reste, on s’accroche joyeusement à la légende : Hopkins se délecte, et nous avec, des abus de pouvoir d’un grand gosse à la franchise vénéneuse. Franchise dont Blake Edwards fera les frais à plusieurs reprises. À ce titre, Moi, Peter Sellers tord le cou à certaines idées reçues, notamment celle qui consiste à assimiler tournage et magie du cinoche, ou celle d’une planète de professionnels souriants et attentionnés ne sachant bosser autrement que main dans la main. Sellers, lui, semblait n’avoir qu’une devise en la matière : faire chier son monde !

Servi par un Geoffrey Rush, vous l’imaginez, confondant, Moi, Peter Sellers ressemble tout du long à un terrain d’expérimentation ludique et astucieux. Hopkins, à qui l’on doit deux, trois films d’horreur sympas (Predator 2, L’Ombre et La Proie), ainsi que le concept visuel de la série 24 heures, fait se croiser couleurs, styles et tonalités de manière parodique ou merveilleusement décalée. Prendre plaisir à l’hallucinant travail de faussaire du cinéaste (certaines séquences de Bienvenue Monsieur Chance font carrément illusion) est une chose, mais rien n’égale en intelligence le Sellers qui, sur le trône, apprend de la bouche de Britt Ekland (Charlize Théron) qu’un enfant est en route. Alors que se lit sur son visage un sentiment de perplexité passagère, la totalité du papier toilette se déroule à ses pieds. Associer le succès culte de Sellers, The Party, au refus d’un enfant pourtant programmé, il fallait oser !

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