« Je suis le champion ». Raging Bull marque un tournant dans la carrière de son réalisateur Martin Scorsese. Salué comme l’un des plus grands films des années 80, meilleur film de boxe de tous les temps, ovationné pour sa mise en scène et ses comédiens (De Niro en tête qui ne se montre jamais aussi bon que chez Scorsese et en particulier ici avec l’Oscar archi mérité à la clé), Raging Bull reste Le film que Scorsese avait besoin de faire pour survivre : à l’échec de New York, New York tout d’abord mais surtout à son propre échec personnel.
La fin des années 70 laisse Scorsese exsangue et dépressif, insuccès, crise mystique, cellule familiale explosée. C’est sur un lit d’hôpital que Robert De Niro vient lui apporter le scénario de Raging Bull : un film de boxe – sur l’ascension et la chute de Jake La Motta – que Scorsese avait déjà refusé à plusieurs reprises. Ne voyant pas quoi faire d’un tel sujet (la boxe), estimant que Robert Wise avec Nous avons gagné ce soir et tant d’autres avaient déjà amplement oeuvré avec succès dans le genre pugilistique. De Niro a perçu à travers la biographie de La Motta un écho avec la vie de son alter ego/cinéaste en crise : « ce que je venais de traverser, Jake l’avait connu avant moi. Nous l’avions vécu chacun de notre façon. L’héritage catholique, le sentiment de culpabilité, l’espoir d’une rédemption (.) Il s’agit avant tout d’apprendre à s’accepter soi-même ».*
La boxe comme chemin de croix, c’est ainsi que Martin Scorsese va concevoir ses ballets sur le ring où La Motta touche le succès et la grâce avant de subir une longue descente aux enfers, aussi bien sur le ring (où il règle par adversaire interposé ses comptes : le traitement qu’il fait subir au boxeur que sa femme a trouvé « mignon ») que dans sa vie privée (sa vie conjugale et familiale). La mise en scène, le montage, le son (qui prend ici une importance énorme et préfigure d’une certaine manière le développement du montage son), l’image (noir et blanc somptueux assez anachronique au début des années 80), tout concourt à rendre chaque affrontement pugilistique différent et lourdement chargé d’affect (le dernier avec Robinson flirte avec l’abstraction la plus pure). Le micro de l’arbitre tombe du ciel pour rendre son jugement. Le ring purgatoire devient expiatoire.
Mais Martin Scorsese, épaulé par Paul Schrader (au scénario) et De Niro, ne tombe jamais dans l’excès de symbolique religieuse. La culpabilité de Jake ne provient pas d’un acte précis et fondateur mais de son être propre, culpabilité que tout un chacun a pu ressentir dans sa vie à une moindre mesure : comment concilier son être, ses envies, ses aspirations avec le Monde. Un rai de lumière viendra caresser le bras de Jake en cellule, Scorsese fait porter en épilogue une citation de l’Évangile selon Saint Jean pour « marquer » le film de ses propres préoccupations. On est loin des délires religieux des Nerfs à vif où le réalisateur se parodie à outrance. Jake, comme Martin Scorsese, dépossédé des oripeaux de sa gloire et de son orgueil, accepte de se regarder dans un miroir, de s’accepter dans une existence moins reluisante mais vraie et sincère avant de scander le célèbre « Im the boss ».
Ces préoccupations spirituelles emmènent Raging Bull loin du Rocky annoncé par les producteurs au public : les combats ne représentant au final qu’un gros quart d’heure du récit. Si les spectateurs se perdent dans les méandres de la vie de Jake, Scorsese lui y a trouvé de quoi dépasser sa dépression et amorcer avec sérénité les années 80 naissantes laissant un message indélébile au passage : « Je suis le boss ». 25 plus tard il le reste encore !
*extrait de Positif n°241